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Full text of "Le Concile du Vatican: son histoire et ses conséquences politiques et religieuses"

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LE CONCILE DU VATICAN 



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î'MÀti/^ IVPRIMBBIB DE CH. NOBLET 



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CONCILE DU VATICAN 



SON HISTOIRE 



SES CONSEQTMGES POLITIQUES ET RELIGIEUSES 



E. DE PRESSENSÉ 



DEUXIÈME ÉDITION- 




PARIS 

LIBRAIRIE SANDOZ ET FISCHBACHER 
0. FISCHBACHER, SUCCESSEUR 



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PRÉFACE 



DE LA SECONDA EDITION 



Je n'ai fait subir aucune modification à cette se- 
conde édition de mon Histoire du Concile du Vati- 
can. Le moment n'est pas encore venu d'écrire 
l'histoire complète de ce grave événement. Tous 
les jours de nouveaux documents sont publiés ; on 
peut être assuré, par ce temps d'irrésistible publi- 
cité, que nous en verrons surgir d'autres peut-êtte 
plus précieux encore. La mort aujourd'hui garde 
peu de secrets. Mon livre, qui n'a paru qu'en 1871, 
avait été écrit en partie à Rome même, sous l'im- 
pression de l'agitation extraordinaire que produi- 
saient les tentatives usurpatrices et audacieuse- 
ment révolutionnaires de la curie pour dominer le 

a 



Concile; il porte l'empreinte toute vive de l'indigna- 
tion des évéques opposants, qui s'exprimait alors 
avec tant d'éclat, tandis qu'aujourd'hui on aurait 
peine à trouver la trace de leurs protestations. Les 
livres et les brochures qui les renfermaient ont été 
retirés de la circulation avec un soin jaloux. Il y 
avait encore à cette époque un catholicisme libé- 
ral. On ne pourra relire sans sourire la naïve con- 
fiance que j'exprimais pour quelques-uns de ses 
chefs qui, depuis lors, non contents de pousser jus- 
qu'à la servitude la soumission à ce qu'ils avaient 
si énergiquement combattu dans l'ordre religieux, 
ont pris la tête de la réaction politique la plus in- 
sensée et la plus étroite, toujours prêts aux coali- 
tions les plus immorales. On les a vus à l'occasion 
ultramontains et bonapartistes. Jamais on n'a as- 
sisté à pareille palinodie. Je laisse subsister mes 
appréciations d'il y a dix ans. C'étaient celles de 
toute l'Europe libérale. Rien n'est plus triste, di- 
sait le Dante, que de se rappeler les jours heureux 
au jour du malheur. 11 se trompait : il y a quelque ' 
chose de plus lamentable : c'est d'être obligé, en 
pleine apostasie, de se souvenir des principes libé- 
raux qu'on a professés. Cela est vrai pour tous les 
partis. 



— III — 

Depuis qu'a paru ce livre, deux ouvrages impor- 
tants à des titres divers ont été publiés sur le même 
sujet. Ils if ont fait que confirmer l'exactitude de 
mon exposition historique, dont j'avais eu du reste 
une preuve péremptoire, car la traduction allemande 
a paru sous les auspices des amis de Dœllinger. Le 
premier de ces livres est celui de M. Emile Ollivier 
sur r Eglise et l'Etat au concile du Vatican. Le 
second est dû à la plume savante et libérale d'un 
éminent professeur de Munich, M. Friederich, qui 
l'avait fait précéder de la publication de son jour- 
nal pendant son séjour à Borne en 1869 et 1870. 
Il contient la première partie de l'histoire du Con- 
cile. Attaché à l'un des évêques qui y siégeaient, il 
était en mesure de tout voir et de tout connaître. 
Ce volume renferme la documentation la plus pré- 
cieuse sur la préparation du Concile (1). On y voit 
se dérouler le plan le plus profond, exécuté par les 
plus habiles diplomates du monde, par ces théolo- 
giens de Rome dont Talleyrand se reconnaissait 
l'humble disciple pour la duplicité savante. Je ne 
crois pas qu'il y ait dans l'histoire un exemple 
plus étonnant de ce que peut l'esprit de suite as- 



(1) Geschichte des Vatikanischen Concils» Un vol. de 800 pag. 
1878. 



— IV — 



socié à la souplesse la plus ingénieuse quand il 
est au service de la passion cléricale. Il est cer- 
tain qu'au commencement du siècle, "le catholi- 
cisme appartenait encore en majorité au gallica- 
nisme. La curie romaine, servie ou dirigée par le 
Qesu^ a trouvé moyen, en moins d'un siècle, d'y 
faire prédominer Tultramontanisme le plus effréné. 
On ne saurait trop admirer, au point de vue de la 
politique, — car il ne faut pas parler de morale, — ■ 
la variété des moyens employés pour atteindre ce 
but. Il est vrai que, comme la fin poursuivie sanc- 
tifiait les plus pervers, la conscience était soulagée 
de tout scrupule embarrassant. La curie romaine 
encense le despotisme quand elle peut le dominer, 
comme en Espagne et dans TAutriche avant Sa- 
dowa; mais son chef-d'œuvre est Temploi qu'elle 
a su faire du libéralisme. En Belgique comme en 
Allemagne, elle Ta réduit à devenir son instrument 
docile et parfois même sincère. Elle a su se servir 
de la démocratie tout aussi bien que du pouvoir 
absolu, aussi apte à faire diriger la conscience 
d'une royauté corrompue par des confesseurs com- 
modes, qu'à soulever les assemblées populaires par 
des tribuns soufflés par elle. Il faut lire, dans le 

livre de Friederich, de quelle façon elle a tourné à , 

1 



son usage la presse et les clubs, ces deux grands 
engins de la Révolution. Elle a remplacé le moine 
ligueur du seizième siècle par le laïque furibond, 
d'autant plus utile qu'il engage moins en apparence 
TEglise dont il défend la cause à la façon des car- 
refours. Grâce à son concours, la curie romaine est 
parvenue à étouffer la résistance de Tépîscopat gal- 
lican. La Convention n'a pas plus été dominée par 
la Commune de Paris qui garnissait ses tribunes vo- 
ciférantes que le Concile ne l'a été par le fanatisme 
frénétique chauffé dans le Pius Verein allemand ou 
les comités catholiques français. Quand on constate 
la hardiesse prodigieuse des falsifications des textes 
opérées dans le sens ultramontain sur les livres 
d'enseignement et les catéchismes, on se rappelle 
ce mot sanglant du dernier siècle, qu'il n'est pas 
prudent de laisser un jésuite dans une bibliothèque. 
La partie la plus intéressante du livre de Friederich 
est celle qui est consacrée à la psychologie de 
Pie IX, devenu, dans l'atmosphère embrasée dont 
on l'entourait, un véritable extatique. Il a été pré- 
cisément le pape qu'il fallait à la Société de Jésus 
pour couronner sa propre œuvre dans le triomphe 
du Saint-Père. 

Et cependant , malgré toutes ces menées , il y 

a. 



— VI — 

avait encore, en 1870, un parti de la résistance qui 
ne pliait pas devant Tidole du Vatican. Le livre de 
M. OUivier en fait mieux qu'aucun autre saisir l'im- 
portance. Ministre des cultes à l'époque du Concile, 
il a eu les confidences des évêques français qui occu- 
paient une place prépondérante parmi les opposants. 
De là la sûreté et l'abondance de ses renseignements. 
C'est ce qui fait le seul intérêt de son livre, car la 
partie qui le concerne lui-même ne peut être lue sans 
impatience. Cette manière de monter au Capitole en 
pleine déroute n'appartient qu'à lui. Ses hauts faits 
dans l'ordre politique n'étaient que trop connus. Il 
lui plaît aujourd'hui de nous apprendre qu'il n'a 
pas moins compromis son pays dans l'ordre reli- 
gieux. Libre à lui d'ajouter ce laurier à sa cou- 
ronne! Nous ne voulons pas simplement parler de 
l'insanité coupable qui lui fit redire, au mois d'août 
1870, le Jamais de M. Rouher en face des reven- 
dications italiennes sur Rome, privant ainsi son 
pays de la seule alliance qui pût lui permettre de 
soutenir la terrible lutte contre la Prusse, après 
que lui-même l'avait précipité dans la plus folle des 
guerres. Ce libre penseur préférant risquer l'inté- 
grité du territoire national à la perte du pouvoir 
temporel du Saint-Père, et mettant aujourd'hui sa 



— VII — 

gloire à l'avoir couvert de son inutile protection au 
prix que Ton sait, est un vrai phénomène. Il nou3 
apprend bien autre chose. Il a préludé, d'après son 
propre témoignage, à ce grand acte de dévotion 
qui nous a coûté si cher, en se posant, pendant 
tout le cours du Concile, comme le protecteur des 
ultramontalns ; il s'est constamment refusé de prê- 
ter aucun appui efficace aux évêques g^licans qui 
représentaient si visiblement l'intérêt français. Il 
faut voir par quels raisonnements à la fois enfan* 
tins et subtils il établit que le Sylldbus n'était paç 
ce qu'un vain peuple pense, que tout ce latin de 
curie a un sens profond qui ne justifie pas les 
alarmes du pouvoir civil, que le dogme de l'in-f 
faillibilité a causé des alarmes puériles au catholi-* 
cisme libéral. Il se fait après coup et bien gratui- 
tement le scribe des ultramontains, le porte-voix 
du cardinal Maning et de dom Guéranger, aux- 
quels il sacrifie lestement le Père Gratry. Il n'a pas 
assez de dédain pour l'argumentation des non-in- 
faillibilistes, et traite Dœllinger et ses amis, pour 
s'être plaints des règlements dérisoires qui anéan- 
tissaient la liberté du Concile, comme le président 
de l'ancien Corps législatif le traitait lui-même, 

quand lui et ses amis se heurtaient h, des difficultés 

a.. 



— VIII — 

bien moins graves que celles qu'on avait imaginées 
à Rome. Après tous ces beaux développements, à 
la plus grande gloire des ultramontains, l'auteur 
conclut comme s'il ne les avait pas écrits, en fai- 
sant ressortir toute la gravité du conflit entre le ca- 
tholicisme actuel et notre droit public. Il oublie 
que ce conflit doit toute sa gravité à la tendance 
funeste qui a triomphé à Rome le 18 juillet 1870. 

Il est vrai qu'elle n'aurait pas triomphé sans le 
ministre français. Son livre prouve, en efi^et, que, 
s'il eût simplement appuyé son collègue aux affaires 
étrangères, M. Daru, dans son dessein de faire le 
possible pour fortifier les opposants, il aurait au 
moins obtenu l'ajournement du Concile, et tout eût 
été sauvé, car on eût ainsi atteint le pontificat de 
Léon XIII, qui se borne aujourd'hui à approuver 
et à conserver ce qu'il n'eût pas provoqué. Il est 
dérisoire de prétendre qu'il fallait, au point de vue 
libéral, encourager le Saint-Père dans ses efforts 
pour écarter l'immixtion et l'influence des gouver- 
nements, comme s'il eût réalisé une première sépa- 
ration de l'Eglise et de TEtat, alors qu'il s'agissait 
uniquement pour lui de restaurer le système le 
plus contraire à cette séparation, le théocratisme 
du Syllabus. M. OUivier reconnaît qu'il n'était pas 



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— IX — 

nécessaire, pour contrecarrer ce dessein, de prendre 
une mesure aussi extrême que le rappel du corps 
d'armée français, bien qu'il fût étrange de voir le 
drapeau tricolore protéger la plus audacieuse ten- 
tative de la contre-révolution religieuse et poli- 
tique. Au moment le plus grave, les évêques op- 
posants se bornaient à demander le rappel de notre 
ambassadeur. Cette démarche eût suffi pour dour 
ner un poids décisif aux réclamations des gouver- 
nements et pour retarder la mise en discussion, 
d'ailleurs prématurée, du schéma de l'infaillibilité. 
M, Emile OUivier se contenta d'invoquer les grands 
principes de la société actuelle pour se refuser à 
les protéger. C'est ainsi que, grâce à lui, la curie 
profita une fois de plus du droit moderne pour le 
supprimer avec éclat. Elle revendiqua le caractère 
neutre et laïque de l'Etat, juste le temps nécessaire 
pour lui porter un coup mortel et pour le détruire 
tout à son aise, au moins en théorie. On ne se jette 
pas plus candidement dans le piège de son adver- 
saire. Le cardinal Antonelli n'a pas moins berné 
M, Emile OUivier que M. de Bismark; celui-ci n'en 
est pas moins triomphant et infaillible. 

Et pourtant, quelle belle carte n'avait-il pas dans 
son jeu pour lutter contre l'ultramontanisme au 



Concile ! Il pouvait s'appuyer sur Télite du clergé 
français, qui manifestait à Rome un esprit de sage 
indépendance qu'on n'eût pas osé supposer. Le livre 
de M. OUivier renferme des lettres admirables éma- 
nant des évêques les plus éminents par le savoir, 
par l'éloquence et la position acquise, qui le sup- 
pliaient de faire son devoir de chef du gouvernement 
français. Celle de Mgr Darboy devrait lui coûter à 
relire s'il était capable de reconnaître une erreur 
et d'avoir un autre culte que celui de sa gloire. Le 
discours de l'archevêque de Paris, dans la délibéra- 
tion décisive sur l'infaillibilité, n'est pas moins re- 
marquable. Il résume avec une force extraordinaire 
tout ce catholicisme libéral, patriotique, en même 
tem^s que plein de sagesse et de distinction qui 
semble avoir disparu. Rien ne fait mieux mesurer 
que la lecture de ces pages la distance qui sépare 
le catholicisme actuel de celui qui, il y a quelques 
années, tenait ce noble langage. Et ce n'était pas 
seulement devant la papauté, quand il s'agissait 
d'écarter la plus dangereuse innovation, qu'il se 
montrait libéral, il savait reconnaître les convic- 
tions chrétieunes partout où elles se manifestaient, 
même en dehors de sa propre Eglise. Que de preuves 
j'en pourrais fournir! Il en est une qui a une valeur 



— XI — 

particulière à mes yeux , car elle me vient de cet 
illustre archevêque, qui devait périr si héroïque- 
ment sous les coups d'infâmes assassins déguisés 

• 

en tribuns. La lettre que je reproduis m'a été adres- 
sée par Mgr Darboy, à Toccasion de mon livre sur 
la Vie de Jésus. J*ai d'autant moins de scrupule à 
en citer la partie générale, qu'elle passe tout à fait 
au-dessus de ma personne, pour nous élever sur 
la hauteur sacrée où se révèle une unité plus haute 
entre les âmes chrétiennes que celle qui résulte des 
institutions extérieures. 

€ Je ne vous étonnerai pas, Monsieur, m'écrivait 
l'archevêque Darboy, si j'ajoute que plusieurs en- 
droits de votre ouvrage m'ont rappelé que votre 
croyance n'est pas la mienne sur tous les points. 
Mais ce n'est pas pour discuter que j'y fais allusion, 
c'est pour exprimer avec charité et de tout cœur 
un regret que vous exprimeriez vous-même en 
pareil cas» Au reste, je ne vous étonnerai pas non 
plus, si je dis qu'il m'est toujours plus agréable de 
chercher et de trouver ce qui nous rapproche que 
ce qui tendrait à nous éloigner. Les dififérences con- 
fessionnelles ont leur importance qu'il ne faut pas 
dissimuler, mais il y a quelque chose de plus pres- 
sant aujourd'hui que de les décrire, c'est de mar- 



— XII — 

cher tous ensemble à la défense des grands prin- 
cipes qui doivent inspirer la vie des individus et 

qui font l'honneur et la force des sociétés. > 

• 

Nous voilà bien loin du schéma De fide^ avec ses 
anathèmes retentissants contre tout ce qui n'appar- 
tient pas au corps de TEglise. Le dernier mot est 
resté à cette funeste tendance. Aujourd'hui, le vé- 
nérable successeur de Mgr Darboy sur le siège de 
Paris consacre l'église du Sacré-Cœur à la contre- 
révolution, et identifie la cause de l'Eglise à celle 
de ces jésuites, les éternels corrupteurs de la piété 
et de la morale évangéliques, les implacables con- 
tempteurs de la conscience, oublieux de ses devoirs 
comme de ses droits, car, malgré les rectifications 
de détail sur tel ou tel texte de leurs écrits, on ne 
détruira pas le grand contexte de leur histoire. Ils 
m'apparaissent, dans la préparation et dans la con- 
duite du Concile de 1870, plus malfaisants et plus 
pervers que dans ces immortelles Provinciales dont 
ils ne se délivreront jamais. 

Lateri hœret lethalis arundo. 

C'est cette solidarité de plus en plus aflEirmée 
entre eux et le clergé français qui est la pire des 
conséquences du Concile du Vatican. L'Etat doit 
avoir bien soin d'éviter tout ce qui pourrait la res- 



— XIII — 

serrer par des démarches imprudentes. Les droits 
de la légitime défense vont assez loin pour qu'il 
atteigne par voie de répression tout ce qui le met 
en péril, tout ce qui est en désaccord flagrant avec 
ses lois, avec sa constitution. La Société de Jésus, 
au point de vu« de son influence, n'aura à se plain- 
dre, en définitive, ni de M. de Bismark, ni du ra- 
dicalisme suisse. Grande leçon qu'il faut méditer 
sans pallier le péril ultramontain, qui est plus grave 
à mes yeux que je ne pourrais dire. 

Ne nous abusons pas, tout ce que pourra décréter 
l'Etat sera peu efficace dans cette lutte décisive entre 
le moyen âge et la société moderne.' Il faut, à une 
influence morale, en opposer une autre. Nous avons 
rappelé, dans ce livre même, la tentative qui fut 
faite, en 1871, d'opposer au concile de l'oppression h 
Rome le concile de la liberté à Naples. Nous avons dit 
tout ce que cet essai eut de dérisoire, parce qu'on 
se contenta d'opposer l'athéisme matérialiste à la 
religion de la superstition et de la servitude. Or, 
entre les deux credo l'humanité n'hésitera pas. Si 
on lui enlève le Dieu vivantj elle se rejette sur l'i- 
dole, parce qu'elle la préfère au néant. Les jésuites 
et les capucins finiront toujours par l'emporter sur 
les hommes de la matière et de la négation absolue. 









I 






Vf 



— XIV — 

Nous croyons, nous aussi, à la nécessité d'ur 
anticoncile; seulement, pour aboutir, il faut qu'i 
retienne les immortelles vérités qui sont recouvertes 
par les superstitions romaines comme par une 
mousse parasite. 11 faut qu'il ait pour inspiration le 
spiritualisme chrétien let qu'il consacre l'Evangile 
de la liberté. 

La société laïque ne triomphera de la société clé- 
ricale que quand le mot laïque ne sera pas pris è 
tort comme un synonyme d'irréligieux, quand i 
signifiera simplement l'incompétence du pouvoii 
civil dans les choses de la conscience. Cette incom- 
pétence, nous la voulons totale, absolue, poussée ï 
ses dernières conséquences dans la séparation de 
l'Eglise et de l'Etat, qu'il faut préparer et non im- 
proviser pour qu'elle s'effectue dans l'équité, ce qui 
est la seule condition de durée pour ime grande ré- 
forme. Il faut à tout prix faire disparaître l'équi- 
voque qui confond le caractère laïque de l'Etat avei 
la négation de toute foi. On ne voit pas que, s'il s< 
faisait irréligieux d'office et d'autorité, il cesserai 
d'être neutre et laïque. L'irréligion d'Etat n'est qu( 
l'ultramontanisme à rebours. Qu'il se tienne donc 
cet anticoncile d'une chrétienté affranchie des jougs 
humains; qu'il substitue à la religion de la servitude 



— XV — 

celle qui fait les hommes libres en les prosternant 
devant Dieu seul, et en donnant à leur âme immor- 
telle cette indispensable satisfaction que lui promet 
faussement l'Eglise ultramontaine. Qu'il se tienne, 
ce grand concile de la Eéformation nouvelle, partout 
où bat un cœur droit, partout où se trouve une con- 
science soucieuse de ses obligations. Ce n'est que 
quand la démocratie l'aura institué au milieu d'elle, 
par la simple puissance de l'opinion, et qu'elle aura 
ainsi trouvé un principe suffisant de direction spi- 
rituelle, qu'elle pourra espérer de casser les décrets 
et d'anéantir les anathèmes de l'autre concile, qui 
n'est fort que de notre faiblesse morale. Tout ce 
qui est donné à l'incrédulité revient à la crédulité. 
Le seul remède contre une religion fausse est une 
religion vraie. Il ne servirait de rien d'échanger 
une servitude contre une autre qui ne la vaut pas, 
car, de tous les esclavages, le plus vil, le plus in- 
destructible, est celui qui courbe l'homme devant 
la matière et ne lui fait reconnaître d'autre sou- 
veraineté que la force. 

Paris, 31 juillet 1879. 

£. DE Pbessensé. 



LE CONCILE DU VATICAN EN 1870 



CHAPITRE I" 

LES ANCIENS CONCILES ET LA PAPAUTÉ. 

Jetons un rapide coup d'oeil sur Thistoire des 
conciles; il n'est pas de plus sur moyen de saisir 
le caractère propre et vraiment novateur de l'assem- 
blée du Vatican. 

Il en est des conciles comme des parlements, le 
même mot représente des institutions fort différentes 
selon les temps. Rien n'a plus changé que les gran- 
des assemblées dont on voudrait faire aujourd'hui 
les gardiennes de la tradition immuable, et elles 
pourraient fournir un éloquent chapitre supplémen- 
taire à V Histoire des variations de Bossuet. Nous 
n'insisterons pas sur le premier des conciles, celui 
qui s'est tenu dans une pauvre chambre haute de 
Jérusalem. 

Rien ne fut plus libre, plus spontané que cette 
réunion, décorée à tort du nom de concile. Il s'a- 
gissait de traiter une question fort grave, celle des 

1 



— 2 — 

rapports à établir entre les prosélytes sortis du pa- 
ganisme et les prosélytes issus du judsusme ; fallait-il 
les soumettre les uns et les autres aux pratiques 
hébraïques, ou bienFEglise pouvait-elle s'affranchir 
de la synagogue ? Le christianisme avait-il le droit 
d'exister par lui-même? Il est certain que l'Eglise 
entière de Jérusalem prit part au débat, qu'il n'y 
eut aucune présidence proprement dite. Paul, dont 
l'apostolat n'était pas encore reconnu, et Jacques, 
frère du Christ, qui n'était pas apôtre, y eurent l'in- 
fluence prépondérante. La résolution fut une mesure 
sagement transitoire, et elle fut envoyée aux Egli- 
ses au nom « des apôtres, des anciens et des frères. » 
On est en pleine démocratie religieuse. 

A Tépoque suivante, nous n'avons pas de conciles 
généraux ; l'Eglise du deuxième et du troisième siècle 
n'a point de centre commun ; elle manque de ce qui est 
l'âme de toute administration ; la centralisation lui est 
inconnue. C'est qu'elle estle contraire d'une adminis* 
tratîon ; c'est une société essentiellement libre dont 
l'unité est toute morale et organique. Il y a une 
Eglise d'Orient, une Eglise d'Afrique, une Eglise de 
Eome et des Gaules. Chacune a son type, sa phy- 
sionomie propre, ses ^coutumes particulières, bien 
qu'elles reposent toutes sur un fonds commun de 
doctrine et d'organisation, et qu'elles repoussent 
avec ensemble ce qui est en désaccord flagrant avec 



— 3 — 

l'essence dti christianisme, comme par exemple la 
gfnose sous ses formes bizarres et variées. Les com- 
munications sont firéquentes, l'accord est admirable 
et profond; cependant la liberté est grande. Entre 
Justin Martyr et Irénée, les différences doctrinales 
sont patentes. L'esprit large et brillant de Clément 
d'Alexandrie ne s'emprisonnerait pas dans les for- 
mules plus strictes qui plaisent à l'Eglise d'Occident, 
Dans la lutte contre l'hérésie, on recourt plus d'une 
fois aux assemblées délibérantes ; mais ce sont des 
assemblées locales, des synodes, non des conciles, 
et elles ne réclament nulle part l'infaillibiUté. Rien ne 
fait mieux ressortir leur caractère hautement libéral 
que la résolution prise par un synode des Eglises 
d'Arabie de déléguer. Origène auprès de Bérylle de 
Bostra pour le ramener parla persuasion d'une erreur 
doctrinale que l'on estimait être grave. Origène lui- 
même avait été condamné par son évêque à Alexan- 
drie, ce qui n'avait pas empêché les Eglises d'Orient 
de le recevoir à bras ouverts. Il ne faut pas que les 
théoriciens de l'absolutisme théocratique enlèvent à 
la liberté de la pensée chrétienne ce glorieux passé, 
et refassent en quelque sorte à la contrainte reli- 
gieuse une généalogie suspecte ; le droit d'aînesse 
appartient incontestablement à la liberté, et le ré- 
sultat de la mission d*Origène montre que ce n'est 
pas à tort qu'on met en elle sa confiance, car il ra- 



— 4 — 

mena Bérylle par une discussion loyale. Il ne fut 
pas moins heijreux dans une seconde conférence avec 
d'autres hérétiques, pour laquelle il fut délégué par 
un synode des mêmes Eglises. « Il discuta avec tant 
de force, dit Eusèbe, qu'il amena les dissidents à ré- 
pudier leur erreur (1). » N'oublions pas que les évo- 
ques qui siégeaient à ces synodes étaient élus par le 
peuple de leur Eglise, et qu'ils ne ressemblaient en 
rien à un sénat recruté au gré d'un pouvoir monar- 
chique. 

Avec le quatrième siècle commencent les conciles 
généraux, qui ont la prétention de représenter la 
chrétienté. Cette grande transformation est l'une des 
premières conséquences de l'union de la religion 
nouvelle avec l'empire. Constjintin fut très-scanda- 
lisé des querelles qui divisaient l'Eglise. Il voulait 
bien la favoriser et l'enrichir, mais à la condition 
qu'elle ne fût pas la plus incommode des administra- 
tions de l'empire, et qu'elle présentât ce bel ordre et 
cette discipline bien réglée qui furent toujours l'idéal 
de l'esprit romain. Le concile de Nicée fut convoqué 
pour en finir avec les orageux débats que l'arianisme 
avait soulevés. Il fut tenu aux frais de l'empereur, 
dans son palais, et pour la première fois l'Orient et 
l'Occident chrétiens se trouvèrent en présence. On 

(1) £usôbe^ Hist. ecclés,^ \î, 37. 



— 8 — 

sait quelle fut l'issue de ce premier des conciles gé- 
néraux; Tarianisme en sortit condamné, mais non 
vaincu, car il succombait à un coup de majorité au- 
quel le puissant « évêque du dehors, » comme on 
appelait l'empereur, n'avait que trop poussé. Aussi 
la formule qui a triomphé au premier concile œcu- 
ménique est-elle un moule trop étroit pour la mé- 
taphysique chrétienne, qui a droit à plus de liberté, 
comme le prouve l'histoire de l'âge précédent. Ce 
n'çst pas non plus sans tristesse que l'on voit les 
représentants de l'Eglise, dont plusieurs portaient 
encore les stigmates de la persécution, attentifs et 
presque édifiés par les discours de cet étrange néo- 
phyte qui s'appelle Constantin. S'il a la foi cor- 
recte, il n'a pas les œuvres, car à peine aura-t-il 
prononcé le discours, je dirai presque le sermon 
d'adieu du concile, qu'il rivalisera avec les plus 
cruels césars en envoyant à la mort sa femme et 
son fils. Le concile de Nicée fiit essentiellement 
impérial, ou du moins entièrement en dehors de 
l'influence de Tévêque de Rome. 

Le second concile œcuménique se réunit à By- 
zance en 381, il prend la résolution la plus grave 
en complétant le symbole de Nicée par l'adjonction 
du dogme du Saint-Esprit. L'Eglise de Rome n'y 
est pas même représentée, et elle reçoit comme les 
autres Eglises une simple communication des dé- 



cîsîons qui viennent d'être arrêtées. Si Ton ne peut 
contester que Tinfluence de Tévêque de Rome 
grandit sur les ruines de tous les pouvoirs politi- 
ques au milieu des terribles bouleversements qui 
signalent l'agonie et la destruction de l'empire d'Oc- 
cident, il n'est pas moins certain que jamais aucune 
de ses décisions n'est aceeptéç comme suppléant 
aux décrets d'un concile ou cpmme empreinte du 
sceau d'une autorité indiscutable. Lès conciles gé- 
néraux des trois premiers siècles se considèrent tou* 
jours comme l'autorité souveraine en matière de 
doctrine et de discipline, et ils agissent en consé- 
quence. Même quand le pap6 de Rome (Alexandrie 
avait aussi le sien, portant le même nom) est d'ac- 
cord avec le sentiment général de l'Eglise et l'ex- 
prime d'une manière correcte, la chrétienté n'en 
tient pas moins ses grandes assises, qui reprennent 
toute la question débattue pour donner la solution 
définitive. C'est ce qui a lieu au concile œcumé- 
nique d'Ephèse (431) pour la polémique soulevée 
par Nestorius malgré la condamnation dont le pape 
Célestin avait déjà frappé sa doctrine. Le concile 
de Chalcédoine (449) se croit obligé de ratifier la 
lettre de Léon le Grand, écrite à l'occasion de la 
controverse d'Eutychès, et le pape lui-même déclare 
qu'il a besoin de cette confirmation conciliaire. Nous 
ne relevons ces faits qu'au point de vue du droit 



— 7 — 

antique de TEglise, sans nous attacher aux doctrines 
mêmes. Le christianisme primitif fut singulièrement 
surchargé à cette époque d'une métaphysique sub- 
tile. Gihhon a dit avec raison que cette dogmatique 
tourmentée, imposée à TEglise sous peine de con- 
damnation étemelle, ressemblait beaucoup h ce 
pont étroit comme la lame d'un rasoir qui, d'après 
la mythologie persane, doit conduire les âmes en 
paradis. En tout cas, ce n'est pas le pape qui en 
tient les clés, et il n'a pas encore établi le droit de 
péage qui coûtera si cher aux libertés de l'Eglise. 
. Lui-même reconnaît qu'il n'est point compétent pour 
décider delà doctrine h lui tout seul. Le pape Siricius 
(384-398) refuse de se prononcer sur l'hérésie d'un 
évêque; il déclare qu'il doit attendre le jugement 
des évêques de la province pour en faire la règle 
du sien. Quand l'évêque de Rome, oubliant cette 
sage prudence, formule un jugement hâtif sur les 
opinions contestées, et se met en opposition avec 
les grands docteurs de l'époque, organes du senti- 
ment général de la chrétienté, il est sévèrement ré- 
primandé, comme le pape Sosime le fut par les évê- 
ques d'Afrique pour avoir donné des gages au 
semi-pélagiarfsme. Le pape Vigile fiit même mis en 
dehors de la communion de l'Eglise au second con- 
cile de Constantinople (551) pour ses vacillations 
dans les controverses du temps ; il dut se soumettre 



— 8 ~ 

en déclarant qu'il s'était laissé prendre aux sugg^es- 
tions de resprit des ténèbres. L'aflfaire du pape Ho- 
norius est bien connue, elle fait même aujourd'hui 
autant de bruit qu'au septième siècle. Il est notoire 
qu'il avait accepté l'hérésie monothélite, qui n'ad- 
mettait qu'une seule volonté dans l'Homme-Dieu. 
Il est plus évident encore qu'il a été condamné par 
le concile œcuménique tenu à Constantinople en 
681, et que ses écrits ont été voués aux flammes. 
Les ultramontains, après avoir vainement essayé 
de contester l'authenticité de ce décret, s'efforcent 
d'en appeler et d'étabUr qu'Honorius a été mal com- 
pris. Nous reviendrons à cette question d'Honorius 
qui a pris une très-grande importance dans le débat 
actuel sur l'infailhbilité papale. Il demeure du pre- 
mier examen des faits qu'un pape au septième siè- 
cle n'était point considéré comme au-dessus du ju- 
gement de l'Eglise, et que l'autorité souveraine, la 
grande cour de cassation de la chrétienté, n'était 
pas à Eojne. L'Occident lui-même était d'accord 
avec l'Orient pour sauvegarder le droit de l'Eglise, 
car nous voyons en 774 la grande assemblée de 
Francfort rejeter le culte des images, que voulait 
lui imposer le pape Adrien I", qui cette fois s'ap- 
puyait sur les décisions d'un concile d'Orient. 

Tout change à partir de cette époque. Il ne rentre 
pas dans notre plan de retracer les agrandissements 



— 9 — 

du pouvoir papal et cette tentative ambitieuse de 
ressusciter une monarcliie universelle, une sorte 
de césarisme catholique mettant le glaive impérial 
au service de TEglise ou plutôt de son chef absolu. 
Pour réaliser ce rêve^ Eome déploya aux onzième 
et douzième siècles autant de génie, de ferme et opi- 
niâtre vouloir, de persévérante ardeur, d'habileté 
politique que la Rome antique. Elle eut aussi son 
corps d'armée modèle, sa légion, dans les grands 
ordres monastiques du moyen âge. Sans contester 
aucun des services qtfelle a rendus à la civilisation, 
il faut convenir qu'elle n'a pas plus hésité sur le 
choix des moyens que son illustre devancière dans 
la carrière d'une ambition sans limite et sans scru- 
piile. Nous en appelonsnu témoignage de ce fameux 
livre de Janus, qui ne vient pas d'une source hé- 
rétique ; on sait qu'il est l'œuvre de la portion la 
plus savante de ce catholicisme allemand peut-être 
destiné à sauver l'Eglise des dernières servitudes. 
C'est là que l'on peut suivre les envahissements de 
la domination papale, ses lents et sûrs progrès, et 
cet art incomparable de profiter des occasions chan- 
geantes pour réaliser un plan aussi immuable dans 
son dessein que souple dans les moyens employés. 
On voit l'EgKse de Rome devenir insensiblement la 
cour de Rome, la curie romaine subordonner de 
plus en plus la religion à ses fins politiques ; elle 



— 40 — 

s'allège l'esprit des inutiles préoccupations de la 
science religieuse, pour être tout entière au tu rC" 
gère imperio^ qui est sa devise, comme celle des' 
fiers conquérants dont elle occupe la place. — A la 
fin du septième siècle, le pape Agathon avouait aux 
Grecs que ce n'était pas dans le clergé romain qu'on 
pouvait trouver une profonde intelligence des Ecri- 
tures, « car, disait-il, obligé de gagner sa nourri- 
ture par le travail de ses mains, il ne pouvait faire 
autre chose que conserver avec simplicité la tradi- 
tion des anciens conciles. • Nous verrons tout à 
l'heure ce qu'était cette giïnpîicité ; elle demandait 
certes de grands efforts, un pénible labeur qui 
méritait une meilleure récompense que le pain 
quotidien. Aussi l'a-t-elle obtenue par la suprématie 
ecclésiastique, qui est devenue pour la curie ro- 
maine une source non-seulement de gloire mais en- 
core d'abondance. En légitimant son intrusion dans 
toutes les affaires religieuses, en multipliant !ej 
appels à son tribunal, en se rendant nécessaire pour 
toutes les nominations r^piscopales et pour tous les 
conflits, elle a véritablement étendu son diocèse aux 
limites du monde, elle a fait du pouvoir spirituel 
un glaive dont la pointe se retrouve partout, et donl 
elle seule tient la poignée. C'est ici qu'éclate l'ad- 
mirable simplicité dont lalouait le pape Agathon danà 
la conservation des anciennes traditions ; cette sîmpli- 



~ 11 -^ 

cité s'est trouvée compatible avec une habileté d'in- 
terprétation, consommée. Dante se plaignait déjà 
que Rome fût cnssî riche en juristes qu'elle était 
pauvre en théologiens. L'absolutisme monarchique 
n'a pas trouvé de scribes aussi dévoués et aussi in- 
trépides à fabriquer les preuves là où elles man- 
quent. C'est en effet le grand procédé des avocats 
de la suprématie papale au moyen âge ; ils enrichis- 
sent leur dossier, quand il est pauvre, de documents 
inédits jusqu'à eux, et qu'ils enjolivent à leur fan- 
taisie. 

La première, la plus célèbre de ces falsifications, 
est celle qui est attribuée à Isidore et connue sous 
le nom de^ fausses décrélales. L'origine en est assez 
singulière. Elle est l'œuvre de quelques éyêques des 
pays francs de la rive gauche du Rhin qui, voulant 
" s'aflfranchir de la dépendance de leur métropolitain, 
trouvèrent leur intérêt à éïever très-haut l'autorité 
du pape, à peu près comme les communes appuyèrent 
sur la royauté leur résistance contre la féodalité. 
Ces bons évêques ne reculèrent pas devant les men- 
songes les plus flagrants, et fkbriquèrent de toutes 
pièces des décrets de conciles (Jui faisaient une part 
léonine à la papauté. Le pape Nicolas I" trouva 
l'invention admirable et s'en servit; mais ce fut 
surtout Grégoire VTI qui en tira un grand profit 
dans sa lutte formidable contre Tenlpîre. Il Ct revi- 



— 42 — 

ser par ses légistes la collection quelque peu informe 
des évêques à demi barbares : les décrétales furent 
rangées dans un bel ordre et mises en état de ren- 
dre de précieux services à la papauté. Anselme de 
Lucca, neveu du pape Alexandre II, fut le grand et 
habile réviseur des décrétales, et mérite d*être ap* 
pelé le fondateur du droit grégorien. Le cardinal 
Dieudonné, également aux gages de Grégoire VII, 
amena Tœuvre au dernier degré de perfection; c'est 
lui qui inventa cette maxime commode, qu'il ne 
fallait tenir aucun compte des contradictions que 
Ton pourrait remarquer entre les textes rassemblés 
par lui, et cela en vertu du principe que l'autorité 
la plus faible doit toujours céder à la plus grande. 
Il s'ensuit que les traditions libérales de l'ancienne 
Eglise ne sauraient prévaloir sur les empiétements 
ultérieurs des souverains pontifes, par l'unique rai- . 
son qu'elles préfèrent la liberté à l'autorité ; celle-ci 
demeure le critère par excellence devant lequel tout 
doit fléchir. 

Pendant les siècles suivants, les falsifications uti- 
les furent considérablement augmentées, jusqu'à ce 
que l'école de droit de Bologne, vers 1150, en pu- 
bliât un répertoire complet, véritable arsenal de 
pièces controuvées — remises à neuf avec une ha- 
bileté juridique digne d'une meilleure cause; toutes 
les armes du despotisme religieux furent fourbies 



— 13 — 

et polies, de manière à être en état de servir au jour 
voulu selon les besoins de la cour de Rome. Nous 
nous bornerons à donner quelques exemples de ce 
droit, destiné à appuyer les prétentions de la curie, 
et qui a exercé très-certainement une influence plus 
considérable sur le sort de FEglise catholique que ne 
Tout fait tous les pères ensemble. On y retrouve na- 
turellement les fausses décrétales, tous ces prétendus 
canons des grands conciles, à commencer par celui 
de Nicée, auquel on fait dire qu'aucun concile ne 
devra être tenu sans l'ordre du pape. La donation 
apocryphe de Constantin qui abandonnait l'Italie au 
saint-père est recueillie avec soin. Nicolas II avait 
déjà fait une opération fort élégante sur un décret 
du concile de Chalcédoine qui formulait le droit 
d'appel aux premiers diocèses^ c'est-à-dire à un des 
patriarches orientaux ; le pape substitua le singulier 
au pluriel, vraie bagatelle dont le résultat était d'an- 
tidater de plusieurs siècles sa primauté. Gratien y 
mit plus de rondeur. L'ancienne Eglise d'Afrique 
avait rendu un décret fort incommode pour les pré- 
tentions papales : elle avait interdit les appels outre- 
mer, c'est-à-dire à Rome. Gratien ne se donna pas 
la peine de faire une interpolation ou une retouche; 
il changea résolument le canon de Carthage en sens 
contraire, et ce qui était défendu se trouva com- 
mandé. Il n'est jamais embarrassé quand ils'agit d'é- 



— i4 — 

tablir par de nombreux canons de son invention que 
le premier devoir de TEglise est de contraindre les 
hommes au bien et à la foi par tous les moyens 
coercitifs. « Le pape, dit-il, s'élève«au-dessus de tou- 
tes les lois de TEglise ; il peut en agir avec elles 
comme bon lui semble ; seul il donne de la force à la 
loi. > Voilà pourtant le livre qui, pendant tout le 
moyen âge, est devenu, par les soins de la cour de 
Borne, le code de l'Occident chrétien! Saint Thomas 
y a puisé se^ formules su? la primauté et Tautorité 
du saint-siége. Il s'en est servi en bonne conscience 
aussi bien que du prétendu document de l'ancienne 
Eglise grecque fabriqué au douzième siècle par un 
théologien latin qui, pour gagner les Orientaux 
aux théories papales, fait parler au gré du siège de 
Bomeles Chrysostome et les Cyrille. Il prête auda- 
cieusement aux pères les plus éminents des cinq 
premiers siècles des thèses'telles que celles-ci : « Jé- 
sus-Christ a transmis à Pierre sa toute-puissance, 
par conséquent le pape est seul en droit de lier et de 
lélier. Christ est absolument avec chaque pape. Un 
concile ne tire son- autorité que du souverain pon- 
tife. > Saint Thomas fit entrer ces maximes dans sa 
Svmme^ et jamais il ne parut mieux à Rome l'ange 
de l'école. Il est bon de montrer aux théoriciens de 
l'infaillibilité pontificale quelle est la généalogie de 
leur doctrine, M. Mannîng, dans sa lettre pastorale 



— 15 — 

à son clergé, exprime l'espoir que le concile en finira 
par un coup d'autorité avec cette damnée critique 
historique qui trouve toujours des objections nou- 
velles, et qu'il consacrera la méthode de la foi trans- 
cendante, n a raison, le concile n'aura rien fait s'il 
n'excommunie l'histoire qui, au point de vue des 
ultramontains, est une incorrigible hérétique. 

Revenons à notre examen rapide des conciles. Nous 
ne nous en sommes pas écarté, car les falsifications 
dont nous venons de parler y ont joué un bien grand 
rôle, spécialement dans ceux qui ont été tenus en 
Occident. Rien n'est plus dérisoire que les conciles 
réunis à Rome à partir du douzième siècle; le saint- 
siége ne les convoque que pour faire acclamer tous 
ses empiétements. Il les tient sous son absolue dé- 
pendance et les fait voter à son commandement. Les 
conciles de 1123, de 1139 et de 1179 ne portent le 
titre d'cecuméniques que par le plus étrange abus de 
langage. On compte au premier six cents abbés pour 
trois cents évoques. Il n'y a pas même un semblant 
de discussion : chacun opine du bonnet ou de la mi- 
tre après que le pape a parlé. En trois séances, l'af- 
faire fut bâclée au troisième synode de Latran, qui 
mérita d'être appelé le concile du souverain pontife. 
Le quatrième synode de Latran fut convoqué en 
1215, par Innocent III. Il fut plus nombreux que 
les précédents, mais non pas moins docile ; le pape 



— 16 — 

fit lire aux pères les décrets qu'il avait préparés, et 
le Te JDeum fut chanté. Le concile de Lyon de 1146 
eut pour mission de déposer Frédéric II; aussi le 
pape eut-il bien soin d'en exclure tous les évêques 
allemands. Au synode de Vienne en 1311, Clé- 
ment V réclama la condamnatioû des templiers, et, 
pour simplifier les choses, il fit proclamer par un 
prêtre que, si un évêque prononçait un seul mot sans 
son autorisation, il serait frappé d'excommunica- 
tion majeure. Voilà ce qu'était devenue la représen- 
tation de la chrétienté, grâce aux procédés de la 
curie. Jules II en 1512, pour occuper les.loisirs du 
concile de Latran, le consulte, dans sa troisième 
session, sur la translation de la foire de Lyon à Gre- 
noble. Il est vrai que par compensation le pape fit 
acclamer par cette assemblée et publia aussitôt après 
la bulle Pastor ^.ternus^ qui lui conférait une pleine 
autorité et une puissance illimitée sur les conciles, 
en se fondant sur les pires falsifications historiques 
du passé. Les conciles de Latran demeurent le mo- 
dèle du genre, et ils peuvent fournir des procédés 
conmiodes aux pouvoirs qui veulent manier à leur 
guise les assemblées délibérantes qu'ils n'ont convo- 
quées que pour la forme. Comme le dit Janus, la 
papauté avait fait de ses conciles romains le para- 
vent de son despotisme. 
Cependant l'Eglise n'avait pas accepté sans oppo 



— 17 — 

sitîon un joug si nouveau et sî humiliant. La France 
avait eu Tlionneur d'organiser la résistance au nom 
même des traditions les plus anciennes et les plus 
respectées du christianisme. L'université de Paris 
était devenue Tâme de cette opposition si grave, si 
sage. On pouvait regretter sans doute qu'elle fût 
trop au service de la royauté ; mais ce serait devan- 
cer les temps que lui demander nos notions moder- 
nes sur la séparation des deux pouvoirs. L'univer- 
sité de Paris inaugurait un mouvement d'idées qui, 
en définitive, devait y conduire; en s'opposant à 
l'immixtion de la papauté dans les affaires civiles, 
elle faisait un premier pas dans le bon chemin. Les 
hbertés de l'Eglise gallicane mettaient au moins 
quelques obstacles à l'efirayante centralisation tentée 
par la papauté, et plaçaient l'autorité dogmatique 
dans le corps tout entier et non pas seulement dans 
le chef. On sait que, grâce à l'abaissement et même 
à l'avilissement d'une-papauté divisée, l'Eglise galli- 
cane put, à l'époque du grand schisme d'Occident, 
faire triompher sesmaximes au concile de Constance. 
La condamnation de Jean Huss ne doit point nous 
rendre injuste envers cette grande assemblée, qui 
fut vraiment la représentation de l'Eglise. Gerson, 
l'illustre chancelier de l'université de Paris, fut 
l'inspirateur des décrets de la quatrième et de la 
cinquième séance, qui formulent avec autant de net- 



- 18 - 

teté que de vigueur la supériorité des conciles sur 
le pape non infaillible. < Tout concile œcuménique, 
disaient les pères de Constance, régulièrement con- 
voqué, représentant FEglise, tient son autorité im- 
médiatement du Christ. Chacun, même le pape, lui 
est soumis en matière de toi. » Confirmés au concile 
de Bâle, qui ne put terminer ses travaux, grâce aux 
intrigues romaines, ces décrets n'ont été ensuite 
écartés qu'au moyen d'une fraude pratiquée par les 
scribes du pape au concile de Florence, lequel sem- 
blait n'avoir d'autre objet que la réunion de l'Eglise 
gaecque à l'Eglise d'Occident, mais dont le but réel 
était de river les chaînes de la chrétienté, un moment 
détendues ; on ne fit avec les Grecs qu'une paix plâ- 
trée, parce qu'ils ne représentaient à cette époque 
qu'un empire aux abois et qui cherchait partout 

des appuis. Néanmoins la curie romaine a tiré de 

•• • 

cette assemblée un grand bénéfice pour ses préten- 
tions. Le décret principal du concile de Florence avait 
été formulé d'une manière assez ambiguë, c Le pape, 
disait ce décret, est le vicaire du Christ, la tête de 
toute l'Eglise, père et docteur de tous les chrétiens; 
il a reçu de. Christ le plein pouvoir de gouverner 
l'Eglise et de la garder en la manière qu'indiquent 
les conciles œcuméniques aussi bien que les canons. > 
Les Grecs trouvaient dans ces derniers mots une 
restriction suffisante à l'omnipotence de l'évêque 



— io- 
de Borne; ils entendaient s*en référer ainsi aux 
grands conciles œcuméniques des premiers siècles, 
tandis que les Latins, de leur côté, entendaient par 
là ces^ mêmes conciles falsifiés par leurs juristes, et 
les synodes de Latran, qui certes n'avaient nul be- 
soin d'être revisés. Cependant à Rome on ne se con- 
tenta pas de cette équivoque ; on ajouta trois lettres 
au texte du décret de Florence dans la traduction 
qui en fut donnée. Le canon original portait : le pape 
a reçu le pouvoir en la manière qu'indiquent les con- 
ciles. On traduisait à Rome : il a reçu le pouvoir, et 
c'est aussi ce qu'indiquent les conciles, — quemadr 
modum etiam au liende quemadmodum et. — Etiam 
au lieii de et^ ce n'est rien, et pourtant c'est tout ; la 
fraude est consommée. 

Si la Réforme enleva une partie de TEorope au 
saini-siége, elle contribua en même temps à préci- 
piter le mouvement de concentration qui accroissait 
l'autorité pontificale par les nécessités mêmes de la 
guerre religieuse. La papauté eut ses janissaires 
dans l'ordre des Jésuites, et trouva en eux des défen- 
seurs non moins impérieux. Ils la défendirent à ou- 
trance, mais en s'imposant à elle et en la contrai- 
gnant en définitive de servir leur système d'autorité. 
Elle devint tout ensemble leur idole et leur instru- 
ment. La réaction contre le joug des jésuites fut 
énergique, surtout en France, où la tradition de 



— 20 — ■ 

Gerson et de l'université de Paris était soigneuse- 
ment cultivée par les juristes de la royauté triom- 
phante. La centralisation de Paris ne pouvait s'ac- 
corder avec la centralisation de Rome, sansparlerdes 
légitimes résistances de la conscience chrétienne. Le 
concile de Trente mit aux prises les deux tendances; 
Tépiscopat de France et celui d'Espagne tinrent tête 
longtemps aux prétentions papales. C'est dans cette 
lutte plus ou moins ouverte que fut l'intérêt prin- 
cipal du concile, car, pour les graves questions dog- 
matiques qui divisaient alors la chrétienté, on se 
préoccupa de trouver des formules assez précises 
pour exclure la réforme, assez souples pour ne re- 
jeter aucune école catholique. « Lepape, dit le car- 
dinal Pallavicini, l'historien orthodoxe du concile, 
ne se prçnonça directement que sur un point, celui 
de laisser intactes les opinions diverses des scolastî- 
ques, afin qu'on ne s'aliénât aucune école sans né- 
cessité, et que les catholiques se sentissent unis 
contre les hérétiques. » Ces moyennes d'opinions 
sont difficiles à saisir. On s'en aperçut fort bien, 
lorsqu'après le concile deux des théologiens qui 
avaient concouru à la rédaction du canon sur la 
rédemption publièrent des commentaires parfei- 
tement contradictoires. Le pape prit des précau- 
tions beaucoup plus grandes pour les décrets qui 
concernaient son autorité. Il fit d'abord tout ce 



— 21 — 

qu'il put pour mettre le concile à sa portée. Un beau 
jour, ses partisans répandirent le bruit que la peste 
ravageait la ville de Trente; c'était une maladie 
toute bénigne et aimable, qui avertissait de ses in- 
tentions, car elle n'avait encore fait aucune victime. 
Aussi comprit-on bien vite qu'il s'agissait de la peste 
libérale, et le concile, qui s'était transporté à Bolo- 
gne, revint à Trente. — La cour de Eome pouvait 
se consoler de cet éloignement, car elle avait les 
bras longs. Elle envoyait l'inspiration divine aux 
pères par cette fameuse valise bourrée de bénéfices 
dont parlait assez irrévérencieusement Ferrier, l'am- 
bassadeur de France. Le chapeau ne fut accordé 
qu'aux bien pensants. Pallavicini raconte sans sour- 
ciller que dans un moment difficile le cardinal Mo- 
rone, légat du pape, mandait au saint-père qu'il 
ferait bien de tenir prêts un certain nombre d'évêques 
pour les envoyer à Trente dans le cas oii, ceux à! au 
delà les monts pousseraient trop loin leurs exigen- 
ces. Le vrai directeur du concile était Lainez, le 
supérieur de l'ordre des Jésuites. Quand il parlait, 
il faisait dresser son siège au centre de l'assemblée, 
et son geste nerveux était celui du commandement 
sans réplique. Les évêques italiens couvraient de 
leurs voix tumultueuses toute parole quelque peu 
indépendante. Un évêque de Cadix ayant afl^rmé 
que les métropolitains avaient autrefois ordonné les 



— 22 — 

évoques de leurs provinces, il fut violemment inter- 
rompu par le cardinal président, et les Italiens le ré- 
duisirent au silence par leurs trépignements et leurs 
clameurs. < Que ce maudit cesse de parler ! > s'é- 
crièrent-ils en chœur. 

Tels étaient les ressorts secrets qui faisaient mou- 
voir cette « grande et lourde machine » du concUe, 
selon l'expression de Sarpi. Les résultats, en ce qui 
concerne l'autorité papale, furent équivoques: l'in- 
faillibilité du saint-père fut réservée ; mais l'indé- 
pendance des évêques ne reçut aucuAe garantie, et 
la question de l'institution directe par Jésus-Christ 
resta dans le doute ou dans l'ombre. Elle s'était pré- 
sentée sous une forme assez singulière ; il s'agissait 
de savoir si le devoir de la résidence était pour l'é- 
voque d'institution divine ou papale. Le concile laissa 
sans solution les débats très-vifs soulevés à ce su- 
jet ; défense fut faite par la papauté d'interpréter 
d'une feçon quelconque les canons de Trente. La 
France ne voulut jamais les recevoir, parce qu'eDe 
les trouvait attentatoires aux droits du royaume, 
bien qu'ils fussent modérés, si on les compare à ceux 
des conciles de Lâtran, qui avaient siégé en quelque 
sorte dans les antichambres de la papautés 



CHAPITRE II 



PB L*iTAT DU CATHOLICISME BN FRANCE A LA VEILLE 
DU CONCILE ŒCUMÉNIQUE DE 1869. 



Pour bien comprendre le concile , ses orageuses 
discussions et ses résultats, il faut connaître l'état 
des divers partis catholiques avant son ouverture. 
Nous nous attacherons principalement à la France, 
réservant de nous occuper des autres pays, quand 
nous traiterons de la préparation de l'assemblée du 
Vatican. 

Sous l'apparence.d'une unité majestueuse le ca- 
tholicisme e§t en pleine crise ; il porte dans son sein, 
coimne Bébecca, deux peuples, qui déjk se faisaient 
une rude guerre intestine pendant la période pré- 
paratoire qui a précédé la manifestation en pleine 
lumière des tendances opposées. Nous vivons dans 
un siècle où tout marche avec rapidité. On peut dire 
de lui : Festinat ad eventum. Il précipite toute chose 
au dénoûment. Les vieilles institutions prennent le 
pas de course aussi bien que celles qui ont l'ardeur 
de la jeunesse et elles abrègent ainsi f=iingulièrement 
leurs destinées. Autrefois, une institution telle que 



— 24 — 

la papauté se gardait par sa propre immobilité; 
elle usait de réserve et de prudence, et sa politique 
consistait à se compromettre le moins possible dans 
la mêlée des événements. Voyez comme elle se tient 
en paix et en tranquillité pendant le cours, si ora- 
geux pourtant, du dix-huitième siècle ! Elle se garde 
bien d'intervenir dans les luttes philosophiques; elle 
poursuit son existence solennelle et monotone dans 
l'atmosphère assoupissante de la ville éternelle, se 
contentant d'être là gardienne respectée d'un musée 
d'antiquités religieuses et sociales qui a pour cadre 
la cité dès ruines. Avec la révolution française tout 
change; celle-ci communique son tempérament et 
sa fièvre à ceux qu'elle n'a pas gagnés ^ ses idées. 
De même que les généraux autrichiens empnm- 
taient au général Bonaparte .les tactiques de la 
guerre nouvelle et se faisaient ainsi battre leste- 
ment, de même les soutiens du passé le défendent 
avec les mêmes procédés foudroyants qui sont em-- 
ployés pour l'attaquer. Les vieux carrosses de cour 
se font traîner par une machine à vapeur, sûr moyen 
d'être brisés plus vite. C'est ainsi que la papauté, 
sortant de son repos et de son silence, a promulgué 
des dogmes nouveaux et convoqué un concile gé- 
néral; elle affirme avec audace ses prétentions les 
plus exagérées, elle veut user de ses prérogatives . 
les plus excessives, au lieu de les laisser prudem- 



— 25 — 

ment dormir. Elle n'a pas de trêve ni de repos 
qu'elle n'ait amené la question catholique à Tune 
de ces extrémités où les divisions ne peuvent rvuà 
se dissimuler,^ où las tendances opposées sont con- 
damnées à un choc inévitable. Il ne faut pas oublier 
cette marche nouvelle de la politique romaine et le 
résultat qu'elle doit entraîner, si on veut bien coil • 
prendre la gravité de la situation morale du catho- 
licisme, spécialement en France. 

C'est cette situation que nous désirons retracer 

' avec une impartialité complète, nous renfermant 
dans l'époque actuelle et ne remontant au passé 
que dans la mesure où cela est nécessaire pour 
comprendre le présent qui en diffère à tant d'égards. 
Il nous sera facile d'étabUr que nulle Egalise ne 
souffre de divisions plus graves que l'Eglise catho- 
lique de France; qu'elle renferme non-seulement 

-.deux partis, mais deux esprits, deux âmes, et qu'elle 
ne. pourra éviter le déchirement sous l'influence des 
événements considérables qui se préparent à Rome. 
L'Eglise de France est tout ensemble l'appui prin- 
cipal de l'ultramontanisme excessif et son plus re- 

' doutable péril. Au reste, dans cet exposé sincère, 
nous nous garderons bien de l'esprit d'injustice et 
de secte. Nous ne méconnaîtrons pas les beaux côtés 
de la piété catholique dans son courant le plus pur, 
car nous sommes de ceux qui pensent que dans la 



S) 



— 26 — 

grande reconstruction chrétienne de notre époque 
chaque Eglise aura sa part, et que toutes ensemble, 
comme les mages au berceau du Christ, apporteront 
ce qu'elles auront de meilleur, sous la réserve bien 
entendu du maintien intégral des vérités à jamais 
conquises, parmi lesquelles nous rangeons en pre- 
mier ordre le principe essentiel de la Rélormation. 



I. 



Un grand changement frappe à première vue dans 
la condition morale du clergé français au dix-neu- 
vième siècle, c'est la prédominance de Tultramonta- 
nisme au sein d'une Eglise qui s'était illustrée dans 
le camp opposé. Le gallicanisme proprement dit n'y 
existe plus, ou du moins il est tellement modifié 
qu'il n'a plus de rapport avec ce qui portait son 
nom avant la révolution. Tâchons de nous rendre 
compte d'une transformation si rapide et si totale. 

L'ancien gallicanisme français était à bien des 
égards infiniment supérieur h Tultramontanisme, du 
moins à celui qui sur tous les points se niontre 
fidèle aux principes de l'Eglise de Bome. Il avait 
conservé une certaine austérité, un caractère mâle 
et ferme qui préservait la piété de tomber dans la 
superstition ridicule et l'idolâtrie italienne; une 
forte sève morale le pénétrait à ses grandes épo- 



^27 — 

queô. En outre, il s'eflfbrçait de sceller l'union entra 
la foi et la raison. L'école de Port-Royal l'eût élevé 
plus haut encore si elle avait été adoptée par lui 
au lieu d'être sacrifiée à la société de Jésus, qui 
était pourtant Tennemi commun. Les flèches bril- 
lantes et acérées des Provinciales transpercent en- 
core l'école ultramontaine au travers de ses faux- 
fuyants et de ses équivoques. Si le jansénisme eût 
tempéré ce qu'il y avait d'excessif dans sa doctrine 
de la grâce, si l'esprit français tant redouté au 
concile de Trente eût subi son influence, l'histoire 
religieuse du royaume eût été sensiblement modi- 
fiée. Si le protestantisme, violemment expulsé, 
n'eût pas emporté avec lui un levain de libéralisme 
sérieux et chrétien, il eût transformé notre bour- 
geoisie et eût changé entièrement le cours de la 
révolution, en en faisant un large fleuve au lieu 
d'un torrent dévastateur. Malheureusement, le gal- 
licanisme rachetait son indépendance vis-à-vis de 
Home par une complète soumission au pouvoir 
civil, n asServissait l'Eglise au prince, et ses fa- 
meuses libertés n'étaient que les libertés du roi de 
régler les intérêts spirituels comme les intérêts tem- 
porels. Elles abaissaient la .dernière barrière devant 
son absolutisme. L'Eglise gallicane, au dix-septième 
siècle, eut tous les caractères et tous les inconvé- 
nients d'une V religion d'Etat. Elle fut sèrvile vis- 



— 28 — 

à- vis du trône et persécutrice pour les minorités re- 
ligieuses. Elle applaudit à la révocation de Tédit de 
Nantes, et prépara les terribles réactions de l'im- 
piété au siècle suivant. Bossuet en est la plus écla- 
tante représentation par l'élévation de la piété, la 
force de la pensée ; mais il a beau la parer du royal 
manteau de son éloquence qui atteint parfois par la 
splendeur du génie la poésie biblique, il n'allège 
pas ses cbaînes, il ne Taffirancliit pas du despotisme 
civil ; il a même accru sa solidarité avec la cause 
du despotisme par son fameux livre sur la PoUtiqu 
tirée de l'Ecriture sainte. Cette solidarité devait 
être bien funeste à l'Eglise gallicane, en associant 
ses destinées à celles d'un régime politique qui ne 
pouvait pas résister aux progrès de l'esprit public. 
Pendant tout le cours du dix-buitième siècle, l'Eglise 
gallicane reste fidèle aux traditions de Tépoque pré- 
cédente. Elle est toujours royaliste et persécutrice, 
du moins dans les bauts rangs de sa hiérarchie, 
bien qu'elle ait perdu les fortes croyances et subi à 
beaucoup d'égards l'influence de la philosophie ré- 
gnante ; on la voit refuser avec colère l'égalité 
d'impôt et surtout protester en termes violents 
contre la cessation de l'inique proscription du pro- 
testantisme : « Sire, lisons-nous dans l'adresse pré- 
sentée au roi au nom du clergé, à l'occasion de son 
sacre, vous réprouverez les conseils d'une fausse 



— 29 — 

paix, les systèmes d'une tolérance coupable. Il vous 
est réservé de porter le dernier coup au calvinisme 
dans vos Etats. Ordonnez qu'on dissipe les assem- 
blées schismatiques des protestants, excluez-les sans 
distinction de toutes les charges de l'administration 
publique, et vous assurerez pour vos sujets l'unité 
du culte chrétien. » Evidemment, le gallicanisme 
devait ou périr ou se transformer dans la société 
renouvelée par la révolution française. 

Il se montra tout d'abord divisé. Le haut clergé 
resta en majorité fidèle à l'ancien régime sur tous 
les points; une fraction importante des curés de 
province et de campagne se rallia au nouvel ordre 
de choses et essaya d'associer la religion à la ré- 
volution. Malheureusement, les empiétements de 
celle-ci sur la conscience religieuse, sa funeste ten- 
tative de constituer une religion nationale salariée 
par le pouvoir civil et même réformée par lui sur 
une base démocratique, sa prétention d'imposer aux 
ecclésiastiques le serment à une constitution qui 
portait atteinte selon eux aux droits du saint-siége, 
toutes ces fautes de l'Assemblée constituante, si 
chèrement payées par le pays, faussèrent toutes 
les situations. Le haut clergé, quoiqu'il fût l'ennemi 
juré de la liberté. civile, représentait le droit de la 
conscience dans sa résistance à des décrets qui dé- 
passaient la compétence d'une assemblée politique, 

2. 



— 30 — 

et le clergé inférieur, qui épousait avec arcleur la 
cause de la société moderne, sanctionnait l'un des 
principes les plus pernicieux de l'ancien régime 
qu'il repoussait, en tolérant l'intrusion de l'Etat 
dans le domaine spirituel. La persécution fit cesser 
ce déplorable malentendu; elle devint générale et 
attei^it toutes les convictions religieuses à la suite 
des saturnales du culte de la Raison; les prêtres 
qui avaient refusé le serment et ceux qui l'avaient 
prêté furent également frappés. Le clergé de France 
ajouta une belle page à l'histoire des martyrs par 
son courage et sa douceur devant l'éclxafaud et les 
massacres. Sans doute, la foi ne fat pas toujours 
l'inspiratrice de ce courage. Plus d*un haut digni- 
taire aurait pu répondre comme l'archevêque de 
Toulouse à ceux qui exprimaient quelque inquié- 
tude sur sa fidélité à l'Eglise, après una vie dis- 
sipée : <t Jusqu'ici vous n'avez vu que l'évêque. 
Vous allez voir désormais le gentilhomme ! > Ce- 
pendant la foi se ranima et la vie s'épura sous les 
coups de la tempête, et l'ancien clergé de France, 
décimé ou proscrit, fut à la hauteur de son devoir. 
Sa fraction aristocratique emporta dans l'émigration 
toutes ses traditions ; il demeura ce qu'il était avant 
la révolution, c'est-à-dire royaliste et au fond en- 
nemi de la liberté, avec cette différence que dans la 
chute des anciernes institutions politiques, il s'était 



— 31 — 

rapproché du centre de Tunité catholique. Quant 
au clergé dit constitutionnel, une fois délivré du 
salaire qui marquait sa subordination et le déshono- 
rait en paraissant être le prix de ses concessions, 
alors même qu'il obéissait à des convictions sin- 
cères, il travailla courageusement au rétablissement 
du culte sur un sol bouleversé. Ses succès furent 
rapides, et Ton put reconnaître à quel point la dis- 
parition d'une religion officielle, en ramenant les 
âmes des fictions qui les trompent à la réalité, hâte 
le réveil de la foi, car l'honmie ne peut pas long- 
temps se résigner au vide absolu des croyances qui 
le consolent, et quand l'abîme s'ouvre sous ses yeux 
au lieu d'être dissimulé par de vaines formes, il 
recule effrayé et redemande son Dieu. Le culte fut 
rétabli spontanément dans quarante mille paroisses. 
Deux conciles furent tenus à Paris. Ne dépendant 
plus de Eome, l'EgKse française s'efforça de ré- 
former la religion et le culte, et elle chercha cou- 
rageusement à réconcilier la foi chrétienne et la 
liberté. Le plus bel avenir lui était assuré quand le 
général Bonaparte lui ordonna de se dissoudre, et 
fit avec Rome ce funeste concordat qui coupa court 
à cette noble tentative, à laquelle l'évêque Grégoire 
avait, pris la plus large part. Tout ne fut pas ce- 
pendant perdu; l'esprit qui avait animé ces hommes 
de foi et de liberté leur survécut. Ils ont fait école ; 



— 3Î — 

ils ont eu, comme nous le verrons, des successeurs 
éminents qui ont recueilli leur héritage et.conservi 
leur tradition. Ils ont ainsi préparé un nouveau 
gallicanisme dégagé des attaches gouvernemen- 
tales, maintenant l'indépendance vis-à-vis de Rome 
sans se courber devant le pouvoir civil ; c'était le 
seul moyen de se rendre vraiment national dans' 
une époque telle que la nôtre, sous peine de n*être 
plus qu'un gothique débris de l'ancienne monar- 
chie. Du reste, ce nouveau gallicanisme a été jus- 
qu'ici réduit à une position de minorité et d'infé- 
riorité. Cependant c'est une grande chose que d'avoir 
gardé son drapeau. Il suffirait d'un vent favorable 
pour qu'il se déployât de nouveau largement. 

Il faut distinguer avec soin ce nouveau gallica- 
nisme de l'ancien, de celui qui avait repoussé réso- 
lument la révolution française, non-seulement à 
cause de ses atteintes aux droits spirituels de l'E- 
glise, mais encore à cause de ses réformes les plus 
justes. Ce clergé, persécuté pour avoir sauvegardé 
l'autorité du pape que la constitution civile du 
clergé foulait aux pieds, fut naturellement rattaché 
au centre de l'unité catholique par des liens plus 
étroits que par le passé. L'esprit d'opposition au 
saint-siége fut ainsi singulièrement amorti chez lui; 
il se préoccupa bien moins d'assurer son indépen- 
dance vis-à-vis du saint-père que de prendre ses 



.- 33 — 

précautions en face du pouvoir civil, depuis que 
ze dernier n'était plus aux mains du fils aîné de 
TEglise. Sans doute, ces évêques et ces prêtres 
éminents qui avaient bravé la persécution n'auraient 
pas accepté comme leurs successeurs des dog-mes 
nouveaux formulés à Rome sans le concours d'un 
concile général, mais l'esprit gallican n'en était 
non moins très-affaibli en eux, et le clergé qui al- 
lait être formé par eux pour les remplacer ne devait 
pas recevoir intacte l'antique tradition de l'Eglise 
de France. 

Mais le plus grand missionnaire de l'ultramonta- 
nisme n'a été ni un évêque ni un cardinal, mais 
bien le fougueux despote qui voulait tout plier à 
ses volontés. Il eut beau faire enseigner d'office 
ians tous les séminaires les quatre propositions du 
îoncile national de 1682 rédigées par Bossuet, il 
l'en contribua pas moins efficacement à rattacher 
l'Eglise de France à la papauté comme elle ne 
['avait jamais encore été. Napoléon I" y arriva, bien 
îontre son gré, de deux manières. D'abord, il poussa 
[e saint-père à une véritable usurpation de pouvoir; 
il l'y contraignit sans trop de peine. Voulant que 
le concordat fût mis à exécution à bref délai, il 
a'eut pas de repos que le saint-père n'eût destitué 
les évêques récalcitrants qui ne voulaient pas céder 
leurs sièges aux remplaçants désignés ou qui se 



— 34 — 

refusaient à se laisser supprimer. C'était mettre 
Tépiscopat aux pieds de la papauté et changer du 
tout au tout au profit de celle-ci Tancienne consti- 
tution de TEglise, Mais ses persécutions furent plus 
efficaces que ses faveurs pour hâter son triomphe. On 
sait aujourd'hui, grâce au beau livre de M. d'Haus- 
sonville sur l'Eglise de Rome et le premier Empire^ 
jusqu'où Napoléon poussa la violence vis-à-vis du 
vénérable Pie VII, avec quel mélange d'astuce et 
d'implacable dureté il chercha à en faire une es- 
pèce de préfet spirituel à ses gages, lui infligeant 
les plus cruels traitements sans ménager ni sa fid- 
blesse ni sa conscience, ni ce qu'il devait au pontife 
qui était venu le sacrer à Paris. Il ne réussit qu'à 
provoquer une réaction de respectueux dévouement 
en faveur de sa victime qui prépara l'opinion à se- 
conder l'ultramontanisme. 

Le retour des Bourbons arrêta un moment les 
progrès de cette tendance, car elle n'appartenait 
pas à cet.ancien régime qu'ils voulaient ressusciter 
tout entier ; ils n'avaient pas oublié que l'imion de 
l'autel et du trône, dans le sens gallican, faisait 
partie des institutions les plus fondamentales de la 
France monarchique. Le clergé fut sans doute l'ob- 
jet des plus grandes faveurs, au point de mettre 
promptement ses protecteurs en péril ; mais le pru- 
dent Louis XYIII n'était pas disposé à répudier les 



— 35 — 

traditions de sa race à Tégard de Rome, et à lui 
abandonner ses prérogatives royales, auxquelles il 
tenait d'autant plus qu'il en avait été plus long- 
temps privé. Charles X lui-même, qui poussait la 
dévotion jusqu'au bigotisme, opposa quelques ré- 
sistances aux prétentions de la cour de Rome. On 
se souvenait aux Tuileries que l'on pouvait être un 
roi très-chrétien et cependant maître chez soi; la 
plus pure tradition de l'ancienne monarchie n'était- 
elle pas celle de saint Louis, qui avait su mainte- 
nir son droit vis-à-vis du saint-siégeî II n'en est 
pas moins certam que l'ultramontanisme, encore 
contenu par le gouvernement et repoussé par 
quelques prélats éminents, gagnait tous les jours 
du terrain pour les raisons que nous avons déjà inr 
diqnées, et qui résultaient de l'histoire religieuse 
des vingt dernières années. En outre, il était favo- 
risé par le développement extraordinaire qu'avaient 
pris dans le pays les congrégations religieuses, à 
commencer par la société des Jésuites, qui est, 
comme on le sait, l'incarnation même de l'ultra-^ 
montanisme. Le gouvernement des Bourbons était 
inconséquent avec ses propres principes en encoura- 
geant ce mouvement dangereux, car il devait 
promptement emporter comme un torrent les quel- 
ques débris du gallicanisme subsistant encore. L'en- 
seignement des séminaires était livré aux congre- 



— 36. — 

gâtions, qui s'emparaient aussi de l'instruction du 
peuple ; par leurs missions retentissantes, elles fai- 
saient la propagande la plus active jusque dans les 
derniers villages. Elles transportaient les coutumes 
théâtrales du catholicisme italien dans TEglise de 
France, et élevaient leurs tréteaux jusque dans les 
cathédrales où avait retenti la voix des illustres 
prédicateurs qui savaient unir la raison à la foi, et 
auraient frémi d'indignation devant ces pasquinades 
dignes des lazzaroni de Naples. 

L'ultramontanisme eut la bonne fortune, à cette 
époque (de 1815 à 1830), de rencontrer un appui 
non pas plus actif, mais plus digne d'estime, dans 
l'un des plus grands écrivains du siècle, le célèbre 
abbé de Lamennais. Nous caractériserons plus tard 
l'homme et le talent, quand nous en viendrons à la 
grande crise de sa vie, qui fut une crise générale 
pour l'Eglise catholique. Pour le moment, nous 
nous bornons à rappeler son rôle sous la restaura- 
tion, tel qu'il fut apprécié par les hommes de ce 
temps, qui ne pouvaient pas alors pressentir un re- 
doutable adversaire dans l'ardent apologiste. La- 
mennais défendit la cause de la papauté avec le 
style enflammé d'un tribun de l'école de Rousseau. 
Il ne voyait d'autre salut pour la société que dans le 
rétablissement de la théocratie chrétienne du moyeu 
âge. Devenu illustre dès son premier ouvrage, qui 



f- 



- 37 - 

était un Essai sur l'indiférentisme^ vaste macliine 
apologétique où la compilation était rachetée par la 
passion, il fut constamment sur la brèche pendant 
ces années fiévreuses où toutes les idées se heur- 
taient avec violence. Il attaquait avec une sorte de 
fureur tous les soutiens de la tradition gallicane, se 
servant tour à tour de l'indignation brûlante et de 
l'âpre moquerie;- il exerça une influence considé- 
rable sur tout le jexme clergé, auquel il prêcha la 
guerre sainte. Il forma ainsi l'armée qui plus tard 
devait le combattre avec le fanatisme qu'il avait 
lui-même aUumé. Joseph de Maistre l'avait précédé 
dans la même voie; il avait, lui aussi, dans son 
livre du Pape^ poussé à outrance au développement 
de Tultramontanisme. Comme il était grand écri- 
vain, plein de verve et d'originalité, il avait puis- 
samment secondé le mouvement nouveau. 

Le catholicisme français se transformait tous les 
jours, retenu encore sur la pente par la grande fa- 
veur dont il jouissait auprès du roi. Chose étrange 
et pourtant expHcable! Un gouvernement catho- 
lique est plutôt un obstacle qu'un encouragement à 
l'ultramontanisme. Quand le clergé peut se récla- 
mer du pouvoir civil, il éprouve moins le besoin de 
. chercher son point d'appui à Eome. Il est d'autant 
plus national qu'il est plus protégé. Nous avons vu 
sous quelles influences, même dans la condition fa- 

3 



— 33 - 

vorable <jui lui était faite par le gouvernement de la 
restauration, il inclinait vers le saînt-siége. H était 
déjà gagné moralement par lui. La chute du trône 
des Bourbons le jeta à ses pieds, car désormais 
TEtat lui semblait Tennemi, puisque le trône était 
occupé par un prince philosophe, au fond très-op- 
posé au parti clérical. Rome n'était plus seulement 
le point d'appui, mais le moyen de résistance. La 
révolution de juillet acheva l'œuvre commencée 
par les proscriptions de la Convention, les impru- 
dences du premier empire et la propagande des Lar 
mennaîs et des Joseph de Maistre. L'ultramonta- 
nisme triompha sur toute la ligne, mais comme 
pour tous les partis vainqueurs, le jour du triomphe 
fut celui de la division. Rien n'est plus complexe et 
plus varié que l'histoire du cathoHcisme depuis la 
monarchie de juillet. Trois partis vont se former 
peu à peu : 1° l'ultramontanisme hbéral ; 2° l'ultra- 
montanisme absolutiste ; 3° le gallicanisme 'renou- 
velé poussant à une réformation modérée dans 
l'Eglise et au développement des libertés pubUquea 
dans l'Etat. 



lï. 



La révolution de 1830 fut dirigée conti*e Tancieii 
régime, aussi bien en religion qu'en politique. 



- 39 — 

BgHse catholique fut enveloppée dans les mêmes 
înes que le trône des Bourbons de la branche aî- 
B. Ce fut un moment critique. Heureusement 
UT elle, le nouveau gouvernement ne désirait 
n tant que d'effacer son origine révolutionnaire, 
de ramener la société à sa marche régulière. Il 

voulait pas montrer à l'Eglise une faveur qui 
rtait pas dans ses instincts, et qui eût été un péril 
ssî bien pour elle que pour lui, mais il voulait 
core moins la persécuter. Sa politique, en ce 
int comme en tout, était de donner une satisfkc- 
m modérée à Tesprît nouveau et de creuser im lit 
. flot révolutionnaire pour qu^îl s'y apaisât et s*y 
dormît. C'est ainsi .qu'il effeça de la charte tout 

qui ressemblait à la consécration d'ime religion 
Btat, mais il se montra le partisan très-décidé des 
Ites administrativement gouvernés, c'est-à-dire 
at ensemble salariés et contenus. Ce régime d'é- 
lîté pour les diverses fractions religieuses qui, en 
bange des avantages matériels leur imposait à 
as des servitudes légales, répondait parfaitement 
un système qui voulait éviter toutes les solutions 
iîcales. Le gouvernement C"^ Louis-Philippe ac- 
pta avec bonheur dans l'héritage du premier em- 
re le régime concordataire et le régime universi- 
ire qui réglementaient avec soin deux des plus 
ands services sociaux, la religion et Tinstruction 



— 40 — 

publique. Il n'admit, même pas la pleine liberté 
religieuse pour les cultes qui ne rentraient pas 
dans les cadres officiels, et eut le tort impardon- 
nable de les soumettre à la loi sur les associations, 
laquelle réclamait l'autorisation préalable de Tad- 
ministration pour toute réunion religieuse composée 
de plus de vingt personnes. Il est nécessaire de 
rappeler ces faits pour comprendre le grand mou- 
vement d'opposition qui se manifesta au sein du 
catholicisme au lendemain de la révolution. 

Un revirement libéral se produisit en eflfet dans 
la fraction de laquelle on l'eût le moins attendu et 
qui avait été personnifiée jusque-là par Lamennais. 
Poëte autant et plus que théologien, toujours homme 
d'impulsion, il était très-accessible aux impressions 
soudaines et irrésistible. L'héroïsme du peuple de 
Paris renversant en trois iours une monarchie ré- 
fractaire l'avait profondément ému. Il n'avait ja- 
mais d'ailleurs professé un grand attachement pour 
la dynastie qui venait de succomber, il l'avait même 
poursuivie de ses sarcasmes, quand il l'avait vue 
préférer le gallicanisme à son idole romaine. Il 
comprenait maintenant que le catholicisme serait 
perdu sans retour s'il se cramponnait aux ruines 
croulantes de l'ancien ordre de choses, et ce peuple 
vaillant qui s'était battu gaiement pour la Uberté 
contre les vieilles légions de la garde était à ses 



\ 



— ci- 
reux une noble conquête à faire pour la religion. 
Pour le gagner, il ftiUait résolument tourner le dos 
iu passé et épouser la cause libérale avec toute la 
passion qu'on avait déployée pour la cause con- 
Taîre. Le revirement fut prompt et complet. Il était 
pourtant moins absolu qu'on ne pourrait Timaginer 
m premier abord. Tâchons de pénétrer cette nature 
d originale, si véhémente et sincère jusque dans ses 
évolutions les plus étonnantes. On a publié récem- 
ment deux volumes de sa correspondance remontant 
Et sa première jeunesse. Us jettent un grand jour 
sur l'histoire de cette âme agitée. On voit qu'il dé- 
bute par une mélancolie profonde, une sombre in- 
quiétude unie à l'imagination la plus fiévreuse. 
Jamais il n'a connu la paix. Il a eu des élans de 
foi, mais rien qui ressemble à la calme et sûre pos- 
session de la vérité reUgieuse. Sa correspondance 
ttons révèle un fait très-curieux qui n'était pas 
îonnu jusqu'ici, c'est qu'il est entré dans la prê- 
trise sans vocation, qu'il s'en est longtemps défendu 
Bt que des influences très-grandes sur son esprit l'y 
Dnt comme précipité malgré lui. H y a des lettres 
le lui où il s'exprime avec amertume sur cette vio- 
lence qu'on lui a faite. L'aigle sentait déjà que la 
cage qu'on lui donnait était trop étroite et ses in- 
times eussent pu pressentir qu'il la briserait un 
jour, n fut sincère dans son attachement à son 



— 42 — 

Eglise, il eut des moments d*6xaltatîou mais il 
montra surtout son amtour pour sa cause en haïssant 
ses advei^ires; or U n'hésitait pas à rai^^er dans 
leurs rangs tous ceux qui m la servaient pas exacte- 
ment comme lui. Nous avons vu avec quelle fana- 
tique ardeur il défendit Tultramontanisme. Soa 
grand argument en faveur du cathoUcisme et de k 
papauté était l'universalité de la tradition qu'il {dé- 
tendait retrouver dans tous les temps et dans tous 
les peuples sous les superstitions les plus hizarras* 
n prétendait asseoir son système théocratique sur 
le suffrage universel du genre humain* C'est mm 
qu'il donnait une base démocratique au despotisme 
religieux. Rien ne devait l'empêcher, en gardaat 
le même fondement, de prêcher la république uni- 
verselle. Ses idées ont toujours été étroites, mais il 
y mettait le feu de son cœur et la splendeur de son 
imagination, et il les exprimait dans une langue 
simple et limpide qui continuait les grandes tradi* 
tions littéraires. Ce petit homme aux traita grâleif 
à l'expression timide et hésitante, était une pui>^ 
sance incomparable la plume à la main. Sn 1881f 
il était bien éloigné de se mettre à la tète des en*) 
nemis de l'Eglise. Il voulait au contraire la sauver 
en la réconciliant avec l'inévitable liberté qui devait 
désormais tout renverser sur son passage. Le meilr 
leur moyen de la rendre libérale était de lui x&ontret 



— 43 — 

qu'elie^fÂit intéressée elle-même à la revendicatioû 
des droits de tous. 

Vis-à-vis d'un goutèmement hostile et bientôt 
tirâcassier qui comptait la tenir en laisse, il n'y 
avait qu'une position qui fût digne d'elle : c'était 
celle d'une complète indépendance. Elle n'avait donc 
qu'une chose à £aire, c'était de rendre à César ce 
qu'elle tenait de César pour être tout à Dieu et à 
«on représentant sur la terre. Ainsi se concilierait 
le libéralisme nouveau avec Tultramontanisme qu'on 
avait défendu jusqu'alors : la séparation de l'Église 
et de rStat était en effet le seul moyen de s'affi*an- 
chir d'xm pouvoir nécessairement oppresseur par le 
seul ftit qu'il serait défiant et bien armé. Le journal 
rÂi>0fUt fiit fondé par Lamennais pour défendre ces 
généreuses idées. Le rédacteur comprenait qu'il ne 
s'agissait pas seulement de défendre l'indépendance 
de l'Eglise, mais encore d'une manière générale les 
droits de la conscience et la liberté civile. Aidé de 
deux jeunes collaborateurs dont nous aurons plus 
d'une fois à nous occuper, M. l'abbé Lacordaîre 
et M. le comte de Montalembert, l'un et Tautre 
comblés des plus beaux dons de Tesprit et du cœur, 
il remua profondément les esprits par une polémique 
acérée, vigoureuse, toujours éloquente, qui tendait 
à réconcilier deux causes qu'on s'était accoutumé à 
voir se combattre, la religion et la liberté. L'effet 



— 44 — 

fut immense, il fut d'autant plus grand que les 
jeunes collaborateurs de Tabbé de Lamennais ne se 
contentèrent pas de revendiquer théoriquement la 
liberté de conscience, ils essayèrent de la conquéfir 
en fait à leurs périls et risques sur le terrain de 
Tinstruction primaire, en ouvrant eux-mêmes une 
école de petits enfants, sans se soumettre aux au- 
torisations universitaires qu'ils considéraient comme 
un abus de pouvoir. Naturellement un procès s'en- 
suivit. M. de Montalembert devenu dans Tintervalle 
membre de la chambre des pairs se défendit devant 
cette haute juridiction, tandis que l'abbé Lacordaire, 
qui avait débuté par le barreau, remuait et passion- 
nait un nombreux public devant les tribunaux or- 
dinaires. Ce procès, perdu devant la justice, fiit 
gagné devant l'opinion. Pourtant l'émoi était grand, 
la portion arriérée ou simplement prudente du clergé 
était scandalisée. Lamennais n'hésita pas; confiant 
dans cette papauté dont il avait été jusqu'alors le 
champion le plus résolu, il partit pour Rome avec 
ses deux amis, afin d'obtenir l'approbation du saint- 
siège et de mettre fin aux attaques dont il était 
poursuivi. Il nous a laissé lui-même un récit de ce 
voyage qui est l'un des plus beaux livres de ce 
temps. Les Affaires de Rome sont tout un drame 
moral. Jamais le grand écrivain n'a déployé une 
plus magnifique éloquence. Il mêle avec un art 



— « — 

supérieur les poétiques descriptions de la nature 
italienne qu'il contemplait pour la première fois aux 
incidents si douloureux pour lui de son séjour dans 
la viUe qui lui était jusqu'alors apparue comme la 
cité de Dieu. Il y arrive disposé à en baiser la pous- 
sière et il n'y trouve qu'une misérable étroitesse, 
qu'intrigues et cabales. Là où il croyait aborder le 
sanctuaire de la vérité, il ne rencontre que Tim- 
posture au service de toutes les tyrannies ; les mar- 
chands tenaient boutique sous ces voûtes sous les- 
quelles devait selon lui parler Toracle de la vérité 
étemelle. Le pape avait été comme son Dieu; il 
l'interroge tout frémissant du désir d'en recevoir la 
lumière. Le Dieu se tait d'abord et refuse de s'ex- 
pliquer pour ne pas se compromettre, puis quand il. 
parlé, c'est pour maudire tout ce qui fait le fond 
de la conscience de Lamennais. On peut s'imaginer 
quel bouleversement inouï produit dans cette âme 
orageuse une déception semblable. Moins patient 
que Luther qui a vu tomber aussi les écailles de 
ses yeux, dans la ville sainte, il s'écrie : « A Rome, 
ils vendraient tout, s'ils le pouvaient, ils vendraient 
le Père, ils vendraient le Fils, ils vendraient le 
Saint-Esprit. » Il sembla pourtant d'abord faire acte 
de soumission, après que Grégoire XVI eut lancé 
sa fameuse encyclique sur la liberté de conscience. 
Rappelons-en le passage capital, car il forme en 

3. 



— 40 — 

quelque sorte le nœud 4e Taction da^s les destinées 
du catholicisme contemporfûu : 

€ L'expérieuce, disçût le pape, a fait voir de toutç 
antiquité que les Etats qui ont brillé par leur puifi* 
sauce ont péri par ce seul mal : la liberté immodé- 
rée des opinions, la licence des discour? et ramoor 
des nowewtés. LJ se rapporte cette liberté f^- 
ue$te et dout on ne peut avoir assez d'horreuTi U 
liberté de la librairie, pou? publier quelque écrit 
que ce soit. Quel homme en son bon sens dil^ qu'il 
faut laisser se répandre librement des pdsQQs, le« 
vendre et l^s trwsporter publiquement, lea boirç 
même, lorsqu'il y a un remède tel que ceux qui 
en usent parviennent quelquefois k écl)a.pper h la 
mort? 

< De la source infiacte de Tindifférontisme découle 
cette maxime absurde et erronée ou plutôt ce délire, 
qu'il faut assurer et garantir à qui que ce soit la 
liberté de conscience, » 

La soumission de Lamennais n'était qu*iine sur- 
prise du premier moment. Il se releva bientôt, op- 
posant anathème à anathàme. Son fameux livre dss 
Paroles d'un croyant est l'explosion de son indi- 
gnation. Il secoue la poussière de ses pieds contre 
la papauté et tout l'ordre social et monarchique 
qu'elle représente; il brûle ce qu'il a adoré au feu 
de ses colères et passe armes et bagages dans le 



- 47 - 

camp dô la déinôoratie. Nous n'avons pas à l'y sui- 
vre ; sa carrière désormais n'appartient plus h notre 
sujet. Reconnaissons seulement qu'il y a une sou- 
veraine injustice à le traiter de renégat et d'apostat : 
étant donnée sa nature ftpre et fougueuse, battue 
de Torage dès l'enfance ôomme les roches de sa 
Bretagne, la cruelle déception qui l'atteignit à 
Rome devait amener le cotttf ô-coup le plus violent, 
et ceux-là n'ont pas le droit de le maudire qui ont des 
grâces d'Etat toutes spéciales pour expliquer l'en- 
cyclique de Grégoire XVI, de telle façon qu'ils y 
glissent cette damnée liberté de conscience contre 
laquelle elle a été expressément dirigée. Lamennais 
a beau se séparer ouvertement de l'Eglise catho- 
lique, son influence y demeure grande. Il a laissé 
comme un brûlant éclair au fond du cœur de ses 
anciens disciples Lacordaîfe et Montalembert ; ils 
n'en guériront pas, et des fils soumis et valeureux 
de l'Eghse en seront souvent la plus grande in- 
quiétude, car en réalité ils n'ont pas abjuré leurs 
plus nobles erreurs de jeunesse. Ils se croient fer- 
mement dociles au saint-siége, mais ce qu'ils ont 
de meilleur proteste et résiste. Comment en serait- 
il autrement? Comment une abjuration serait-elle 
autre chose qu'une vaine forme ? La pensée dans 
l'homme n'obéit à aucune consigne,- pas même à 
colle qu'il voudrait se donner à lui-même, pas plus 



~ 48 — 

à un scrupule qu*à un calcul. Elle laisse passer la 
crise, puis elle se redresse invincible. 

De 1834 à 1848 le catholicisme en France sem- 
ble être unanime dans le sens de Tultramontanisme, 
sauf une fraction du haut clergé qui continue la 
tradition gallicane, plutôt dans la pratique ecclé- 
siastique que dans la littérature rehgieuse, par con- 
séquent sans faire grand bruit ni produire grand 
eflFet. 

Le siège de Paris, à la mort de Mgr de Quélen, 
fut occupé par un représentant éminent du galhca- 
nisme" moderne, Mgr Aflfre, dont la mort sublime 
sur les barricades de juin 1848, alors qu'il remplis- 
sait une mission pacifique, consacre à jamais la 
mémoire. Toute la portion active et jeune du catho- 
licisme français incline à Tultramontanisme et forme 
ce qu'on appelle le parti catholique, mot fâcheux 
qui mêle la religion à la politique. Cependant, si 
bien lié qu'il paraisse, le faisceau est destiné à se 
rompre. Deux tendances très-diflEêrentes sont réu- 
nies par les circonstances du moment ; la première 
porte en elle le levain de Lamennais, elle veut net- 
tement l'union de la liberté et de la religion, ce n'est 
point pour elle une ruse de guerre, c'est une con- 
viction passionnée, profonde. La seconde tendance 
sous le nom de liberté n'entend que les droits ou 
plutôt les prérogatives de l'Eglise. Elle seule est 



- 49 - 

selon le cœur de Rome et dans Tesprît de l'ency- 
clique de Grégoire XVI. Les deux tendances pen- 
chaient également alors vers Tultramontanisme , 
parce que pour les libéraux sincères, il diminuait 
l'autorité de TEtat, tandis que pour les autoritaires 
ecclésiastiques, il tendait à rétablir la théocratie 
et avec elle un despotisme complet au profit de 
l'Eglise. En attendant la scission qui ne saurait 
manquer dans une époque fiévreuse qui pousse tous 
les principes à leurs dernières conséquences, le parti 
catholique semble marcher de concert à la conquête 
des libertés religieuses. MM. de Montalembert et 
Lacordaire combattent sous le même drapeau que 
M. Veuillot ; cependant de notables diflFérences exis- 
tent entre eux, en attendant qu'elles deviennent 
des divergences radicales et tranchées. L'harmonie 
est obtenue, les jours de représentations générales 
dans la presse ou dans les chambres. Maintenant 
que la correspondance de quelques-uns des princi- 
paux membres du parti a été publiée après leur 
mort, il est facile de se rendre compte de tous les 
tiraillements qui avaient lieu alors dans les coulisses. 
Rien n'est plus intéressant à cet égard que la cor- 
respondance de Lacordaire avec Madame Swetchine. 
Cette grande dame russe, convertie au catholicisme 
par Joseph de Maistre à Saint-Pétersbourg et fixée 
à Paris pendant la seconde moitié de sa vie, a exercé 



— 50 — 

une influence considérable dans le monde reli- 
gieux. Elle Ta due h une rare distinction d'esprit et 
de cœur, à une admirable piété et à un dérouement 
inaltérable à ses amis. Ses écrits, publiés par M. le 
comte de Falloux et qui se composent en majeure 
partie de ses lettres, sont remarquables par ralliance 
bizarre de l'ardeur des sentiments et de la subtilité 
presque byzantine de l'esprit. Le style est spirituel, 
mais parfois prétentieux. En tout cas l'âme est sin- 
cèrement à Dieu, mais sa piété est au fond mêlée de 
beaucoup d'étroitesse. Elle avait fait de sou salon, 
présidé par elle avec ime parfaite bonne grâce, un 
lieu de propagande, et pour ne pas donner aux 
bonnes résolutions le temps de se refroidir, un petit 
escalier tournant conduisait à une chapelle souter- 
raine où l'on pouvait adorer le SaintrSacrement. 
Madame Swetchine par ses amitiés variées était 
comme le point de jonction des deux tendances du 
parti catholique, qui se rencontraient et se neutra- 
lisaient ou se fusionnaient sur ce terrain d'aimable 
et pieuse causerie. Du reste elle s'y employait 
avec zèle et elle savait déployer un art infini 
pour faire disparaître toutes les dissonances, Au 
fond elle n'aimait pas la liberté, mais elle avait de 
chauds amis dans son camp et elle eût très-mal pris 
qu'on les attaquât. Mais aussi elle leur demandait 
bien des concessions, comme on peut s'en couvain- 



— 51 — 

cre par sa corpespondancei avec Lacordaire. KUe eût 
volontiers rogné ses ailes et singulièrement bridé 
son essor, s'il eût été de ces hommes qui se laissent 
enchaîner. On voit par ses lettres h quel point Tan- 
cien disciple de Lamennais était en suspicion de la 
part des purs et des exagérés, combien il soulevait 
de scandales dès qu'il était complètement liii-mâme. 
n est d'un haut et douloureux intérêt de suivre toute 
cette histoire intérieure qui l'a usé. 

Toujours est-il que les divisions, quoique pro- 
fondes, furent presque complètement dissimulées 
au dehors pendant cette période qui dura jusqu a- 
jffès la révolution de 1848. Quand sous le ministère 
de M. Gxiizot le parti catholique organisa vers 1843 
sa grande croisade cont^ l'enseignement obligatoire 
de Tuniversité, c'est-à-dire contre l'enseignement 
donné par l'Etat, en réclaniant la liberté complète 
de l'enseignement à tous ses degrés, il combattit 
comme une armée compacte dans les journaux et à 
la tribune, il s*attaqua avec énergie à ce qui lui 
semblait défectueux dans la direction des hautes 
études philosophiques alors conduites par l'illustre 
fondateur de l'éclectisme, M. Oousin , qui sous ce 
nom élastique faisait enseigner d'o£5ice un mélange 
de spiritualisme et de rationalisme prudent. Quand 
M. de Ifontalembert s'écria à la tribune de la cham- 
bre des pairs, en s'adressant à ses adversaires : 



— 52 — 

Vous êtes les fils de Voltaire et nous sommés les fils 
des croisés^ il parla vraiment ce jour-là pour tout le 
parti catholique sans distinction. C'est que tant qu'il 
s'agissait de demander la liberté de l'instruction 
publique, les deux fractions de ce parti poursui- 
vaient un intérêt commun qui était l'abolition du 
joug universitaire, quitte à se diviser le lendemain 
de la victoire. 

La révolution de 1848 n'apporta pas immédiate- 
ment un changement considérable dans la* situation 
des diverses fractions du catholicisme. Celui-ci put 
reconnaître à la tolérance et même à la faveur dont 
il jouit au lendemain de la chute du trône de Louis- 
Philippe combien il sert mieux ses vrais intérêts en 
ne s'appuyant pas sur le pouvoir civil. Tout le 
monde savait qu'il avait été tenu à l'écart ou du 
moins qu'il n'avait pas contracté ime alliance étroite 
avec la monarchie de juillet. Cela suffit pour qu'il 
n'eût point à souffrir du triomphe de la révolution. 
Bien plus, elle vint au-devant de lui et demanda 
à son clergé de bénir ses arbres de liberté. Le mot 
mordant et spirituel d'un ouvrier qui, assistant à 
Tune de ces cérémonies si fréquentes alors, s'écria : 
Ce rCest pas cela qui le fera croître^ n'a été que 
trop justifié, mais il n'exprimait pas alors la pensée 
générale. Le gouvernement provisoire fut plein de 
ménagements pour le clergé et ne songea pas à 



— 83 — 

toucher à son traitement. Il faut reconnaître que 
les principaux représentants du catholicisme accep- 
tèrent sans tristesse les événements de février et 
qu'ils chantèrent de bon cœur le Te Deum d'une 
révolution qui les débarrassait d'un pouvoir au fond 
hostile à leurs prétentions. Pendant cette période 
toutes les voix semblèrent d'accord dans le parti 
catholique ; quelques-unes chantaient bien quelque 
peu au-dessus du ton en manifestant leur*admira- 
tion pour la démocratie, tandis que quelques autres 
restaient au-dessous par manque d'enthousiasme. 
Mais la dissonance ne se produisait pas encore. 
Elle éclata à l'occasion de la discussion sur une 
nouvelle loi pour l'instruction publique qui eut lieu 
en 1850. On était en pleine réaction contre la répu- 
blique. Les diverses fractions du parti conservateur 
et monarchique s'étaient coalisées pour conjurer le 
péril commun. Les anciens universitaires étaient 
très-disposés à faire de larges concessions aux catho- 
liques afin de raffermir le principe d'autorité. Ce 
n'était nullement de leur part un retour à la foi 
chrétienne, c'était affaire de propriétaires qui cher- 
chent un ciment solide pour leurs murs de clôture. 
L'Eglise paraissait la meilleure compagnie d'assu- 
rance pour les biens-fondSy et les curés étaient ap- 
pelés en Ugne pour doubler les gendarmes reconnus 
impuissants à eux seuls. Un bon nombre de catho- 



— 84 — 

liques libéraux eurent le tort <i'eutrer daud cette 
alliance < La constitution actuelle, di6aient41s, est 
le radeau où nous nouB domines rencontrés comme 
des naufragés. Efforçons-nous de le faire aborder au 
rivage. » Ce rivage, c'était le ïôtabliâsement de la 
société sur des bases catholique». Pour y amver, on 
trouva bien plus commode de se servir de cett^ 
vieille machine à despotisme qui s'appelait l'univer- 
sité, contre laquelle on avait dépensé tant d'^o- 
quence. On se gardait bien de demander ceitte li- 
meuse liberté de l'instruction dont on {^vait fait ma 
arme de guerre sous le gouvernement précédent. 
On profita de ce que les maîtres du ïnonopole uni- 
versitaire étaient disposés à livrer la place au ca&o- 
licisme et, comme on l'a dit spirituellement, on s'y 
glissa par une poterne. En d'autres tétines on fit au 
clergé une part léonine dans la directioti de l'uni- 
versité à tous ses degrés, dans son conseil supé- 
rieur comme dans toutes les académies de province ; 
on lui accorda dé telles immunités pour l'instruction 
élémentaire que l'enseignement laïque ne pouvait 
presque pas tenter la concurrence. Cette déplorable 
loi qui dans ses dispositions principales nous régit 
encore est la grande faute de la fraction du parti 
catholique qui avait obéi jusqu'alors à la vois de 
M. de Montalembert. L'autre fraction que nous au- 
rons rarement l'occasion de louer, celle que conduit 



— 83 — 

M. Veuillx)t, demeura plus fidèle aux vrai» principes 
et combattit le monopole universitaire sous cette 
forme nouvelle. La scission fut ouverte, elle ne fit 
que s'aigrir désormais. 

Les événements de décembre 1851 amenèrent une 
déchirure profonde, irrémédiable. Dans l'abaisse^ 
ment de la patrie livrée sans partage au despotisme, 
dans ce naufrage de toutes les espérances avoua- 
bles, de toutes les libertés, dans le silence de toutes 
les voix généreuses, un cri de triomphe, un alléluia 
retentit, il ve^ait du camp cathc^que violent. L^ 
sang fumait encore dans les rues de Paris, les dé- 
fenseurs de la constitution étaient traqués comme 
des bêtes fauves, quiconque avait au cœur un senti-» 
ment de dignité frémissait de douleur et dlndigna- 
tion. C'est ce moment que choisit le journal de 
M. Veuillot pour louer le ciel de tout ce qui venait 
de s'accomplir. La liberté avilie, abattue, un bâillon 
sur les lèvres, fi)ulée aux pieds par la force déchaî^ 
née, supprimée pour de longues années, voilà ce 
qui ravissait cette feuille cynique et avec elle une 
portion considérable du clergé qui espérait tout de 
la servitude où il voyait son alliée naturelle. Cette 
tendance grossièrement absolutiste ne fit que se 
prononcer tous les jours davantage. Grâce à Dieu, 
l'Eglise catholique de France n'appartenait pas tout 
entière à cette horde trop nombreuse et trop ap» 



-- 56 — 

prouvée en haut lieu. La tendance vnument libérale 
qui avait commis bien des fautes et fait bien des 
concessions surtout dans les derniers temps, mais 
qui avait conservé son instinct généreux, releva la 
tête et répondit avec une énergie indignée aux 
odieuses congratulations qui retentissaient de toutes 
parts. Maintenant que Tancien parti catholique s'est 
partagé, il est temps de faire mieux connaître les 
chefs de ses deux fractions, appelés à jouer le rôle 
principal dans la lutte acharnée qui va se livrer 
avec des chances bien inégales, car, ne l'oublions 
pas, au point de vue de Torthodoxie catholique la 
partie est perdue d'avance pour les libéraux; ils 
ont, comme on dit vulgairement , du plomb dans 
l'aile depuis l'encychque de Grégoire XVI. 

Lé parti haineux, violent, qui maudit toutes les 
libertés, s'est personnifié dans un homme qui est in- 
contestablement le plus grand insulteur de la presse 
contemporaine; c'est le trop célèbre rédacteur de 
Y Univers religieux^ M. Louis Veuillot, qui a trans- 
porté au service de l'Eglise la fougue révolution- 
naire et ce que la démagogie peut avoir de plus âpre. 
Il a certainement un talent vigoureux de satiriste 
impitoyable, mais aussi il ne se refuse rien et ne 
recule devant aucune personnalité, qu,elque inju- 
rieuse qu'elle soit. Quiconque n'est pas absolument 
avec lui n'est plus bon qu'à être jeté à la voirie et 



— 57 — 

ii s'emploie diligemment à cette exécution. Son 
bonheur est d'exaspérer la société moderne et libé- 
rale ; il la traite comme un taureau devant lequel 
on agite un cbiflEbn rouge. D s'en va chercher dans 
le passé de l'Eglise ce qu'il y a de plus compromet- 
tant, déplus odieux à la conscience moderne, l'in- 
quisition, la révocation de l'édit de Nantes, ou bien 
il exhume, pour les glorifier, les plus tristes mémoi- 
res, comme celle du cardinal Dubois, ravi quand il 
a pu provoquer l'indignation des amis delahberté. 
Sa polémique est ime suite de défis arrogants à tou- 
tes les opinions courantes ; sa main est levée contre 
tous. Ses deux pamphlets les plus célèbres sont : les 
Parfums de Home et les Odeurs de Paris ; on com- 
prend l'antithèse. La société française est dépeinte 
avec une telle crudité de pinceau et un tel cynisme 
de langage que l'on est constamment saisi de dé- 
goût. M. Veuillot n'a pas assez de sarcasmes pour 
ceux de ses coreligionnaires qui prétendent unir le 
catholicisme à la liberté politique. Il a dirigé contre 
eux ses traits les plus cruels. Ce qui fait la force de 
ce pamphlétaire dévergondé, c'est qu'on le sait au 
fond très-approuvé du saint-siége ; il en reflète les 
idées intimes. C'est un lansquenet du pape qui frappe 
au bon endroit. Certainement, quand on retracera 
l'histoire de l'athéisme contemporain, on tiendra 
bon compte du succès que lui a valu un apolb- 



_ 88— 

giste de balle et de carrefour tel que M. VeuiUot, 
car si quelqu'un pouvait inspirer Thorreur de la 
religion, c*est Uen lui. Ce dévot furibond servira de 
circonstance atténusuite à tous lea impies de sob 
temp&. 

Quand on a nommé AcbiUe, à quoi servirait la no- 
menclature de ses pâles lieutenants? Quand M. Veuit 
lot a parlé, qui pourrait-on entendre à côté de ki! 
La voix, de ce Cerbère couvre toutes les insultes qui 
glapissent à sa suite. Cependant Tépiscopat hiî a 
fourni cea dernières années deux acolytes assez dis- 
tingués. Mgr révoque de Nîmes enferme dans ses 
mandements tout le fiel dont ce genre de littéra* 
ture est susceptible, et Mgr de Poitiers ne domie 
pas tous les jours la comédie, conmie lorsqu'il fit 
l'oraison d'un prétendu martyr de la cause papale, 
qui lui joua le sort de ressusciter sous la forme 
d'un vulgaire fripon. Défenseur de l'ultramonta- 
nisme le plus outré, Mgr Pie a écrit des mandements 
dignes de figurer dans V Univers. Citons aussi 
Mgr de Montauban^ qui mérite de prendre rang 
parmi les Sfélmti; une portion considérable du 
clergé de province marche sous la direction de ces 
coryphées de l'ultramontanisme. V Univers réunit 
pour lui les avanti^es de la bonne doctrine et des 
amusantes méchancetés, il édifie et il déride tout en- 
semble, c Quand je bois mon café et que je lis mon 



— 89 — 

Umers^ disait un bon ouré de campagne, je suis le 
plus heureux des hommes. » 

Voilà pour le parti violent du catholicisme. Pas- 
sons au parti qui aime la liberté et qui n'a pas 
chanté Thosanna du despotisme. 

Nous avons tout d'abord une figure très-originale 
dans le haut clergé : c'est Mgr Dupanloup, Tévêque 
d'Orléans. Impétueux, il Test toujours ; son tempé- 
rament est bouillant, sa verve facile, animée; c*est 
un évoque journaliste qui a un grand art de discus- 
sion. Auteur d*écrits estimés sur l'éducation, il doit 
sa réputation avant tout à ses talents de controver- 
siste toujours sur la brèche. Il a notoirement pris 
parti contre VUnwers^ d'abord dans une thèse qui 
semblait uniquement littéraire. Un abbé Gaume, 
devenu évêque depoî» lora, avait imaginé de com- 
battre les études classiques sous le nom àeverron^ 
fewr. M. Dupanloup, esprit cultivé, prélat destiné 
t l'Académie française, a stigmatisé cet obscuran- 
i^ne barbare, qui n'est paa du reste dans les tra- 
itions romaines. Il 8*est toujours montré partisan 
e la liberté politique, pourvu qu'on n'eût pas l'in- 
iscrétion de la réclamer à Eome. L'abbé Oœur, 
vêque de Troyes, mort depuis ; Mgr Sibour, arche- 
èque de Paris, frappé par le poignard d'un assas- 
in au moment même où il taisait faire un. procès à 



— 00 — 

r Univers pour Texagération de sa polémique, ap- 
partenaient à la même tendance. 

Trois hommes ont surtout marqué dans le parti' 
du libéralisme catholique. Ce sont d'abord les deux 
anciens disciples de Lamennais, l'abbé Lacordaire 
et M. de Montalembert. Le premier avait renouvelé 
les fêtes de la grande éloquence sous les voûtes de 
Notre-Dame; on avait beau le tenir en suspicion et 
à l'écart à la suite de sa collaboration avec Lamen- 
nais, il avait suffi qu'il élevât la voix dans une pe- 
tite chapelle du collège Stanislas, pour que «a ma- 
gnifique parole eîlt un retentissement tel qu'il fallut 
bien, malgré les clameurs immenses du bigotisme, 
le faire monter dans la chaire de l'église métropoli- 
taine. On prit ses précautions, on lui demanda com- 
munication de ses plans de discours. Mais une fois 
livré à la fougue de l'inspiration, le torrent empor- 
tait tout, et on cherchait vainement au banc de l'ar- 
chevêché à retrouver, dans l'ardente improvisation 
de l'orateur, le canevas approuvé. Il côtoyait les 
abîmes, sans y tomber pourtant, mais le souffle qui 
l'animait était tout moderne et libéral. On connaît 
son entreprise de ressusciter l'ordre des Dominicains 
en France; la robe blanche du moine ne faisait 
qu'un contraste de plus avec sa manière toute laïque 
de penser et de parler. Ses conférences prêtent à 
bien des critiques : le raisonnement frise souvent 



— el- 
le sophisme, la dialectique y est plus d'une fois fan- 
taisiste, et après tout, le fond même du vieux 
dogme catholique est défendu par lui. Mais une 
flamme généreuse circule au travers de tout le dis- 
cours; elle le traverse parfois, et alors l'auditoire 
subjugué, entraîné, subit la commotion électrique 
de la grande éloquence. Ce qui surnage toujours, 
c'est un ardent amour de la Uberté. Au lendemain 
du coup d'Etat, il s'exprima avec une telle énergie 
dans un sermon prêché à Saint-Roch, que toutes les 
chaires • de Paris furent désormais fermées à l'il- 
lustre dominicain. On ne l'y entendit de nouveau 
qu'à son discours de réception à l'Académie fran- 
çaise. Depuis sa mort, arrivée en 1861, le public a 
été initié aux secrets de sa vie intérieure. Ce bril- 
lant orateur, qui faisait parfois l'eflFet d'un tribun, 
était en réalité un vrai moine par l'austérité. Il se 
livrait en secret à des macérations mouïes, qui ont 
certes abrégé sa vie. Il avait soif d'humiliation et 
de souflfrances, et ne reculait pas devant un ascé- 
tisme qu'un fakir eût difficilement surpassé. Au 
fond, Lacordaire a immensément souffert du conjlît 
intérieur entre ses convictions de jeunesse, qui ré- 
pondaient à ses instincts les plus profonds, et sa 
soumission sincère, mais forcée, à la papauté. Il 
selitait bien qu'au-dessus de la lettre il y avait l'es- 
prit, et que celui qui soufflait à Rome n'animait ni 

4 



— 691 — 

son âme ni sa parole. Son autobiographie, que Ton 
a appelée avec raison son testament, et qui a été pn^ 
bliée par les soins de M. de Montalembert, nous ini- 
tie mieux que sa correspondance arec Madame Swet- 
chine à ce douloureux partage du cœur et de Tesprit, 
entre son attachement à un dc^me intraitable et 
son sincère amour de la liberté. Ces admirables pages 
font revivre avec sa vraie physionomie, tout en- 
semble forte et ardente, ce généreux esprit à qui la 
mort a épai^é les luttes suprêmes où sa tendance 
se trouve actueUement engagée (1). 

M. de Montalembert a été le digne émule et Tami 
fidèle du grand prédicateur dominicain. Hus mobile, 
plus emporté par nature, il a eu plus de peine à se 
défendre des puissantes attaches qui le liaient à La- 
mennais ; mais aussî, pendant un tem|», la rupture 
a été plus radicale. Il y a même eu une phase où il 
a paru préférer TEglise à la liberté ; c'est pendant la 
violente réaction qui suivît la révolution de 1848. H 
n'eut pas, à la veille des événements de 1851, l'at- 
titude qui convenait à son passé. L'horreur de la 
démagogie Tînclina un instant vers le césarisme; 
mais comme il s'est relevé de cette défaillance f avec 
quelle magnifique éloquence il a foudroyé l'absolu- 
tisme et ses suppôts, surtout ceux qui étaient le 

(l) Voir le Testament de Lacordaire^ publié par M. de Mon- 
talembert. 



— 63 - 

plus près de lui et déshonoraient le catholicisme par 
d'indignes alliances I Sincèrement chrétien, tou- 
jours passionné et véhément, il est revenu à son 
vrai dr^eau, et nous verrons avec quel courage il 
a su le déployer en face des préjugés les plus te- 
naces. La race anglo-saxonne n'a pas d'admira- 
teur plus fervent et plus éclairé que ce gentilhomme 
catholique. 

Le trdsième chef du parti catholique libéral était, 
6n 1652, un jeune professeur de la Sorbonne, 
M. Frédéric Ozanam, . enlevé avant quarante ans, 
par une jQaladie de poitrine, h la plus brillante car- 
rière, n avait l'avantage inappréciable d'être en re- 
lation constante avec la jeunesse universitaire, par 
son cours sur les littératures étrangères, riche de 
savoir et d'éloquonçe. £n même tenips, il avait été 
l'un des fondateurs de la Société de Saint- Vincent 
de Paiil, société laïque destinée à visiter les indi- 
gents et h former entre les jeunes catholiques un 
lien d'activé charité, Ozanam unissait aux plus 
beaux dons de l'intelligence une piété admirable. 
Déjà, malade et exténué, on le voyait gravir les 
étages des maisons indigentes pour apporter aux 
pauvres le secours matériel et la parole sympa- 
thique. Grftce à lui, l'association avait grandi rapi- 
dement, et elle était animée à ses débuts de la plus 
pure charité. Ozanam avait toutes les plus gêné- 



— Ci- 
reuses passions de la jeunesse, à commencer par 
celle de la liberté. Lui aussi rêvait ralliahce entre 
ses plus chères, croyances humaines et sa foi reK- 
gieuse. Cette pensée était l'âme même de son ensei- 
gnement, qui obtenait à la Sorbonne un très-grand 
succès, par la sûreté de l'érudition et Téclat enfié- 
vré d'une éloquence qui Tépuisait. Il avait des mots 
d'une singulière hardiesse, tels que celui-ci : c E y 
a des gens qui ne croient à leur Dieu que quand on 
lui a jeté un manteau de pourpre sur les épaules. > 
— « Non, non, disait-il une autre fois, je ne cms 
pas que le feu ait jamais eu le pouvoir de vaincre 
une pensée, si fausse et si détestable qu'elle soit. > 
Rien n'est touchant comme la résignation de M. Oza- 
ûam, quand il apprit qu'il devait sacrifier, dans sa 
plus verte maturité, tout ce qui faisait pour lui le 
prix de l'existence, le bonheur domestique le plus 
pur, la carrière la plus belle et la plus utile, l'ave- 
nir le plus brillant. Je ne connais rien de plus ad- 
mirable que sa mort, racontée par le père Lacor- 
daire. 

Citons encore, parmi les adhérents de la même 
tendance, le prince de Broglie, représentant émi- 
nent d'une des familles les. plus respectées de 
France, petit-fils de Madame de Staël, fils du duc 
de Broglie, qui est l'un des types les plus purs, les 
plus fermes de l'homme d'Etat libéral et chrétien, 



— 68 — 

Qflexîble soutien de la justice. M, A. de Broglie a 
loblement porté ce redoutable héritage. Historien 
èminent de TEglise du quatrième siècle, son talent 
n'est jamais plus remarquable que dans la polé- 
mique religieuse ou politique ; il y porte une fière 
ironie qui donne à son éloquence un tour singuliè- 
rement incisif. On reconnaît qu'il n'a pas respiré 
l'atmosphère orageuse de l'école de Lamennais. La 
liberté a été pour lui un bien de famille non con- 
testé ; il la réclame avec moins de passion et parfois 
moins de largeur que M. de Montalembert, mais 
aussi on n'aura aucune inconséquence politique à lui 
reprocher. Quant au libéralisme de M. de Falloux, 
il ne le tient ni de la tradition de famille, ni de 
l'apostolat lamenaisien. Par nature, par souvenir, il 
appartient au légitimisme le plus pur. Il a écrit la 
Vie de Pie T, l'inquisiteur, et il a déclaré dans ce 
livre que la tolérance est la vertu des siècles sans 
foi. On ne saurait donc voir en lui un libéral de 
principe. Toutefois, après le coup d'Etat, il a nette- 
oaent rompu avec le cathoUcisme absolutiste, et il a 
pris rang parmi les défenseurs des libertés pu- 
3liques. Le Correspondant^ recueil mensuel, est de- 
venu l'organe de ce grand parti catholique libéral, 
ît lui a dû son très-remarquable succès. Gardons- 
lous d'oublier le groupe si intéressant du nouvel 
Dratoire français ressuscité par le père Gratry, l'ai- 

4. 



— 66 - 

mable et sympathique apologiste du christianistlke 
moderne, mêlant un peu trop le calcul différentiel à 
la démonstration morale, mais toujours éloquent, 
élevé, large, très-épris de liberté, qi;oiqu8 trop in- 
dulgent pour la société de Jésus ; nature expanmve, 
désireuse de concilier rinconciliable dans 1& théorie 
et la pratique, mais sachant aussi déployer, oootnine 
nous le verrons, le plus admirable courage bu itfv 
vice de ses convictions. Signalons encore, en dehors 
et au-dessus de ces deux partis tranchés, un hottune 
émînent, M. Arnaud de TAriége, qui a représenté 
les idées démocratiques à nos assemblées républi- 
caines avec un généreuse talent, en les associant h 
des convictions profondément chrétiennes. Déjà, h 
cette époque, il avait de beaucoup dépassé la firac- 
tion libérale du catholicisme, en réclamant ouverte- 
ment la pleine séparation de TEglise et de l'Etat, 
comme condition première du développement supé- 
rieur de rindividu par une foi vraiment personnelle. 
Le gallicanisme proprement dit s'était reconsti- 
tué depuis quelques années, 11 formait une troisième 
fraction peu importante par le nonabre, mais qui 
comptait des adhérents très -distingués. L'abbé 
Guettée, historien érudit de l'Eglise de France, 
avait cherché une base solide aux résistances à 
l'ultramontanisme dans les traditions nationales. 
Son livre lourd et mal écrit était un arsenal bien 



- 67 — 

fourni contre Rome. Au même parti appartenait 
avec non moins de décision un théologien éminent, 
M. Tabbé Maret, professeur de théologie à la fa- 
ctdté de Paris, connu par de solides écrits contre le 
panthéisme et aussi contre Técole dite traditionaliste, 
qui pour mieux asseoir l'autorité de TEglise ren- 
versait tous les fondements rationnels de la vérité 
dans rhomme. L'abbé Haret, bien que catholique 
orthodoxe, était hostile aux prétentions exagérées 
de la papauté, et se montrait plus préoccupé des 
anciens droits de l'Eglise de France que l'abbé La- 
cordaire avec qui il avait pourtant fondé Y£r$ noth 
wlh en 1848. Le saint^iége ne lui a pas pardonné 
cet esprit d'indépendance, car il a mis beaucoup de 
mauvaise giAce h confirmer sa nomination à un 
évftché iff, partièus; on prétextait qu'il était atteint 
de surdité. Il avait en effet l'oreille dure, quand il 
s'agissait d'acceptar les consignes de la cour ro- 
maine. C'était aux yeux de celle-ci une infirmité 
sans remède. Mais la fraction gallicane la plus fran- 
chement accusée, la plus décidément libérale, était 
enfermée dans Tétroite mansarde d'un anachorètt» 
de la philosophie, M. Bordas-Demoulin, connu par 
de beaux travaux philosophiques sur Descartes ; avec 
son disciple M. Huet, il composait toute l'école, 
mais cèlle-eî rachetait cette faiblesse numérique par 
l'indomptable énergie, la foi vaillante de son chef. 



— 68 — 

if. Bordas-Demoulîn vivait dans la retraite et la 
pauvreté, ne voulant abaisser d'aucune manière sa 
fière indépendance, faisant entendre des, impréca- 
tions de prophète indigné contre les abaissements 
de TEglise et afltenant avec puissance que c'en était 
Sait d'elle, si elle ne s'associait pas ouvertement à la 
iémocratie. Il insistait avant toute chose sur le de- 
roir pour elle de rompre tout lien avec les pouvoirs 
temporels, afin de recommencer, avec une croix de 
6ois dans lés mains et une parole de liberté sur les 
lèvres, la conquête d'un monde qui lui échappait. 
M. Bordas-Demoulin a développé ces grandes pen- 
sées dans son livre des pouvoirs constituants de VE- 
glise oui il a résumé son système. M. Huet leur 
donnait une circulation plus large dans Ses écrits 
courts et vifs , animés du même souffle austère et 
libéral. L'école de M. Bordas-Demoulin restera cer- 
' tainement l'une des manifestations les plus intéres- 
santes et les plus respectables de ce temps. Telle 
était la situation des esprits dans l'Eglise cathoUque 
de France au lendemain du coup d'Etat de dé- 
cembre et en partie sous l'influence de ces tristes 
événements. Nous connaissons maintenant ses prin- 
cipales fractions, et les hommes qui y jouent un 
rôle prépondérant. Nous sommes préparés à com- 
prendre les troubles et les conflits qui vont être 
provoqués dans les années suivantes par les déci- 



- G9 — 



sons auxquelles la cour de Borne s'est laissé en- 



i traîner. 



\t. 



L-î. 



Td 



il. 



m. 



^ ji La première de ces décisions a été la proclamation 
ç -| du dogme de l'Immaculée Conception en 1854. Il 



est parfaitement inutile de faire ressortir la gravité 
de ce coup d'audace de la papauté ; quelque impor- 
2; ^ tante que fût en soi la décision doctrinale qui devait 
ipj' favoriser sans mesure le courant de la mariolâtrie^ 
p^ le fait d'avoir osé promulguer un dogme sans concile 
/jf était la plus dangereuse et la plus insolente des 
Vt innovations de Tultramontanisme. Jamais on n'avait 
r rien vu de semblable. Toujours dans le passé on 
? avait réservé à l'Eglise régulièrement représentée 
le droit si grave des définitions de doctrine. Or rien 
ne ressemblait moins à un vrai concile que la con- 
sultation par lettre des principaux évêques et que 
la réxmion hâtive d'un certain nombre d'entre eux à 
Rome. Dans un autre temps moins ignorant que 
le nôtre des choses religieuses, un pareil attentat 
de la papauté eût mis le feu aux quatre coins du 
monde, ou plutôt la crainte de l'opinion publique 
eût écarté tout projet semblable. Le Gesû de Rome 
savait fort bien qu'il n'avait point à redouter d'é- 
branler beaucoup les esprits par une tentative qui 



— 70 — 

dépassait tout ce qu'on avait vu dan» ce geiu'e ju0'» 
qu'alors. La joie fut immense dans le camp des fftBH* 
tiques de la papauté. Le parti de V Univers monta 
au Capitole et entonna le cantique de Siméon. Il 
avait vu en effet se lever le jour glorieux pour lui 
de Tasservissement absolu de TEglise^ La fçBC&m 
plus libérale de Tultramontanisme n'éprouva aucun 
scrupule à acclamer le nouveau dogme. Le Comh 
pondant fit chorus à V Univers. Il n'y eut que le 
vieux gallicanisme qui se sentit frappé au cœur. 
Les hommes éminents par la position qu'il comptait 
dans ses rangs se bornèrent à gémir en silence, 
mais nous savons combien pour plusieurs d'entre 
eux ces jours furent amers et douloureux. MM. Bor^ 
das-Demoulin et Huet firent entendre une énergique 
protestation. Dans un livre intitulé : Sssai sur h 
ré/orme catholique^ ils montrèrent Tantique tradi- 
tion foulée aux pieds par les jésuites de Borne. 
« Quel crime, s'écrie M. Huet, que de se jeter au 
travers de cette perpétuelle succession de la vérit^I 
Quel crime surtout de la part de ceux qui ont les pre- 
miers la mission de renseigner, qui ont juré aolen- 
nellement de la défendre ! > Ces courageux opposants 
n'hésitent pas à taxer le nouveau dogme d'hérésie, 
« Comme il renferme, disent-ils, toutes les corrup^ 
tiens, il conduit invinciblement à réclamer la ré-» 
forme radicale et complète. Le temps ne souffre ni 



-^ 71 — 

concesaion ni délai. Quand l'attentat contre la révé- 
lation de Dieu est manifeste, se soumettre n*est pas 
obéissance mais apostasie et renoncem:ent à la foi 
de Jésui^-Christ (1). > MM. Bordas-Demoulin et Huet 
disaient tout haut ce que bien d'autres pensaient et 
murmuraient. La protestation la plus énergique fut 
celle d'un vieux prêtre, Tabbé Laborde, homme uni" 
versellement respecté, qui, à l'annonce de ce qui se 
préparait à Borne, partit pour le centre de la catho- 
licité, s'imaginant dans sa naïveté que la voix de la 
vérité serait entendue par les princes de l'Eglise, 
alors même qu'elle n'aurait pour organe qu'un 
humble vicaire de campagne. Il apportait au saint- 
père mx écrit court et énergique ainsi intitulé : La 
croyance à rimmaculée Conception ne peut devenir 
un dûffm0 de /où U faut Ure le récit des persécutions 
dont il fut Vobjet de la part de la police pontificale. 
Traqué comme un malfaiteur, embarqué de force, il 
revint mourir en France sur un grabat d'hôpital où, 
de sa main mourante, il achevait une dernière pro- 
testation contre les erreurs nouvelles. La plainte du 
juste a beau n'être pas écoutée sur la terre, elle a 
été entendue du ciel, et l'arrêt rendu par le mori- 
bond ccmtre les usurpations de la papauté est celui 
de Dieu même, il ne sera pas cassé. 

il) p. 6C3. 







72 



Les événements politiques dans leur marche pré- 
cipitée sont venus compliquer singulièrement la 
crise intérieure du catholicisme. Le plus grave de 
ces événements a été la guerre d'Italie, qui a abattu 
dans la Péninsule le pouvoir autrichien, protecteur 
naturel de la papauté. Celle-ci, bientôt dépourvue 
de plusieurs de ses plus belles provinces, menacée 
dans la possession des autres qui frémissaient sous 
son joug, a naturellement pris l'attitude la pluiii 
violente vis-à-vis du nouveau royaume itaKi 
qu'elle a ouvertement excommunié. La poUti 
d'ancien régime a revêtu à ses yeux un caractère 
vraiment sacré, puisque c'est à elle seule qu'eik 
peut demander la conservation de son pouvoir tem- 
porel. C'est ce qui explique que depuis la guerre 
d'Italie en 1859 la réaction ait trouvé plus de faveur 
que jamais à Rome, et que la haine de la Uberli: 
civile et religieuse y ait pris les proportions du fi 
tisme. L'absolutisme dans tous les sens est pourli|| 
papauté le rempart du pouvoir temporel, lequel M^ 
se justifie quli ce point de vue. Il nous est maini 
nant facile de comprendre par quelle voie le sâinl 
siège a été conduit à l'encyclique de décembre 1 
et au Syllahus. Certainement il ne se fut pas lai 
entraîner à ces inqualifiables imprudences, s'il 
s'était pas cru en état de guerre et d'agression 
manente. Tout progrès de la liberté lui semble 



IL 



— 73 — 

)mber une pierre de la muraille derrière laquelle 
. défend sa suzeraineté politique. Aussi lui court-il 
us comme à l'ennemi véritable , quand même le 
ibéralisme catholique se montre plein de ménage- 
Qents à son égard, et s'arrête devant son pouvoir 
emporel conime devant un terrain réservé qui doit 
aire exception aux principes généraux de la société 
aodeme. Le Correspondant en sait quelque chose. 
iC pape a raison, la logique des choses ne s'arrête 
as^selon nos caprices , et nous avons beau vouloir 
tre inconséquents, nous n'y parvenons qu'à moi- 
é. Il n'est pas possible de plaider la cause de la 
berté à Paris et de la combattre à Eome. On ne 
îutplus dire : Vérité de ce côté des Alpes; erreur 
1 delà ! Le catholicisme libéral, qu'il le veuille ou 
>n, prend part à la grande croisade contre l'abso- 
tisme pontifical et à ce long siège de Rome qui 
lira bien par renverser les murailles de cette Chine 
î l'Occident. Ces considérations expliquent les con- 
ts intérieurs du catholicisme et les condamnations 
)tenues contre ses plus illustres défenseurs. C'est 
16 toutes leurs apologies pour déguiser ou main- 
nir les abus de la papauté temporelle ne lui fai- 
ient pas autant de bien qu'ils ne lui causaient de 
aj en revendiquant la liberté d'une manière géné- 
Je. 
Et cependant les catholiques du Correspondant 



5 



— 74 — 

ne s'épargnèrent pas à la défense du temporel. Au 
lieu de se contenter des justes reproches que méri- 
tait la politique tortueuse et souvent macliiavélique 
de ses gouvernants, ils accablèrent Tltalie de leur 
haine, tmiquement parce qu'elle avait touché aux 
biens de Toîut .du Seigneur i ils dirigèrent contre 
elle dans leurs journaux la polémique la plus pas- 
sionnée» sans vouloir jamais comprendre tout le 
mal que lui avait fait la papauté, qui avait été l'é- 
temel obstacle à son aflfranchissement et qui ne ces- 
sait de lui souhaiter tous les échecs. Quand M. de 
Cavour prit pour lui l'un des plus beaux mots du 
comte de Montalembert : l'Eglise libre dans VEtat 
libre, peu s'en fallut que le parti catholique libéral 
n'y ait vu un blasphème. Orateurs, publicistes, évê- 
ques, tous déchirèrent à l'envi la nation italienne et 
insultèrent à ses aspirations. Mgr l'évêque d'Or- 
léans rivalisa avec son collègue de Poitiers pour la 
traîner dans la boue et pour exalter la beauté, la 
douceur, le libéralisme du régime pontifical. Le 
parti du Correspondant fît plus que consacrer sa 
plume à la cause du temporel ; il lui fournit sa plus 
illustre épée dans la personne du général Lamori- 
cière, le vaincu de Castelfidardo. Il n'y eut qu'une 
seule voix dans le camp catholique qui ne fît pas 
chorus avec les défenseurs du prêtre-roi, ce fut celle 
de M. Arnaud de l'Ariége, qui publia en 1858 un 



— 75 — 

.vre intitulé : l'Italie^ dans lequel il pit)testa, au 
lom de la religion, contre ces funestes confusions 
le la foi et de la politique. Nous ne pouvons résis- 
ter au désir d*en citer le fragment suivant, qui 
naintient Thônneur et la tradition du spiritualisme 
îlirétien au milieu de la fièvre théocratique : 

c Dés qu'en un point quelconque du nuonde civi- 
sé une atteinte ^ave est portée au droit de la con- 
îîencg, toute conscience se sent solidaire, et à Tin- 
ant même s*élève Une protestation universelle. 

« Qu'à Èome un enfant juif soit enlevé à sa fa- 
ille par des prêtres fanatiques, tout homme ami 
B la justice, qu*U soit rationaliste, qu'il soit protes- 
int, qu'il soit catholique , oublie sa foi religieuse ' 
our ne songer qu'au droit du père outragé. Qu'en 
Ispagne, des chrétiens dissidents soient condamnés 
oui* leurs actes religieux par la justice temporelle, 
Alliance Israélite universelle fait entendre, en fa- 
eur de ses frères chrétiens, la plus noble, la plus 
ouchante des revendications. 

« Rome seule, au milieu de ce concert des peu- 
ples civilisés, manquera-t-elle à sa mission ? Lorsque 
a liberté est le premier besoin de ce siècle, besoin 
îeUement impérieux que ceux-là mêmes qui lamau- 
lissent au fond du cœur sont obUgés d'en prendre 
|ô masque; lorsqu'elle est l'étoile vers laquelle sont 
tournés les regards de tous les opprimés de la terre ^ 



- 76 — 

la Rome temporelle des papes restera-t-eUe l'ob- 
stacle insurmontable ? Cette situation qui tient en 
échec et l'Italie et T univers chrétien, est un im- 
mense malheur et presque un défi de Tesprit du 
passé aux aspirations du monde civilisé. 

« Aussi, nul événement s'accomplissant en Eu- 
rope ne doit faire perdre de vue ce grand intérêt 
qui domine tous les autres. Que les peuples ne 
l'oublient pas, toute conquête libérale sera précaire, 
toute solution sera incomplète tant que la question 
ne sera pas radicalement tranchée à Eome par l'a- 
bolition de la papauté temporelle. Voilà pourquoi, 
depuis des années, nous en avons fait notre DelenU 
Cartliago. 

« Il faut, du reste, que toute institution subisse 
répreuve de la liberté. L'obstination du clergé ca- 
tholique à s'appuyer sur une base politique ne per- 
suade que trop au monde libéral que l'Eglise n'a 
pas d'autre fondement, et que ce fondement venant 
à manquer, l'édifice croulera tout d'une pièce. > 

Un tel langage devait d'Splaire à Eome, iaais en 
revanche,la papauté était tenue de marquer sa gra- 
titude aux hommes éminents qui s'étaient constitués 
ses champions ! Pourtant elle ne l'accordait vrai- 
ment et sans réserve qu'à ceux qui la servaient tout 
à fait selon son gré, et qui avaient compris qu'en 
définitive la cause de l'absolutisme était sa propre 



— 77 — 

Qse. Elle redoutait Tappui des catholiques libé- 
ux, parce qu'elle sentait bien que le souffle qui 
3 animait n'était pas son esprit et que c'était bien 
même souffle qui, après avoir réveillé l'Italie, la 
)ulevaît maintenant contre elle. Elle comprenait 
a'il n'est pas longtemps possible de célébrer la 
berté civile et surtout la liberté de conscience dans 
)us les pays et de les proscrire sur un seul point 
B l'univers. Aussi l'instinct de la conservation la 
îndait plus perspicace et plus logique que ces pieux 
levaliers du libéralisme catholique, qui brûlaient 
3 feux contradictoires en se consacrant à la fois à 
t papauté temporelle et à la liberté. Ce malentendu 
3vait être promptement dissipé , et rien ne hâta 
lus la rupture ouverte que la grande manifestation 
bérale qui eut lieu au congrès catholique de Ma- 
Qes, au mois d'août 1863. Ce fut l'ancien disciple 
3 Lamennais, M. de Montalembert , qui en prit 
initiative avec des accents qui rappelaient singu- 
^rement le vieil homme, je veux dire le fougueux 
idacteur de l'Avenir. Il faut lire dans son ensemble 
s deux discours qu'il prononça les 20 et 21 août 
J63, et qui, réunis en brochure, résument avec 
le splendide éloquence tous les principes du catho- 
îisme libéral, sans oublier ses inconséquences, 
ans ces harangues enflammées, M. de Montalem- 
irt reprend son bien dans l'héritage de Cavour, et 



— 78 — 

développe de nouveau la fameuse devise : l'Eglise 
libre dans TEtat libre. Sans doute, il débute par des 
réserves; il appelle Tillustre ministre qui a fondé 
Tunité italienne un grand criminel ; il essaye non 
sans peine d'établir comment ses idées sur la pleine 
indépendance de TEglise se concilient avec la théo- 
cratie rotaaine et comment, selon la phrase consa- 
crée, les deux pouvoirs doivent être unis à Rome 
pour être séparés ailleurs. Mais toutes ces conces- 
sions, qui sont parfaitement sincères chez lui, ne 
font que donner plus de relief à ses énergiques re- 
vendications libérales. Il déclare hautement qu'il 
n'y a rien à regretter dans le passé, que l'Eglise 
doit résolument tourner le dos à l'ancien régime et 
user loyalement des grandes libertés modernes, da 
suffrage universel, de l'association, de la presse el 
des cultes. C'est à cette dernière liberté que le gran^ 
orateur consacre son discours tout entier, afin de dis- 
siper tous les malentendus. Laissons-le parler lui- 
même ; on verra plus tard l'importance qu'a cette ci- 
tation dans l'histoire du catholicisme contemporain: 
« De toutes les libertés dont j'ai pris jusqu'à ce 
moment la défense, la liberté de conscience est à 
mes yeux la plus précieuse, la plus sacrée, la plus 
légitime, la plus nécessaire. J'ai aimé, j'ai servi 
toutes les libertés; mais je m'honore d'avoir été 
le soldat de celle-là. 



- 79 — 

f Encore aujourd'hui, après tant d'années, tant de 
luttes et tant de défaites, je ne puis en parler qu'a- 
vec une émotion inaccoutumée. Oui, il faut aimer 
et servir toutes les libertés; mais, entre toutes, c'est 
la liberté religieuse qui mérite le respect le plus 
tendre, qui exige le dévouement le plus absolu; 
car c'est elle qui plane sur les régions les plus hautes 
et les plus pures, en même temps que les plus vas- 
tes; c'est elle dont l'empire s'étend des profondeurs 
de la conscience individuelle aux plus éclatantes 
manifestations de la vie nationale. Elle est la seule 
qui illumine deux vies et deux mondes, la vie de 
l'âme comme la vie du corps, le ciel comme la terre; 
la seule qui importe également à tous les hommes 
sans exception, au pauvre comme au riche, au fort 
comme au faible, aux peuples comme aux rois, au 
dernier de nos petits enfants comme au géme de 
Newton ou de Leibnitz. 

« Et cependant, chose étrange et douloureuse! 
c'est cette liberté, la plus délicate, la plus exposée 
de toutes, celle qu'il faudrait craindre d'effleurer du 
bout de son doigt; c'est elle qui, proclamée partout 
3n droit, en théorie, est presque partout, en fait, la 
oaoins comprise, la moins respectée, la moins pré- 
servée de mille atteintes grossières ou perfides, trop 
souvent inaperçues ou impunies. 

« Il me faut d'ailleurs Favouer, ce dévouement 



— 80 — 

enthousiaste qui m'anime pour la liberté religieuse 
n'est pas général cliez les catholiques. Ils la veulent 
bien pour eux, et à cela ils n'ont pas grand mérite. 
En général, tout homme veut toute espèce de liberté 
pour lui-même. Mais la liberté religieuse en soi, 
la liberté de la conscience d'autrui, la liberté du 
culte que l'on renie et que l'on repousse, voilà ce 
qui inquiète, ce qui effarouche beaucoup d'entre 
nous. 

« Je suis donc pour la liberté de conscience, dans 
l'intérêt du catholicisme, sans arrière-pensée comme 
sans hésitation. J'en accepte franchement toutes les 
conséquences, toutes celles que la morale publique 
ne réprouve point et que l'équité commande. Ceci 
me conduit à une question délicate, mais essentielle. 
Je l'aborderai sans détour, parce que, dans toutes 
les discussions de cette nature, j'ai toujours reconnu 
la nécessité d'aller au-devant de cette inquiétude 
trop naturelle et souvent très-sincère chez les adver- 
saires de la liberté des catholiques. Peut-on aujour- 
d'hui demander la liberté pour la vérité, c'est-à-dire 
pour soi (car chacun, s'il est de bonne foi, se croit 
dans le vrai), et la refuser à l'erreur, c'est-à-dire à 
ceux qui ne pensent pas comme nous ? 

« Je réponds nettement : Non. Ici, je le sens bien, 
incedo "per ignés. Aussi je me hâte d'ajouter encore 
une fois que je n'ai d'autre prétention que Ue 



— 8» — 

t 

d'exprimer une opinion individuelle : je m'incline 
devant tous les textes, tous les canons qu'on voudra 
me citer. Je n'en contesterai ni n'en discuterai au- 
cun. Mais je ne puis refouler aujourd'hui la convic- 
tion qui règne dans ma conscience et dans mon cœur. 
Je ne puis pas ne pas l'exprimer, après avoir lu, de- 
puis douze ans, ces essais de réhabilitation d'hom- 
mes et de choses que personne, dans ma jeunesse, 
personne, parmi les catholiques, ne songeait à dé- 
fendre. Je le déclare donc, j'éprouve une invincible 
horreur pour toupies supplices et toutes les violences 
faites à l'humanité, sous prétexte de servir ou de 
défendre la religion. Les bûchers, allumés par une 
main catholique , me font autant d'horreur que les 
échafauds où les protestants ont immolé tant de 
martyrs. (Mouvement et applaudissements.) Le bâil- 
lon enfoncé dans la bouche de quiconque parle avec 
un cœur piu'pour prêcher sa foi, je le sens entre mes 
propres lèvres, et j'en frémis de douleur. (Nouveau 
mouvement.) L'inquisiteur espagnol disant à l'héré- 
tique : La vérité ou la mort ! m'est aussi odieux que 
le terroriste français disant à mon grand-père : La 
liberté, la fraternité ou la mort! (Acclamations.) La 
conscience humaine a le droit d'exiger qu'on ne lui 
pose plus jamais ces hideuses alternatives. » (Nou- 
veaux applaudissements.) 
Certes, un pareil langage ne laissait rien à dési- 

5. 



— 82 — 

rer en fait de précision. Accueilli avec enthousiasme, 
bien qu'il ait dû paraître excessif à quelques-uns, 
dans le parti catholique libérçil, il souleva de vives 
indignations dans le parti contraire, — surtout dans 
le milieu ardent du jésuitisme romain, car M. de 
Montalembert avait porté une main audacieuse sur 
les principes constitutifs de cette puissante école et 
sur ce qui fait la base de son enseignemept privé. 
Nous sommes porté à croire que c'est au lendemain 
du congrès de Malines et à la suite de toutes les ré- 
.clamg.tions et dénonciations auxquelles il. a donné 
lieli que Tencyclique du 8 décembre 1864 a été pré- 
parée. Qu'on la lise sans prévention, en donnait 
aux jnots leur sens naturel, il n'est pas possible de 
n'y pas trouver la réfutation la plus claire de tout cç 
que M. de Montalembert av^-it réclamé avec une 
passion généreuse à la tribune du congrès : 

« Vous ne l'ignorez pas, vénérables frères, il ne 
manque pas aujourd'hui d'hommes qui, appliquant 
à la société civile l'impie et absurde principe du na- 
turalisme, comme ils l'appellent, osent ensei^er 
que « la perfection des gouvernements et le progrès 
« civil exigent que la société hupiaine soit consti- 
d tuée et gouvernée , sans plus tenir compte de la 
« religion que si elle n'existait pas, ou du moins 
« sans faire aucune différence entre la vraie religion 
« et les fausses. > Pe plus, contrairement à la doc- 



— 83 — 

[ne de l'écriture , de l'Ëgliae et des siÛQta Pèi^ , 
; ne craignent pas d'afiBrmer que « Je meilleur 
gouvemement est celui oit on tie recomiaît pas au 
pouvoir Tobligation de réprimer pair des peines 
légales les violateurs 4^ la foi catholiquei si ce 
u*est lorsque la tranquillité publique le demande.» 
irtaut de cette idée absolument fausse du gt)uver- 
jment social, ils n*hésitent pas à favoriser cette 
>inion erronée , fatale à TEglise qatbolique et au 
lut des âmes, et que notre prédécesseur d'heureuse 
émoire, Grégoire XVI, qualifiait de délire, que 
la liberté de conscience et des cultes est un droit 
propre à chaque homme, qui doit être . proclamé 
par la loi et assuré dans tout Etat bien constitué ; 
et que les citoyens ont droit à la pleine liberté de 
manifester hautement et publiquement leurs opi- 
nions, quelles qu'elles soient, par la parole, par 
l'impression ou autremèht, sans que Tautorité 
ecclésiastique ou civile puisse la limiter. » Or, en 
^utenant ces affinùations téméraires, ils ne pensent 
i ne considèrent qu'ils prêchent la liberté de la per- 
ition, et que s'il est toujours permît aux opinions 
umaines de tout contester, il ne manquera jamais 
'hommes qui oseront résister à la vérité et mettre 
5ur confiance dans le verbiage de la sagesse hu- 
maine, vanité très-nuisible que la foi et la sagesse 
^retiennes doivent soigneusement éviter, selon l'en- 



— 84. — 
geignement de Notre-Seîgneur Jésus -Christ lui- 



même. 



« Et parce que là où la religion est bannie de la 
société civile, la doctrine et l'autorité de la révéla- 
tion divine rejetées, la vraie notion même de la jus- 
tice et du droit humain s'obscurcit et se perd, et la 
force matérielle prend la place de la vraie justice et 
du droit légitime, de là vient précisément que certains 
homnfies, ne tenant aucun compte des principes les 
plus certains de la saine raison, osent proclamer que 
« la volonté du peuple, manifestée par ce qu'ils ap- 
<r pellent l'opinion publique, ou d'une autre ma- 
« nière, constitue la loi suprême, indépendante de 
« tout droit divin et humain ; et que dans l'ordre po- 
^ htique, les faits accomplis, par cela même qu'ils 
« sont accomplis, ont force de droit. > 

« Or qui ne voit, qui ne sent très-bien qu'ime so- 
ciété soustraite aux lois de la religion et de la vraie 
justice ne peut plus avoir d'autre but que d'amasser, 
que d'accumuler des richesses, et ne suivra d'autre 
loi, dans tous ses actes, que l'indomptable désir de 
satisfaire ses passions et de servir ses intérêts? Voilà 
pourquoi les hommes de ce caractère poursuivent 
d'une haine cruelle les ordres religieux, sans tenir 
compte des immenses services rendus par eux à la 
religion, à la société et aux lettres; ils déblatèrent 
contre eux en disant qu'ils n'ont aucune raison légi- 



— 85 — 

time d'exister, et ils se font ainsi Téclio des calom- 
nies des hérétiques. En effet, comme l'enseignait 
très-sagement Pie VII, notre prédécesseur, d'heu- 
reuse mémoire : « L'abolition des ordres religieux 
« blesse la liberté de pratiquer publiquement les 
« conseils évangéliques ; elle blesse une manière de 
< vivre recommandée par l'Eglise comme conforme à 
« la doctrine des apôtres; elle blesse enfin ces illus- 
« très fondateurs eux-mêmes que nous vénérons sur 
« les autels, et qui n'ont établi ces ordres que par 
« l'inspiration de Dieu. » 

€ Ils vont plus loin, et dans leur impiété ils dé- 
clarent qu'il faut ôter aux fidèles et à l'Eglise la fa- 
culté de faire publiquement des aumônes au nom de 
la charité chrétiennne, et abolir la loi « qui, à cer- 
« tains jours, défend les œuvres serviles pour vaquer 
€ au culte divin. » Et cela sous le très-faux pré- 
texte que cette faculté et cette loi sont en opposi- 
tion avec les principes de la bonne économie pu- 
blique» 

« Non contents de bannir la religion de la société, 
ils veulent l'exclure du sein même de la famille. 
Enseignant et professant la funeste erreur du com- 
munisme et du socialisme, ils affirment que « la so- 
c ciété domestique ou la famille emprunte toute sa 
« raison d'être au droit purement civil ; et, en con- 
« séquence, que de la loi civile découlent et dépen- 



— 86 — 

c dent tou3 les (iroits des parents siu* les enfants, et 
c avant tout h, droit d'instruction et d'éducation, i 
Pour ces hommes de mensonge, le but principal de 
ces maximes impies et de ces machinations est de 
soustraire complètement à la salutaire doctrine et à 
rinfluence de TEglise l'instruction et Téducation de 
la jeunesse, afin de souiller et de dépraver parles 
erreurs les plus pernicieuses et par toute sqrte de 
vices rame tendre et flexible des jeunes gens, En 
effet, tous ceux qui ont entrepris de bouleverser 
Tordre religieux et Tordre social et d'anéantir toutes 
les lois divines et humaines, ont toujours et avant 
tout fait conspirer leurs conseils, levir activité et 
leurs efforts à tromper et à dépraver la jeunesse, 
parce que, comnie nous l'avons indiqué plus haut, 
ils mettent toute leur espérance dan« l|i corruption 
des jeunes générations. 

« Ne négligez pas non plus d'enseigner que la 
puissance royale est conférée non-seulement pour le 
gouvernement de ce monde , mais surtout pour la 
protection de TBglise, et que rien ne peut être plus 
avantageux et plus glorieux pour les chefs des Etat? 
et les rois que de se conformer aux paroles que notre 
très-sage et très-courageux prédécesseur saint Félix 
écrivait à l'empereur Zenon, de laisser TEglise ça- 
thoHque se gouverner par ses propres lois, et de ne 
permettre à personne de mettre obstacle à sa liberté . . . 



— 87 — 

est certain, en effet, (ju'il est de leur intérêt, 
utes les fois qu'il s'agit des affaires de Dieu, de 
livre avec soin Tordre qu'il a prescrit, et de subor- 
3imer, et non de préférer, la volonté royale à celle 
es prêtres du Christ. » 

Parmi les propositions condanmées parle Syîlàbus 
ui suit on voit les suivantes : 

« H est libre à chaque homme d'embrasser et de 
rofesser la religion qu'il aura regardée comme 
raie d'après les lumières de sa raison. 

« IV, 24. L'^Eglise n'a pas le pouvoir d'employer 
\ force ; elle n'a aucun pouvoir direct ou indirect. 

« 54. L'Eglise doit être réparée de l'Etat et l'E- 
X de l'Eghse. . 

< 74. Les causes matrimoniales appartiennent h 

société civile. 

« 77. A notre époque, il n'est plus utile que la 

ligion catholique soit considérée comme l'unique 

ligion de l'Etat, à l'exclusion de tous les autres 

Ites. 

« 78. Aussi, c'est avec raison que, dans quelques 

ys catholiques, la loi a pourvu à ce que les étran- 

rs qui viennent s'y établir y jouissent de l'exercice 

.blic de leurs cultes particuliers. 

« 79. Il est faux que la liberté civile de tous les 

Ites propage la peste de l'indifférentisme. 

« 80. Le pontife romain peut et doit se réconci- 



— 88 — 

lier et se mettre d'accord avec le progrès, avec le 
libéralisme, avec la civilisation moderne. > 

Voilà, qu'on ne l'oublie pas, ce qui est non pas 
approuvé mais condamné. 

Considérons maintenant l'eflfet de ce document 
sur les trois fractions du catholicisme en France, 
l'ultramontanisme" absolutiste, l'ultramontaniame 
libéral et le gallicanisme dans ses diverses nuances 
plus ou moins colorées. Pas n'est besoin d'interro- 
ger la première tendance. Sa réponse est connue 
d'avance. Ses acclamations eurent toute l'insolence 
d'une victoire et d'une revanche. Les deux jour- 
naux, V Univers et le Monde^ abusèrent sans ré- 
serve de l'avantage qu'ils venaient de remporter. Ils 
voyaient la papauté couvrir leurs doctrines favorites, 
et sanctionner tout ce système de tyrannie religieuse 
et civile qu'ils ne se lassaient pas de préconiser. Le 
chef de l'Eglise déclarait en fait qu'eux seuls avaient 
bien compris sa pensée, et que les apologistes de 
l'inquisition et des dragonnades étaient les vrais 
organes de l'étemelle vérité. 

La seconde fraction, le catholicisme libéral du 
Oorres'ponàdnt^ commença par courber la tête sous 
l'orage, en rongeant intérieurement son frein. La 
condamnation pontificale l'atteignait en pleine poi- 
trine. On n'a qu'à mettre en regard l'encyclique et 
le manifeste de M. de Montalembert à Malines. 



— 89- 

Ou le langage humain n'est plus même l'équivalent 
des pensées qu'il doit exprimer, ou la contradiction 
entre les deux documents est aussi tranchée qu'il 
est possible. Le parti du Corresponiant aurait du 
conserver cette attit^ude du silence. Après tout une 
encyclique n'est pas un dogme, elle tolère des ré- 
serves. Malheureusement l'évêque d'Orléans ne crut 
pas devoir user d'une prudence qui était en même 
temps de la dignité. Irrité de voir le parti que les 
ennemis de l'Eglise tiraient de l'encycUque, il écri- 
vit une brochure pour établir que le saint-père avait 
parlé d'or, et qu'il n'avait condamné que la licence 
et non la liberté (1). Par une diversion qui ne man- 
quait pas d'habileté, le fougueux prélat commençait 
par se lancer tête baissée dans la controverse poli- 
tique, en discutant avec emportement la convention 
du 15 septembre 1864 entre la France et l'Italie, 
d'après laquelle l'occupation française à Eome de- 
vait prendre fin dans un prompt délai. Après avoir 
jeté feu et flamme contre un traité qui lui parais- 
sait une trahison, il abordait l'encyclique et se livrait 
à mille subtilités d'interprétation pour montrer 
qu'il y avait un sens caché mais raisonnable aux 
anathèmes du saint-père. C'était coudre le drap 



(1) La convention du 15 septembre et V encyclique du 8 dé 
cembrCf par Mgr Tévêque d^Orléans. Paris, Douniol. 1868* 



— 90 --. 

nouveau au vieuj^ drap du Vatican et rendre la dé- 
chirure plus grande, selon la parole de TEvangile, 
Nul artifice d'interprétation ne pouvait affaiblir la 
désolante clarté du texte ; tous les distinguo n'em- 
pêchaient pas que le coup ne fût positivement dirigé 
contre Mgr d'Orléans et ses amis. Tout le monde 
savait que son parti avait remué ciel et terre pour 
empêcher l'apparition de Teucy clique. Vouloir main- 
tenant prouver qu'elle avait été faite pour leur satis- 
faction était un de ces tours de force qui deviennent 
maladroits par l'excès même d'habileté qu'ils récla- 
ment. M. de Montalembert se garda bien d'entrer 
dans cette voie; il se tut quelque temps, puis il dé- 
veloppa exactement les mêmes pensées et les mêmes 
sentiments que par le passé, comme si l'encyclique 
n'avait pas paru. On peut se convaincre à quel 
point il était incorrigible, en lisant les belles pages 
qu'il consacra, à la guerre de l'Amérique du Nord, 
et qui lui fournirent l'occasion d'adresser un nouvel 
hommage à la grande race anglo-saxonne et à la 
liberté politique et religieuse. néant des autorités 
officielles dans l'ordre intellectuel et moral ! ceux-là 
mêmes qui les respectent le plus, les traitent comme 
si elles n'existaient pas ! 

L'encyclique n'en troubla pas moins bien des 
consciences droites. Nous en avons une preuve très- 
remarquable dans un livre que le Correspondant 



— 91 — 

li-même n'a pa9 osé annoncea*, biea qu'il ait été 
îrit par un de ses collaborateurs, M. de MetzrNo- 
lat, catholique sérieux, esprit large et élevé, qui 
xerce une grande influence dans le groupe bien 
ûnnu des libéraux de Nancy. Ce livre est intitulé : 
Eglise et VEtat. C'est un recueil d'articles sur la 
Tande question des relations du temporel et du spi- 
:tuel. L'auteur incUne visiblement vers la sépara- 
on, sans se prononcer avec une parfaite netteté. Il 
irmine l'ouvrage par une déclaration fort grave , 
ui est plus qu'une simple exposition d'idées, c'est 
) trouble même de sa conscience qu'il nous révèle 
a face des imprudences de la cour de Some. Il sait 
u'il ne parle pas seulement pour lui seul et que ses 
îrupules et ses souffrances sont partagés par tous 
eux qui dans le catholicisme ne font pas bon mar- 
txé de leurs plus intimes convictions. De là Timpor- 
EUice de cette noble et loyale protestation : 
c Quelles seront les ressources du bataillon de 

r 

îélateurs qui travaillera à réaUser plus ou moins 
prochainement la subordination du temporel au 
spirituel et le règne indirect de l'Eglise sur les peu- 
ples? S'il essaye de triompher de haute lutte, il se 
lieurtera dès les premiers pas à des obstacles infran- 
chissables. Les peut-il surmonter aujourd'hui? Non. 
H ne réussit pas à se soutenir sur le terrain qu'il 
occupe. Eh bien, le lendemain d'une décision dog- 



— 9-2 — 

matique, les obstacles seront plus grands encore, et 
il aura moins d'alliés, moins d'auxiliaires, peut-être 
moins de soldats ; et il sera plus surveillé, plus en- 
diaîné, plus attaqué. Dès lors sa meilleure arme 
sera la ruse. Il se verra réduit (il Test dès aujour- 
d'hui) à demander la liberté pour l'Eglise, au nom 
de la justice, au nom du droit commun, en cachant 
ses arrière-pensées et ses visées définitives. Il lui 
faudra voiler le but afin de l'atteindre. Vaine habi- 
leté ! il y perdra l'honneur sans arriver au succès. 
La manœuvre est connue. Par les cent bouches del» 
presse, elle sera signalée et déjouée. Il en est déjà 
de la sorte à présent. Que sera-ce quand personne 
ne pourra plus dire : «c Je suis catholique, et cepen- 
« dant je n'aspire point à établir la donunation de 
« l'Eglise sur l'Etat? > 

€ Affaiblir la cause de la liberté de l'Eglise, forti- 
fier le camp de ses adversaires, telles seraient donc 
infailliblement les conséquences de la transfornu^ 
tion en dogme des opinions auxquelles l'encyclique 
Quanta cura rend, on ne saurait se le dissimuler, 
une partie de l'autorité qu'elles avaient perdue. Es- 
pérons que les choses en resteront là, et qu'une dé- 
finition obligatoire ne rendra pas plus fâcheuse en- 
core une situation déjà bien difficile. » 

L'effet de l'encycHque fut très-considérable dans 
la fraction gallicane de l'Eglise. Tous les hommes 



i 



— 93 — 

éminents qui lui appartenaient furent blessés au 
cœur; leur doctrine particulière sur la non-infail- 
libilité du saint-père, tant qu'il parle en son pro- 
^ pie nom, leur permettait de considérer Tencyclique 
l comme une simple manifestation romaine, déplora- 
' ble sans doute^ mais ne liant pas les consciences. 
^ Toutefois, il eût été bien désirable que cette distinc- 
[ tîon fût faite avec quelque éclat, afin de neutraliser 
les fâcheux effets des déclarations pontificales dont 
l'effet était immense. Le gouvernement français 
avait trouvé un excellent moyen de leur donner 
plus de retentissement, c'était d'en interdire la publi- 
cation officielle, sous prétexte qu'elles heurtaient le 
droit public du pays. Cette interdiction, venant après 
^ " que la presse par ses mille voix avait partout ré- 
:' pandu l'encyclique, ne servait qu'à intéresser le sen- 
^ timent hbéral en faveur d'un document qui en était 
;: la condamnation insensée. L'Etat, en mettant sa 
^ ^main pesante dans cette affaire, trouvait le sûr 
-^ moyen de la compliquer et d'y introduire l'équi- 
voque. 

L'encyclique fut la goutte d'eau qui fait déborder 
la coupe pour l'un des représentants les plus émi- 
nents du gallicanisme libéral. M. Huet, demeuré 
seul sur la brèche depuis la mort de M. Bordas- 
Demoulin, avait bien de la peine à maintenir un ac- 
cord quelconque entre son hardi libéralisme et l'E- 



- 94 — 

glise catholique. Cet accord lui devint tout à feit 
impossible après que le pape eut rompu en visière 
à la société moderne avec une audace et une fran- . 
chise qui dépassaient tout ce qu'on avait vu en ce 
genre. Malheureusement M. Huet se laissa empor- 
ter par lé mouvement de réaction auquel il s'aban- 
donna au delà du christianisme lui-même, et il prit 
rang parmi lés adversaires de la révélation, comme 
où peut s'en convaincre par le livre d'un si poignant 
intérêt où il raconte l'histoire des évolutions de ^ 
pensée, sous ce titre : la Mévolutiofi feligieuse fl» 
dia-neumème siècle : 

« Notre âge n'a connu qu'un catholique qu'on 
puisse appeler libéral, au même sens qu'on donne 
ce titre aux modérûes réformateurs du protestan* 
tisme et du judaïsme. Ce catholique est Bordas. 
Celui-là sut résister eh face aux successeurs de 
Pierre ; il conçut le dessein hardi , ôur la ruine de 
tous les abus, de restaurer pour les différents ordre* 
de l'Eglise, y compris les laïques, la primitive liberté 
chrétienne. Mais, l'événement ne l'a que trop 
prouvé, Bordas n'était pas de son temps, il eût dû 
naître au seizième siècle. Il est mort catholique de 
nom : en réalité, il fut peut-être le protestant le 
plus vrai, le plus complet de son époque. 

« Trois événements d'une gravité,d'une portée ina- 
mense, ont signalé le règne de Ke IX et livré pour 



-93- 

amais le catholicisme à la domination ultramon- 
aine. Ce sont : la définition du nouveau dogme de 
Immaculée Conception en 1854, le concordat au- 
arichien de 1855 et Tencyclique de 1864. Ces actes 
înferment le catholicisme dans im cercle d'où il lui 
jera impossible de sortir. 

€ Nous ne traitons pas ici de théologie, nous fai- 
îons l'histoire d*un mouvement religieux. A cet 
5^rd, la proclamation de Tlmmaculée Conception 
lous paraît le fait le plus considérable que présen- 
tent les annales dti catholicisme depuis plus d'un 
iècle. Il faut toute Tindififèrence du résultat ou 
toute la sécurité du succès chez nos contemporains, 
pour que l'événement ait passé presque inaperçu. 
Eletenons pourtant cette date du 8 décembre 1854 : 
elle a marqué Tavénement d'un catholicisme nou- 
veau, ce qu'on nous permettra d'appeler un catho- 
licisme à outrance, avec^ lequel Tesprit moderne, la 
pociété moderne ne peuvent espérer ni trêve ni 
merci. 

€ Pour la manière de procéder, on eut soin que 
le pouvoir rival de la papauté, l'épiscopat, se trou- 
vât non-seulement annulé, mais avili, ce qui est la 
forme de destruction la plus irréparable. On y avisa 
en faisant venir à Rome deux cents évêques; on leur 
interdit toute déUbération, et ils assistèrent, muets 
et complaisants, à l'acte le plus solennel de la vie 



— 96 — 

catholique, la définition d'un dogme. Dès lors, de 
Tautorité de pasteurs ils descendaient au rang de 
troupeau, et Tétemelle ambition de Rome était sa- 
tisfaite. L'infaillibilité du pape , que la France fit 
échouer pendant tant de siècles, fonctionnait publi- 
quement aux applaudissements du monde catho- 
lique. La théocratie de Grégoire VII ressuscitait 
avec plus d'autorité. Les conséquences doctrinales 
et politiques ne se sont point fait attendre, et l'ave- 
nir achèvera de les développer. 

« Je sais que des membres respectables du clergé 
blâment, gémissent, espèrent en secret ; mais le 
cathohcisme peut-il revenir en arrière? Au point où 
elle s'est engagée, l'Eglise a pour ainsi dire brûlé 
ses vaisseaux. Tout espoir de réforme est perdu. 

« Le fécond mouvement de la vie moderne se 
retire de l'antique EgUse contre-révolutionnée, im- 
mobilisée par le dogme ultramontain. La superstition 
y étend son règne, qui ne comporte que les subti- 
lités de la science scolastique, rabbinique. Bordas a 
prédit le sort du catholicisme s'il- ne se réformait. Le 
néo-cathohcisme ou marianisme s'est fait dogmati- 
quement incompatible avec le progrès scientifique, 
comme avec le progrès politique et social. Se reti- 
rant des classes éclairées , il deviendra la religion 
des campagnes, où il ira mourir comme le premier 
paganisme romain. Quelques âmes d'élite, four- 



y — 97 — 

voyées par les préjugés de l'habitude et de Téduca- 
tion, quelques métaphysiciens du passé pourront 
s'abriter encore à Tombre du vieux sanctuaire ; pour 
les masses, la vraie vie intellectuelle et morale est 
tarie de ce côté. Le règne de Pie IX aura marqué 
la date fatale de la suprême décadence (1). » 

Tel est l'effet de l'encyclique sur un homme droit 
et sérieux. Il y a là un grave enseignement. M. Huet 
vient d'être enlevé à ses nombreux amis, emportant 
leur plus affectueux respect, car il suffisait de 
le connaître pour admirer son ferme amour de la 
justice et de la liberté. 

Il semble que l'esprit de vertige qui a poussé la 
papauté à cet acte imprudent se soit un moment 
communiqué à toute l'Eglise catholique de France. 
Elle a fait dans l'année 1868 la plus déplorable 
campagne, la plus propre à multiplier les défections 
telles que celle de M. Huet. L'occasion de ces nou- 
velles attaques contre l'enseignement universitaire 
a été une innovation bien innocente du ministre de 
l'instruction publique qui,- pour favoriser l'instruc- 
tion des jeunes filles, a mis à leur portée dans les 
principales villes de France des cours fort bien don- 
nés par les professeurs dé nos lycées. Vraiment 



(1) La Révolution religieuse au dix-neuvième siècley p. 280* 
292. 

6 



— 98 - 

il n'y a rien dans un tel projet qui soit é] 
table. Les mères de famille sont libres d'env 
de ne pas envoyer leurs filles à ces cours qui 
reste entièrement neutres au point de vue re] 
Mais l'Eglise ne Tentend pas ainsi. Elle : 
l'éducation de la femme comme son bien pi 
son domaine privé. La lui disputer, c'est à s 
un véritable attentat, une odieuse usurpa 
pouvoirs. C'est ce qu'a bien senti l'épiscop 
çais. Aussi a-t-il multiplié brochures et mand 
pour dénoncer le noir projet de faire doni 
struction laïque à ces jeunes filles qui, sel 
expression, doivent être élevées sur les ger 
l'Eglise. Rien de plus pauvre que cette proi 
copale qui ne sait que gémir et se prélai 
longs habits de deuil, comme la plaintive 
Malheureusement cette littérature mélar 
relève en général ses fadeurs par quelques 
ciations , et les hommes de Hberté doiven 
les frais de ses larmes.. Elle ne veut pas 
gratis. 

Bientôt la question particulière s'est élar 
n'est plus seulement l'enseignement des 
filles qui a été mis en cause, c'est Tenseig 
imiversitaire tout entier. Un vaste mouver 
pétition a été organisé, toujours sur l'initia 
Tévêque d'Orléans, qui a mis le feu aux poud 



— 99 — 

sa brochure des Alarmes de l'épiscopat^ où il passQ 
en revue tous les symptômes de matérialisme qui 
rinquiètent dans renseignement de nos facultés. 
Seulement, par une étrange inadvertance, il inau- 
gure une pétition qui réclame la liberté de Tin- 
struction en faisant appel à la surveillance et à la 
répression de TEtat contre les libres associations qui 
ont le tort de lui déplaire. Nous serions avec lui s'il 
réclamait franchement la liberté de Tinstruction à 
tous les degrés. Nous sommes de plus en plus con- 
vaincu que si TEtat doit favoriser le plus possible 
la dissémination du savoir, ce n'est pas à lui qu'il 
appartient d'enseigner directement, parce que du 
moment qu'il enseigne, il doit avoir une doctrine 
soit philosophique, soit religieuse, soit politique, et 
alors nous avons une religion, une philosophie, une 
histoire d'Etat. Nous sommes autant préoccupé que 
qui que ce soit de l'invasion du matérialisme dans 
l'enseignement, mais c'est à la liberté seule à gué- 
rir les maux de la liberté. Qu'on fasse disparaître 
les monopoles, et alors il n'y aura plus de privilège 
pour aucune école. C'est tout ce que nous voulons. 
Le parti catholique veut bien autre chose. Il veut 
fermer la bouche à ses adversaires et se servir de 
l'Etat comme de son gendarme. Non content de de- 
lûander la répression civile dans la pétition même 
où il réclame la liberté de l'instruction, il fait fa- 



— 400 — 

briquer d'autres pétitions contre les bibliothèques 
populaires qu'il veut trier à sa guise, car, à l'en 
croire, ceux-là sont des sophistes qui, comme 
M. Jules Simon, déclarent que Dieu n'a pas besoin 
d'être défendu par la loi : voilà le bout de l'oreille de 
ce libéralisme bâtard, oreille, du reste, fort dure, 
car il n'entend pas les restrictions qui détruiraient 
ses accusations dans les cours qu'il voudrait faire fer- 
mer d'office. On se souvient du ridicule dont a été cou- 
vert l'année dernière un certain docteur Machelard, 
qui faisait dénoncer au sénat une abomination jqu'il 
disait avoir entendue. Il s'est trouvé le lendemain 
que ce témoin fidèle était un sourd qui n'avait 
entendu que ses propres soupçons. 

Rien de mieux fait pour discréditer la religion 
que la délibération soulevée au sénat par la fameuse 
pétition des pères de famille. D'abord le sénat est 
apte à conserver tout ce qu'on veut, excepté la re- 
ligion. Il a beau avoir le banc des cardinaux, c'est 
un corps faiblement apostolique. Il a sans doute 
beaucoup d'expérience, celle que l'on acquiert au 
service de trois ou quatre régimes successifs, mais 
elle se concilie mal avec la ferveur de la foi. Toute 
cause religieuse, protestante ou catholique, portée 
au sénat, y fera triste figure. Les maréchaux qui 
confessent la divinité de Jésus-Christ en se tordant 
la moustache et en mettant la main sur la garde 



— iûl — 

e leur épée , produiront des effets plus comiques 
u*édifiants. Quant aux cardinaux, j'en appelle à 
eurs discours; est -il beaucoup d'amis de la religion 
lui n'eussent donné quelque chose pour qu'ils ne 
es eussent pas prononcés? Le seul résultat de ces 
lébats contre le matérialisme et pour la -snraie foi au 
sénat a été de fournir l'occasion à M. Sainte-Beuve de 
déployer fièrement le drapeau de la libre philosophie, 
et de mettre tous les railleurs de son côté. Succès 
facile en face de tant de maladresse. Le ministre de 
l'instruction publique s'est borné à plaider timide- 
Quent les circonstances atténuantes, sans élever un 
nstant le débat à la hauteur des principes. Il ne le 
pouvait pas, car il ne voulait pas plus de la vraie 
iberté que ses adversaires. Il n'a voulu qu'ob- 
^nir un ordre du jour qui ne change rien à sa situa- 
ion. 

De tous ces débats il n'est resté qu'irritation et 
malentendus ; la réaction antireligieuse y a seule 
'Fouvé son profit. Voilà ce qu'a amené la belle cam- 
>agne ouverte par les évêques, dans un moment où 
encycUque suffisait pour discréditer le catholi- 
'isme et, par la même occasion, le christianisme, 
oujours confondu avec sa forme la mieux connue 
lans ce pays de la libre pensée. 

Cette déplorable campagne du pétitionnement au 
'^nat contre l'université ne doit pas nous faire per- 

5. 



— i02 — 

dre de vue l'état réel des choses, qui est toujours une 
division profonde au sein du cathoKcisme français. 
C'est surtout à Paris que cette division se révèle. 
D'un côté sont les ordres religieux, les maisons de 
jésuites dont la multiplication a été considérable 
dans le cours de ces dernières années, grâce à leurs 
incontestables succès dans l'enseignement et sur- 
tout dans la préparation aux grandes écoles mili- 
taires du gouvernement. Il y a là autour de Téglise 
Sainte-Geneviève tout un monde religieux, souple, 
ardent, espèce de colonie romaine en plein Paris, 
qui maintient les traditions ultramontaines et abso- 
lutistes. A sa tête sont des monsignori comme 
Mgr de Ségur, ancien camérier du pape, qui a joué 
si longtemps le rôle de légat officieux, correspon- 
dant directement avec le Vatican , et donnant des 
renseignements sur la doctrine de ses supérieurs 
ecclésiastiques. Ce désordre a cessé, l'archevêque de 
Paris n'a plus toléré cette inquisition d'un subal- 
terne. Il a également forcé l'entrée des maisons des 
jésuites qui voulaient se soumettre à son contrôle. 
Le parti det> zelanti trouve de puissants appuis dans 
le faubourg Saint-Germain, dans les grandes fa- 
milles de l'aristocratie légitimiste. La tendance con- 
traire est trôs-puissante à Paris. La faculté de théo- 
logie avec son savant doyen, Mgr Maret, évêque de 
Sura, lui appartient. Nous retrouvons la même 



— 103 — 

tendance à rarchevêché. Mgr Darboy est un des 
prêtres les plus savants et les plus éclairés du clergé 
actuel. Sa figure fine et expressive porte le cachet 
de la distinction et de Taustérité. Sa piété est pleine 
d'élan et rien n'est plus touchant que ses allocu- 
tions. Il a en horreur toutes les exagérations ultra- 
montaines. Il aime passionnément la France et sa 
grandeur, et gémit des absurdités qui compromet, 
tent l'avenir de la religion et l'esprit moderne. Mal- 
heureusement il cherche beaucoup trop son point 
d'appui auprès du pouvoir civil. Il ne se contente 
pas de lui montrer une grande déférence, c'est un 
ami du premier degré. Son discours lors de la pre- 
mière communion du prince impérial a dépassé la 
mesure du respect officiel pour le gouvernement. 
Voilà un côté de l'ancien gaUicanisme qu'il faudrait 
à tout prix abandonner, car cette attitude dépen- 
dante nuit à la religion plus que les belles apologies 
ne la servent. Nous exprimons ce regret avec une 
entière franchise, au nom même de la sympathie 
que nous inspire un évêque si bien fait pour arrêter 
le courant des foUes ultramontaines. Il a eu beau- 
coup à souffrir des soupçgns dont il a été l'objet de 
la part des zelanti; tout le monde sait qu'à Rome il 
est très-mal vu. Sa distinction personnelle et son 
éloquence dissipent les préventions, quand il peut 
plaider sa propre cause auprès du pape , mais les 



— 104 — 

voix qui l'accusent reprennent le dessus dès qu'il 
est parti. C'est qu'en réalité il y a incompatibilité 
foncière et radicale entre les deux tendances. 

L'archevêque de Paris a amené à Paris ou du 
moins y a laissé grandir auprès de lui tout un jeune 
clergé instruit, éclairé, libéral, qui réserverait de 
beaux jours à l'Eglise de France, si le courant con- 
traire n'était pas si fort et favorisé tous les jours par 
la plus haute autorité ecclésiastique. 

La démarche la plus hardie de l'archevêque de 
Paris a été de faire monter dans la chaire de Notre- 
Dame le père Hyacinthe, qui a vraiment ramassé 
le manteau de Lacordaire et ramené sous la voûte 
de la grande basilique les plus beaux jours de l'élo- 
quence religieuse. 

Pour le moment nous parlerons de lui en faisant 
complètement abstraction de la démarche saintement 
hardie par laquelle il a quitté son ordre. Nous le 
prenons tel qu'il était, quand il fut invité par l'arche- 
vêque à prêcher l'avent dans sa cathédrale. Le père 
Hyacinthe a apporté dans sa prédication un souffle 
généreux, ime flamme ardente qui en a fait de suite 
une puissance, et ime puissance de liberté. Né d'une 
famille universitaire, formé par de solides études 
classiques, il entra de bonne heure dans les ordres 
et se fit carme déchaussé. On reconnut de suite chez 
lui le don de la parole à un degré d'éminence qui le 



— iOo — 

plaça au premier rang. Dès qu'il apparut à Notre- 
Dame, ce fut untriomplie. Les foules pour Tentendre 
précédaient de deux heures le moment de la prédi- 
cation ; il faisait passer sur elles ces grands souffles 
qui les soulèvent comme des flots. Sa physionomie 
est ouverte et intelligente; son organe est vibrant; 
il semble constamment soulevé par le mouvement 
de sa pensée et de son cœur, et, dans ses bons jours, 
il a une force d'entraînement vraiment incompa- 
rable. L'imagination du père Hyacinthe est belle et 
grandiose; jamais elle n*a paru plus éclatante que 
quand il a reproduit les scène§ sublimes de TOrient 
biblique. Il n'a guère abordé dans ses conférences 
que des sujets assez généraux, le Dieu personnel, la 
xiaorale indépendante, la société civile, la société 
religieuse. Ce qu'il y a eu de plus remarquable dans 
Sa prédication, c'est ime admirable largeur qui lui 
fait reconnaître et saluer la vraie piété en dehors 
de sa propre EgHse. 

Un autre trait de cette prédication, c'est qu'elle 
était aussi peu sacerdotale que possible; le père 
Hyacinthe poussait hardiment à la pratique du sa- 
cerdoce universel dans l'enceinte de la famille. Il 
déclarait que le père et la mère doivent exercer la 
prêtrise domestique et que le grand malheur de l'E- 
flîse actuelle, c'est que le peuple de Dieu a abdiqué 
jette charge auguste. 



— i06 — 

Citons le fragment suivant de la conférence de 
rhiver 1869 contre le pharisaïsme : 

« Le pharisaïsme, sous son aspect profond, est 
donc Taveuglement religieux, Taveuglement des prê- 
tres dépositaires de la lettre et croyant la garder d'au- 
tant mieux qu'ils l'expliquent moins; aveuglement 
qui porte sur tous les points du dépôt sacré ; aveu- 
glement dans le dogme, prédominance de la formule 
sur la vérité; aveuglement dans la morale, prédo- 
minance de l'œuvre extérieure sur la justice inté- 
rieure; aveuglement dans le culte, prédominance 
du rite extérieur sur le sentiment religieux. 

« Aveuglement dans le dogme. — Ils ensei- 
gnaient la vérité. « Sur la chaire de Moïse se sont 
« assis les scribes et les pharisiens, disait Jésus- 
« Christ; croyez tout ce qu'ils disent, mais ne faites 
« pas ce qu'ils font. » Il n'y a pas d'idée révélée 
éclairée et vivifiant le monde sans un mot qui la 
contienne, lucerna mrium tuum^ Domine, «Ton 
« rayon de lumière. Seigneur, est làdans une lampe.» 
Mais si le mot se resserre, s'il enferme l'idée' conune 
une prison étroite et jalouse, s'il roî)scurcit, s'il 
rétouffe, c'est le pharisaïsme. C'est cô que l'apôtre 
saint Paul appelait garder la vérité, mais la garder 
captive dans l'iniquité. C'est ce qui arrachait aux 
lèvres si douces du Sauveur Jésus cet anathème 
terrible : Vâs wbis ! a: Vous avez pris la clef de 1» 



— 107 — 

îîence et vous n*entreiz pas, et tous ceux qui s*ef- 
Drcent d'entrer vous les en empêchez ; malheur 

vous! > 

: Dans la morale, c'est l'œuvre extérieure, c'est 
multiplicité des pratiques humaines se posant, 
ame lin poids tyrannique et méprisable, sur la 
igcience, et lui faisant oublier, dans des rêves 
Isains, qu^elle est ime conscience d'honnête 
mme et une conscience de chrétien. Les phari- 
ns disaient à Jésus-Christ : « Pourquoi tes dis- 
riples ne se lavent-ils pas les mains avant de 
manger, selon la tradition des vieillards ?» Et le 
uveur leur répondait : « Pourquoi foulez-vous 
aux pieds les commandements de Dieu pour gar- 
der les commandements des hommes? » 
« Mais il n'y a plus le sentiment religieux, quand 
coeur plie comme la conscience sous le poids des 
atiques extérieures. « Ah ! vraiment, disait encore 
Jésus-Christ, — car l'Évangile est plein de ces 
choses, TEvangile est la réprobation éteraelle du 
pharisaïsme,-^— ah! vraiment, comme Isaïe le pro- 
phète a bien parlé de vous quand il a dit : Ce 
peuple m'honore des lèvres et des mains, mais 
son cœur est loin de moi. » G or autem eorum longe 
' a me. 
« Arrière, hommes de la lettre; arrière, ennemis 

tous les humains ! Adversantur onmiius homi- 



— d08 — ] 

niiuSj comme dit saint Paul. Et vous, Jésus, levez- 
vous, mon Sauveur et mon Dieu, vous qui n'avez 
eu que deux colères dans votre vie ! Jésus n'avait 
pas de colère contre les pauvres pécheurs; il s'as- 
seyait à leur table, et quand la femme adultère toia- 
bait à ses pieds, rougissant de la honte et pleurant 
dans les remords, il la relevait, ne voulant pas l'ab- 
soudre : « Va en paix et ne pèche plijs ! » Il n'avait 
pas non plus de colère contre les hérétiques et les 
schismatiques ; il s'asseyait sur le puits de Jacob, à 
côté de la Samaritaine, et lui annonçait avec le sa- 
lut qui vient des Juifs, quia salus ex Judais est^ l'a- 
doration en esprit et en vérité. Mais Jésus eut deux 
colères : la colère, le fouet à la main, contre ceux 
qui vendaient les choses de Dieu dans le temple, 
et la colère, l'anathème à la bouche, contre ceux 
qui pervertissaient les choses de Dieu dans la loi. 

« Levez-vous donc, doux Agneau, dans vos paci- 
fiques colères contre les ennemis de tous les hom- 
mes et contre les vrais ennemis du royaume de Dieu, 
levez-vous et chassez-les du temple ! 

« C'est ainsi que la synagogue a péri et que 
l'Eglise chrétienne a surgi. 

« Nous allons nous séparer. Messieurs, pour une 
année encore ; permettez-moi de vous prier, en ce 
moment, de vous unir à moi dans une consécration 
à ce royaume de Dieu , à cette Eglise dont nous 



I - 



l 



— 109 — 

\ avons parcouru les parvis. Le christianisme n'est 
pas d'aujourd'hui ni d'hier; il n'est pas seulement 
■ de l'époque historique de Jésus-Christ et des apô- 
I,' très; il est de David, il est de Moïse, il est d'A- 
l Ivaham, il est d'Adam, notre père, notre roi, notre 
pontife à tous. Eh bien, dans cette religion unique, 
dans cette Eglise dont la forme change, mais dont 
le fond est immuable, ah! Messieurs et, — permet- 
i moi ce mot qui est dans mon cœur, — mes amis, 
p mes frères, consacrons-nous, à l'exemple des pro- 
l phètes, h l'amour et au service du royaume de 
Dieu ! Le royaume de Dieu est constitué définitive- 
: ment dans le christianisme, dans l'Eglise catholique, 
apostolique et romaine ; mais cette Eglise , comme 
je l'ai dit tout à l'heure, doit aller toujours de forme 
en forme, de «clarté en clarté, trans/ormamur clan- 
tate in claritatem^ jusqu'à ce qu'elle ait atteint, 
avec l'humanité, l'âge de l'homme parfait eu Jésus- 
Christ. 

< Oui, Messieurs, aimons l'EgKse dans tout homme 
et aimons tout homme dans l'Eglise ! Que m'im- 
Porte sa condition? Riche ou pauvre, ignorant ou 
savant, omnibus debitor sum^ je suis leur débiteur à 
tons, dit saint Paul. Que m'importe sa patrie? Qu'il 
Soit Français ou étranger. Grec ou barbare, omnibus 
^bitor sum^ je réponds avec saint Paul : Je suis le 
débiteur de la barbarie comme de la civiUsation. 

7 



^ no — 

Que m'importe, en un sens, pour aimer rhomme, 
sa religion elle-même î 

f Ah! s'il n'est pas un fils de l'Eglise catholique 
selon le corps, selon l'unité extérieure, il l'est peut- 
être, il l'est, je l'espère, selon l'âme, selon l'unité 
invisible. S'il n'est un fils de l'Eglise catholique ni 
selon l'âme, ni selon le corps, ni selon l'esprit, ni 
selon la lettre, il l'est du moins dans la prépara- 
tion des desseins de Dieu ; s'il n*a pas l'eau du bap- 
tême à son front, j'en gémis, — mais j'y vois le 
sang de Jésus-Christ, car Jésus-Christ est mort pour 
tous, ouvrant au monde entier ses grands bras sur 
la croix 1 Le monde est à Jésus-Christ, par consé- 
quent le monde est à l'Eglise, sinon en acte, du 
moins en puissance. Laissez-moi donc aimer tous 
les hommes; et vous-mêmes, aimez tous les hom- 
mes avec moi, non-seulement en eux, non-seule- 
ment dans leur étroite et terrestre individualité, 
mais dans la grande communauté chrétienne, dans 
la grande communauté qui les appelle tous I » 

Une âme de grand orateur est comme une harpe 
éolienne, non pas inerte, mais frémissante et in- 
telligente, qui vibre sous le vent qui souffle autour 
d'elle. Les conférences du père Hyacinthe ont été 
plus qu'une manifestation isolée; elles révélaient un 
état d'esprit général dans le milieu où elles reten- 
tissaient. D'ailleurs, les colères qu'elles excitaient, 



rinjuriem: dédain que leur montrait V Univers 
ajoutaient encore à ce qu'on pourrait appeler leur 
valeur barométrique. L'abbé Loyson, frère du can- 
férencier de Notre-Dame, porte dans la chaire de 
morale à la faculté de théologie de Paris un libéra- 
lisme très-net et très-apprécié. 

D est vrai que le père Hyacinthe était 'remplacé 
ians la chaire de Notre-Dame par le père Félix, 
lui y a prêché régulièrement jusqu'ici le carême. 
'jQ père Félix est la voix du jésuitisme, voix grêle, 
)erçante, mais qui ne manque pas de flexibilité. Il 
uet au service de la doctrine romaine un talent 
lair, précis, rompu au sophisme, capable de prendre 
ien des détours agréables pour revenir toujours 
ux mêmes génuflexions devant l'autorité papale. 
Su 1868, il a fait deux conférences contre le pro- 
3stantisme qui étaient pleines de fiel et d'injustice, 
Ssumant toutes les vieilles calomnies. Certes le 
Dntraste est grand entre une telle prédication et 
îs généreux accents du père Hyacinthe ; mais ce 
Dntraste, c'est tout le catholicisme contemporain. 

Nous aurions aimé aborder maintenant le cha- 
itre de la piété catholique. Il eût été d'un très- 
rand intérêt de retrouver sur ce terrain de la vie 
ratique les deux courants qui se sont heurtés sous 
os yeux dans le domaine de la pensée et de l'Eglise. 
ous aurions eu d'admirables figures à mettre en lu- 



— dl2 — 

mîère, comme celles qui se détachant ^de l'un des 
IhTes les plus émouvants de ce temps, Les récits 
d'une sœur^ de Madame Craven, la fignre si dou- 
cement poétique d'Eugénie de Guérin et ce jeune 
théologien catholique, l'abbé Péreyve, qu'évoquait 
dernièrement devant nous l'abbé Gratry, et qui est 
certainement l'un des plus nobles types d'un chris- 
tianisme profond et fervent. D'un autre côté, nous 
verrions ces eaux si pures dans les hauteurs, s'al- 
térer, se vicier et se mêler dans la plaine aux plus 
abjectes superstitions, telles que les prétendus mi- 
racles de la vierge de la Sallette et de la vierge de 
Lourdes, prodiges ridicules mais fiructueux, dignes 
des prêtres charlatans du paganisme expirant. 
Nous aurions à insister sur le développement d'un 
nouveau culte qui a grande vogue aujourd'hui, je 
veux dire l'adoration de saint Joseph, qui grandit 
tous les jours, comme on peut s'en convaincre par 
toute une littérature de niaise dévotion. Voilà ce 
qu'il ne faut jamais oublier quand on cherche à 
connaître le catholicisme contemporaui. Nous au- 
rions pour guide dans cette étude si intéressante 
un excellent écrit : Sur V esprit et la lettre de h 
vraie piété^ de l'un des jeunes prêtres les plus dis- 
tingués du clergé de Paris, M. l'abbé Michaud, 
qui proteste énergiquement contre tous les abus du 
pharisaïsme renaissant, contre tout ce qui énerve 



— 113 — 

et matérialise la vraie religion. Mais ce sujet est 
trop important pour que nous nous contentions de 
Teffleurep. Nous avons voulu seulement montrer 
que les divisions catholiques sont vraiment géné- 
rales et universelles et qu'elles portent sur la pra- 
tique comme sur la théorie. 



CHAPITEE III 



LÀ PRiÊPARATION DU CONCILB. 



La bulle d'mdiction date du 29 juin 186f 
jubilé séculaire du martyre de saint Pierre. Les dec 
grands partis qui se divisent l'Eglise catholique, i 
qui sont aussi Inégaux par le nombre que par '. 
valeur intellectuelle et morale, espéraient y trouvi 
chacun leur triomphe ou du moins leur avantag 
Les libéraux essayaient de se persuader que TEglii 
aurait en quelque sorte ses états généraux, qui me 
traient fin au règne absolu de la curie romaine. I 
papauté aurait pu profiter du grand concours d' 
vêques qui se pressaient à Rome à l'occasion duji 
bile pour enlever d'acclamation la consécration ( 
son infaillibilité. En réunissant un concile, ne ser 
blait-elle pas reconnaître une autorité supérieure 
la sienne, et qui seule était capable de légitimer so 
droit? D'un autre côté, les ultramontaîns, apri 
avoir trouvé dans ces derniers mois l'épiscopat docC 
à toutes leurs prétentions, comptaient sur une vi^ 
toire facile qui mettrait un terme définitif à d'i: 



— 115 — 

commodes résistances. On ne pouvait rien inférer de 
la bulle d'indiction, qui posait toutes les questions à 
la fois. « Le concile œcuménique, disait ce docu- 
ment, devra examiner avec le plus grand soin et. dé- 
tenmnei ce qui convient en ces temps calamiteux 
pour la plus grande gloire de Dieu, pour Tintégrité 
de la foi, pour la splendeur du culte, pour le salut 
étemel des hommes , pour la discipline et la solide 
instruction du clergé, régulier et séculier, pour Tob- 
servation des lois ecclésiastiques, pour la réforme 
des mœurs, pour Téducation chrétienne de la jeu- 
nesse, pour la paix ^nérale et la concorde univers 
selle. » On peut appliquer à ce programme le mot 
&meux : ioui êst dans tout. La curie romaine a eu 
soin d'en déterminer le sens. La Oiviltà cattolica^ 
que Ton peut appeler le Journal officiel de la par 
pauté depuis que la rédaction de ce recueil a été or^ 
ganisée en une espèce de congrégation par un bref 
du 12 février 1866, a trouvé que la franchise était 
^^^ fois ce qu'il y avait de plus habile. Le 6 fé- 
'^ier 1869, Torgane de la curie romaine indiquait, 
^fiinie les points principaux qui devaient être sou* 
^8 aux délibérations , Tinfaillibilité du pape, l'as- 
^^ption de la Vierge et la promulgation des doô- 
^^ea du Syllabus, M. Fessier, le secrétaire désigné 
^ concile, y ajoutait la question des rapports de 
Sg'lîse et de l'Etat, et du pouvuir temporel de la pa- 



— 416 — 

pauté. La Cimltà cattolica s'exprimait sur le SylU- 
hcs avec une netteté qui ne laissait rien à désirer. 
« Les catholiques libéraux craignent que le concile 
ne proclame la doctrine du Syllaïnis. Lçs catholi- 
ques proprement dits, c*est-à-dire la grander majo- 
rité des croyants, ont Tespoir tout contraire. » VoilJ 
qui est clair et sans ambages. — Le concile devat 
être, dans la pensée de ceux qui le préparaient, \t 
condamnation sans appel du catholicisme libéral e 
de la société moderne. La Cimltà ajoutait que roi 
avait lieu d*espérer que Tinfaillibilité du saint-pèw 
serait non pas discutée, mais* acclamé^ d'enthou- 
siasme, et elle rappelait que les meilleurs conciles 
ont été les plus courts. Ces mots étaient significatifs 
et révélaient un plan, celui de supprimer le plus pos- 
sible les débats et de réduire le concile à une vainc 
représentation. Nous verrons de quelle manière ce 
plan a été suivi, tout en étant contrarié à plusieurs 
égards. 

Le premier fait à signaler dans la période de Ifi 
préparation du concile est l'invitation adressée. paJ 
le saint-père aux deux grandes fractions de la chré- 
tienté qui sont en dehors du catholicisme. Une lettre 
apostolique fut envoyée aux patriarches d'Antioche 
de Jérusalem et de Constantinople; mais comme î 
s'agissait uniquement de venir à Rome faire acte i< 
soumission, elle fut repoussée. L'Eghse grecque iti- 



— 117 — 

voqua ses traditions plus anciennes, et la Russie 
aurait pu ajouteï qu'en fait d'autorité elle n'avait 
rien à envier à Rome, et qu'elle pratiquait scrupu- 
leusement les doctrines du Syllahis sur le devoir de 
^ persécuter l'erreur. La lettre pontificale adressée 
aux Eglises protestantes les sommait également de 
, faire pénitence pour leur révolte passée. Il s'agissait 
de reconnaître la primauté du saint-siége, et non 
pas de débattre libreinent en concile les questions 
controversées, comme l'avaient fait à Nicée les 
ariens. Ces Eglises étaient citées à la barre d'un tri- 
bunal pour y être acquittées après amende hono- 
rable. Déjà les protestants s'étaient abstenus de 
paraître à Trente , où on leur offrait pourtant un 
semblant de discussion. Il est vrai qu'on leur pro- 
Diettait le sauf-conduit de Jean Huss. Au dix-neu- 
^ème siècle, ils n'avaient pas à craindre de sembla- 
bles équivoques, mais, prêts à entrer dans un débat 
®^rieux, ils déclinaient une invitation dérisoire, qui 
Jes supposait déjà gagnés d'avance. Le saint-père, 
^aas sa lettre d'invitation, leur demandait de « recon- 
naître quelle influence fâcheuse exerce sur la société 
^a discorde née des principes de l'antagonisme reli- 
^i^iix, > et leur rappelait « les révoltes déplorables, 
les désordres et les troubles dont le fléau a visité 
les peuples schismatiques. » L'argument parut fai- 
lle ^ la libre Angleterre et à la grande république 

7. 



américaine ; il ne fut pas considéré comme beaucoup 
plus fort par T Allemagne protestante^ surtout au 
lendemain de la révolution de la dévote Espagne. 

Le refus des Grecs et des protestants les mettait 
en dehors de la préparation du concile, du moins au 
point de [vue religieux ; néanmoins leurs gouverne- 
ments auraient pu se croire politiquement intéressés 
à s'en préoccuper. Ils ont pensé avec raison qu'il 
valait mieux attendre l'événement. La Russie, qui a 
mérité l'indignation du monde en persécutant les 
catholiques de Pologne et en tolérant rincorporation 
en masse des luthériens de la Livonie à la religion 
grecque, à la suite d'indignes menaces, n'a pas 
même d'ambassadeur à Rome. L'Angleterre n'y a 
pas do ministre officiellement reconnu, bien qu'elle 
y fût représentée par un spirituel diplomate, M. Odo 
Russell, qui connaissait mieux que personne les cho- 
ses romaines. La Prusse est obligée d'y avoir une 
ambassade à cause des provinces rhénanes; mais sa 
seule démarche à Fégard du concile a été d'envoyer 
un très-beau tapis pour la salle des séances, aimable 
attention qui ne l'engage nullement à s'y agenouil- 
ler pour faire l'obédience. Les Etats-Unis d'Amé- 
rique ont une légation à Rome, mais je les soup- 
çonne d'en faire un poste de plaisance et de repos 
pour leurs hommes d'Etat fatigués. Quelles affaires 
peut avoir auprès de la papauté le pays classique de 



— 119 — 

la séparation 4e rEgliôe et de l'Ëtat ? Il u'en e8t pas 
de même de l'Autriche, de TEspagne, de l'Italie et 
de la France, puisque la majorité de Ibmt popula- 
tion appartient au catholicisme. Cependant aucune 
de ces grandes puissances n'a voulu être r^pré-* 
sentéô au concile, du moins à son ouverture. Plus 
tard il s'est opéré, comme nous le verrons, un revi- 
rement dans la politique de quelques-unes d'entre 
elles, revfa^meht qui, heureusement, n*a pas été 
suivi d'effet. Le royaume itahen et l'Espagne avaient 
d'exoellented raisons pour ne pas braver de trop 
près les foudres pontificales dirigées contre les dé- 
tenteurs des Mens de l'Eglise. Quant à l'Autriche, 
elle avpit assez à faire de dénouer les liens du con- 
cordat, qui a failli lui coûter l'existence nationale. 
La France, après quelques tergiversations, a jugé 
opportun de décliner toute responsabilité dans un 
concile où elle ne pourrait rien empêcher, et où il 
lui serait désagréable d'assister, dans la personne de 
son ambassadeur, à la condamnation de son droit 
public. Comme l'a très-bien fait remarquer M. Emile 
Ollivier dans son discours du 8 juillet 1868 sur l'as- 
sen^blée du Vatican, cette abstention des pouvoirs 
civils marque le progrès des temps et l'invincible 
courant qui porte à la séparation des deux pou- 
voirs. 

Non-seulement les Etats catholiques no se sont 



— ^20 — 

pas fait représenter au concile à son ouverture, mais 
pendant quelques mois ils ont évité avec soin de peser 
sur lui d'aucune façon. Le prince de Hohenlolie a bien 
essayé, dans Tété de 1869, d'organiser une entente 
entre les gouvernements européens pour exercer une 
sorte d'action préventive sur les résolutions si graves 
auxquelles les ultramontains poussent le concile en 
lui demandant de consacrer le Syllàbm et l'infailli- 
bilité pontificale, et de réduire ainsi à néant toutes 
les conventions avec les gouvernements de l'Europe 
moderne. Le cbef du cabinet de Munich remarquait 
avec raison que l'assemblée du Vatican, en entrant 
dans cette voie, sortait de la sphère religieuse, et me- 
naçait la paix des états ; il a rédigé, pour les facultés 
théologiques de la Bavière, une sorte de questionnaire 
sur les changements politiques qui pourraient résul- 
ter de la proclamation du nouveau dogme. Il n'a ob- 
tenu que des réponses ambiguës, embarrassées, qui 
indiquent bien que de graves modifications seraient 
possibles, mais sans rien préciser. Sa circulaire aux 
gouvernements n'a eu aucun résultat. Le général Me- 
nabrea s'est borné à déclarer que le royaume italien 
repoussait tout ce qui serait contraire à sa constitu- 
tion. Le ministère français, interpellé au sénat, au 
mois de janvier 1870, a répondu qu'il attendrait de 
connaître les résolutions du concile pour s'alarme^i 
mais qu'en tout cas il respecterait la liberté de VE- 



— 421 — 

glîse sans renier le droit de TEtat. Nous étions à ce 
moment bien loin du gallicanisme des anciens temps ; 
il est regrettable qu'on se soit dès lors écarté de cette 
voie et qu'on ait oublié qu'il ne servirait plus à rien, 
car dans une époque de publicité universelle, l'inter- 
diction de la publication des bulles n'aurait aucun 
sens. Les appels comme d'abus n'empêchent nulle- 
ment Tépiscopat ultramontain de diriger l'Eglise à 
son gré. Le gouvernement français, qui ne peut rien 
chez lui contre l'ultramontanisme , pouvait l'entra- 
ver à Rome, car c'est la France qui montait alors la 
garde autour de Saint-Pierre, et qui rendait possible 
par sa protection armée, tout ce qui serait décidé et 
fulminé contre la société que nos soldats représen- 
tent. Touchante longanimité, qui non -seulement 
tend la joue gauche après la jo^e droite au soufflet 
pontifical , mais encore soutient la main débile qui 
l'applique. Cette charité plus que sublime n'était pas 
du goût des minorités religieuses, qui se voyaient 
obligées bien malgré elles d'acquérir des mérites 
contre lesquels proteste leur conscience. 

Si des gouvernements nous passons aux diverses 
Eglises pour suivre le mouvement des esprits reli- 
gieux à la veille du concile, nous verrons se produire 
des tendances bien tranchées et même très-opposées. 
Laissant de côté pour le moment Rome et la papauté, 
^recueillons les principales manifestations faites par 



^ 



— 422 — 

les deux grands partis qui divisent le catholicisme 
au moment où ils se préparaient au solennel et dé- 
cisif rendez-vous du Vatican. Le parti ultramontain 
s'est tout de suitef montré plein d'im arrogant es- 
poir; il se savait en majorité considérable et de 
plus en parfaite harmonie avec le saint-siége. L'O- 
rient tout entier, avoQ ses vicaires apostoliques so^ 
tis du collège de la Propagande, lui appartenait. 
Ges }iommes simples et dévoués, sans grande ins- 
truction et sans indépendance, ont 1$ culte de 1^ pa* 
pauté. L'Afrique du Sud valait TOrient à cet égard. 
ffien que le catholicisme aux Btats-Ums ait su se 
pli^r avec une admirable souplesse laiix libres ixt 
atitutions, bien que les quelques évèquea néQ sur le 
sol de la république soient tous libéraux en politi- 
que, plusieurs d'entre eux ont donné de&i g^ges h 
Tultramontanisme, qui compte également sur les 
évêque$ irlandais» Cependant une portion di^ ç}ergé 
américain a réclamé la liberté de l'Eglise yis-à-vifi 
de? pouvoirs civils ; cette manifestation a fait ccmce- 
Toir des espérances exagérées sur sçs dispositions, 
car il est certain que la minorité seule avait parlé. 
L'Eglise catholique de la Grande-Bretagne est pres- 
que entièrement gagnée au parti papal ; la fraction 
iriandaise, qui a su maintenir son indépendance 
dans une glorieuse pauvreté en repoussant tout sa- 
laire de l'Etat, est plus fanatique qu'éclairée. Elle a 



— m — 

les ardeurp d'une inlnoiité longtemps persécutée, et 
la grande mesure réparafaàce qui vient d'illustrer 
le ministre Gladstone n'^ pas réussi à la calmer. 
L'Eglise catholique atiglmâiQ proprement dite est 
poussée aux extrêmes par im double motif : elle est 
séparée du culte naticmali ei^ outre elle est essentiel- 
letuent une église de cont^rtis, sans avoir d'ailleurs 
aucune chance d'entame)^ le roc anglo-saxon. Son 
représentant le plus distingué) rarchevêque Man- 
ning, est un ancien y^i!^ d'Oxford« L'un des pre- 
miers il a levé le drapafta de Tùitaillibilité pontifical^ 
dans un manifeste qui a &it sensation et donné 
le ton au parti. Les lutt^ passionnées dont la Bel- 
gique est le théâtre entre lœ catholiques et les liber 
raux ont jeté la majorité des premiers dans Tultra- 
montanisme le plus fougueuXi Mgr DeschampS) a lui 
aussi, publié sur l'infaillibilité du saint-père un écrit 
qui a eu un retentissement considérable ; il a contri- 
bué à dessiner les positiQQS avant le concile ; Genève 
a fourni au même parti l'un de ses orateurs les plus 
agréables, couvrant de âeurs les doctrines absolues ; 
c'est Mgr Mermillodi évêque d'Hébron, qui est tout 
ensemble ultramontain et radical, toujours aimable 
et onctueux. Les ultr^montains d'Italie sont des 
hommQS d'action qui tie savent ni parler ni écrire 5 
avec leurs confrères d' Bspagne, ils représentent au 
concile ces moines utiles qut, au dire de Pascal, rem- 



placent les raisons pour les autoritaires à bout d'ar- 
guments. 

Le contingent ultramontain venant de France avait 
une bien autre importance ; il avait pour lui le nom- 
bre, car depuis le commencement du siècle l'ancien 
gallicanisme a de plus en plus perdu de son crédit. L^ 
plupart dés séminaires appartiennent à la tendance 
papale. Saint-Sulpice se défend encore quelque peu au 
nom de ses glorieuses traditions. Mais comment lut- 
ter contre ce journalisme furibond qui reprend tous 
les thèmes de la Civilth cattolica^ les dépouille de 
leur lourde enveloppe scolastique et les taille en 
quelque sorte en flèches acérées, trempées dans ce 
fiel dévot qui est le fiel le plus amer et le plus péné- 
trant. V Univers avait organisé en faveur du concile 
une souscription à grand fracas, qui n'était qu'utt 
moyen d'agiter l'opinion, c sainte Vierge, s'écriai* 
un souscripteur, le pape vous a proclamée imma- 
culée, faites qu'il soit infaillible ! » C'était une heu- 
reuse application de la loi des échanges, donnant^ 
donnant. Au moment du départ pour Rome, les man— 
déments ultramontains se sont mis à pleuvoir comm^ 
grêle. Plusieurs évêques ont transformé leurs adieux 
en scènes pathétiques ; ils se sont fait remettre en 
grand apparat desadresses quiles suppliaient de pous- 
ser à la proclamation de l'infaillibilité du saint-père. 
Reconnaissant une voix du ciel dans ce qui n'était que 



— 425 — 

• 

l'écho de leur propre pensée, ils ont promis de se 
conduire à Rome en courageux confesseurs. Rare 
courage, en effet, que celui qui consiste à acclamer 
l'absolutisme et à le pousser à ses derniers excès ! 

Le catholicisme libéral q, bien des degrés. S'il 
compte des adhérents dans tous les pays, même en 
Angleterre, et en Belgique, il n'est nulle part aussi 
décidé, aussi hardi qu'en Allemagne. On n'habite 
pas impunément cette terre classique de la libre 
science. Le génie de la race se plie difficilement au 
joug,' dû moins dans le domaine de la pensée, car 
TAUemagne s'est sçuvent montrée trop docile dans 
la vie politique. Le contact avec les grandes Eglises 
de la Réforme a été très-salutaire au catholicisme 
gennanique, qui, loin de s'enfermer dans ses sémi- 
naires comme dans une citadelle d'obscurantisme , 
s'est mêlé à la vie universitaire, si indépendante en 
Allemagne. A Munich, à Tubingue, il a çu ses 
écoles, illustrées par des travaux considérables. Il a 
pu revendiquer pour des hommes comme Hœfele et 
Mœhler une place distinguée dans la phalange des 
grands théologiens du dix-neuvième siècle. L'ultra- 
lûontanisme ne trouvait pas les conditions favorables 
pour se développer sur cette terre de la science 
large et profonde et de la piété mystique ; il parve- 
iiait sans doute à s'y établir, mais il n'y exerçait au- 
cune prépondérance, si ce n'est dans quelques con- 



— 126 - 

trées de rÂIIemagne du Sud. Dèe que la bulle d m- 
dicfion du concile parut ayec le commentaire et le 
programme de la Civiltà cattoUet^^ la rérâstance 
aux prétentions des jésuites commença de s-organi* 
ser. Au mois de juillet 1869, la QazetU de Gologne 
publiait le manifeste dit dea catholiques allenw^^ 
qui faisait entendre des bords du Rhin les vœut des 
laïques pieux et distingués. Voici en substance ce 
qu'ils réclamaient avec autant de modération que 4e 
fermeté au nom des plus cbers intérêts de TEgHâa: 
< Si dans un concile général les évêquéa ont seuls Id 
droit d3 délibérer, les pensées et les désira detoudleà 
membres de TEglise doivent être pris en Considéra- 
tion ; les liù'ques peuvent aussi bien que les prôties 
avoîr de Tinfluence sur les décisions d'un concile. 
Les laïques ultramontains ne se font pas fauta de 
cette intervention dans des journaux passionnés qui 
parlent certes assez haut. Ce parti n'a-t«il pas à 
Borne son organe dans la Cimltà cattoliea^ qui tend 
résolument à la réalisation de ses plans? Et nous 
n'aurions pas le droit de dire : < Nous ne partageons 
pas ces vues et ces espérances; nous les combattons 
au contraire de toute notre énergie! » Les catholi- 
qifes allemands insistent sur ces quatre points. Ds 
demandent que TEglise renonce & toute force politi- 
que^ que les deux girands pouvoirs ôe meuvent cha- 
cun dans sa sphère , et qu'on en finisse h jamais 



— t«7 — 

avec tout ce qui rappelle la théocratie du moyen âge. 
c Bien, âisent-ils, û'éloigQe fiw de TEglise les es- 
prits que la crainte d'un régime qui mettrait la vio- 
lence au service de la religion. L'Etat n'est jamais 
plus chrétien que lorsqu'il reconnaît la nécessité de 
s'arrêter aux limites de l'ordre naturel et de ne pas 
empiéter sur l'ordre surnaturel, en laissant pleine 
liberté à la conscience et à la religion. ]» Le second 
point réclamé est que l'BgUais prenne une position 
normale vis-à-vis de la culture intellectuelle et de la 
science; il est temps de mettra un terme à de vains 
et dimgereux anathèmes. Le troisième point est la 
participation des laïques h la vie de l'Eglise, la 
préoccupation des souffi*ances du peuple et la né*^ 
cessité de nouveaux efforts pour ramener les frères 
séparés. Enfin l^s catholiques de Coblentz réclament 
la suppression de l'index romain, lequel rendrait 
impossible la discussion éclairée et impartiale avec 
les adversaires du cbristianiâme. 

Le manifeste de Cologne fut suivi d'une série de 
lettres insérées sous le pseudonyme de Janus dans 
la Gazette i'Augshourg. Ces lettres ont été réunies 
en volume. On en attribue l'inspiration, sinon la 
composition, au célèbre chanoine Dœllinger, qui a 
pris la tête de résistance au parti ultramontain. 
Savant illustre, théologiiBn et historien de premier 
ordre, M. Dœllinger a le tlroit d'élever la voix dans 



— 128 — 

son Eglise, car il lui a rendu d'immenses services 
par ses travaux d'histoire et de controverse. Dans 
son ouvrage sur le pouvoir temporel des papes, 
paru en 1858, il déclarait sans détour que ce pou- 
voir était le talon d'Achille du catholicisme. Dœllin- 
ger est un écrivain nerveux, éloquent, et jouit dans 
son pays de la plus juste considération. S'il n'a pas 
éqrit Janus^ il l'a du moins confirmé par une bro- 
chure énergique publiée à Ratisbonne, à la veiDe 
du concile, sous ce titre : Considérations proposées 
aux évêques du concile sur la question de V infailli' 
hilité du pape. C'est un résumé vif et substantiel 
deslettres de Isi Gazette d'Augsiourg. 7iï%«^5 est l'acte 
d'accusation le plus formidable qui ait jamais paru 
contre la curie romaine, car il retrace son histoire, 
et présente un tableau complet de ses usurpations 
et de ses fraudes. Qu'on en juge par ce firagment de 
la préface : 

« Nous avons écrit sous l'impression d'un danger 
sérieux qui menace tout d'abord l'Eglise catholique 
et sa situation intérieure; mais, — et il ne peut en 
être autrement en présence d'une organisation qui 
embrasse 180 millions d'hommes, — ce danger prend 
de plus vastes proportions encore, et, se transfor- 
mant en un grand problème social, il menace éga- 
lement les associations ecclésiastiques et les nations 
séparées de l'Eglise catholique. ' 



— 129 — 

« Ce danger ne date point d'hier, et n'a point 
pris naissance avec la convocation du concile. De- 
puis vingt-quatre ans déjà, Je mouvement rétro- 
grade a commencé à se faire sentir dans l'Eglise ca- 
tholique, et aujourd'hui, comme une maréemontante, 
il cherche, àTaide d'un concile, à envahir l'Eglise 
entière et à en absorber toute la force vitale. 

« Nous, — et il faut entendre ce pluriel, non 
dans im sens figuré, mais au pied de la lettre, — 
nous reconnaissons, en ce qui concerne l'EgHse ca- 
tholique et sa mission, appartenir à cette opinion 
que nos adversaires nomment libérale. Nous parta- 
geons les vues de ceux qui tiennent une réforme 
générale et décisive de l'église, ou immédiate ou 
différée, pour aussi nécessaire qu'inévitable. 
. « Pour nous, l'Eglise catholique ne s'identifie nulle- 
ment avec le papisme : d'où il suit que, malgré la 
communauté ecclésiastique extérieure, nous sommes 
au fond profondément séparés de ceux dont l'idéal 
ecclésiastique e^ im empire universel régi par un mo- 
narque spirituel et, s'il est possible, temporel, — un 
empire de contrainte et d'oppression, dans lequel le 
pouvoir séculier prête son bras aux dépositaires de la 
puissance ecclésiastique pour réprimer et étouffer 
tout mouvement désapprouvé par elle. 

« Nous ne nous dissimulons pas que plus d'une 
voix reprochera aux auteurs de ce livre de nier la 



— 430 - 

papauté jusque dans ses fondements. Le nombre est 
grand, en effet, de ceux pou? qui ce mot biblique 
n'a plus de sens : mêliarêswU vulnera dUigentis^ 
quam fraudulenta oscuia odkntis. Ceux-là se refu- 
seront à comprendre qu'on puisse aimer et honorer 
une institution en même temps qu'on en dévoile les 
imperfections, qu'on en dénonce les vices, et qu'on 
en signale de propos délibéré l'action pernicieuse. 
Dans leur opinion, on devrait taire avec soin de» 
choses de cette nature, ou tout au moins ne les men- 
tionner qu'en les excusant. Il y a longtemps qu'on 
a inventé pour ce déni de devoir l'expression de 

piété* • • 

« Nous estimons au contraire que notre piété se 
doit avant tout à l'institution divine de l'Eglise et à 
la vérité, et c'est précisément cette piété-là qui nous 
incite à nous élever franchement et sans détours 
contre toute transformation et altération de l'une ou 
de l'autre. . . Qu'il nous soit permis d'invoquer, comme 
preuve qu'ici nous n'agissons que dans l'esprit de 
l'Eglise, deux sentences, dont l'une émane d'un 
pape et l'autre d'un saint vénéré. Innocent III 
dit en effet : JFdlsitas snb velantine sanctitatis tôle- 
mri non débet. Et saint Bernard déclare : Melius 
est ut scandalum oriatur, quwm veritasrelinquatur. > 

Un livre plus hardi enoore que /anus l'a suivi de 
près, il est intitulé : Réforme de V Eglise romaine 



— 431 — 

l(ms sa tête et dans ses membres^ tâche du prochain 
m^le (1). L'auteur s'occupe moins du passé que 
le l'avenir; il évite tous les mots irritants. U se 
contente de caractériser en quelques traits rapides 
et précis la situation dans laquelle le romanisme 
jésuitique a mis l'Eglise ; puis il indique les remèdes 
que réclament de? maux si graves. 

€ Mon livre , dit l'auteur , se produit comme la 
libre parcde d'un Allemand qui porte en son cœur 
les intérêts du catholicisme. Cette parole réclame 
la réforme de l'Eglise catholique dans sa tête et dans 
ses membres, la guérison des maux dont l'afflige la 
curie romaine. CeUe«ci a blessé à mort l'Eglise par 
la centralisation de tous les pouvoirs ecclésiastiques 
^ Borne, par ses appels sans cesse renouvelés à la 
ferce matérielle pour soutenir des décrets ecclésias^ 
tiques, par son obstination à maintenir des principes 
ôociaux en opposition avec toutes les idées et les 
besoins du temps ; elle a exclu les laïques de toute 
participation à la vie de l'Eglise et maudit toute 
science qui ne reçoit pas ses consignes. C'est ainsi 
Qu'elle a déshonoré le catholicisme en présentant 
l'Eglise comme une institution de police dans l'or- 
ire social et une puissance de ténèbres dans l'ordre 
intellectuel. » 

(1) Reform âer rômischen Ktrche in Haupt unà OHedern. 



_ 132 — 

L'auteur rappelle en finissant ce mot de saint 
Ambroise : « Rien n'est si dangereux auprès de Dieu, 
si honteux auprès des hommes pour im prêtre 
que de ne pas dire librement son sentiment, i 
C*est le pur amour de la vérité qui le fait parler, 
et son unique désir est de « ranimer sur la terre ce 
feli que le Christ y a allumé pour dévorer Terreur 
et le mal. i> 

Ces manifestations précédèrent la fameuse décla- 
ration de Fulda, signée par vingt évoques alleinands. 
Celle-ci était tenue à une grande modération de lan- 
gage, on peut mênie dire qu'elle l'a exagérée. Ce- 
pendant la pensée des évêques signataires n'est pas 
douteuse; au fond, ils protestent contre tout ce qu'on 
prépare à Rome, mais ils usent de l'artifice imaginé 
par les grands de la cour de Perse pour donner des 
avis à leur souverain. Ces seigneurs n'avaient trouvé 
rien de mieux que de le louer pompeusemient des 
qualités qu'ils lui souhaitaient et qui lui manquaient. 
« grand roi, que vous êtes généreux ! > lui di- 
saient-ils quand ils le trouvaient avare. C'est ainsi 
que les évêques de Fulda, qui craignent à juste 
titre que le concile ne fasse de nouveaux dogmes, 
qu'il ne condamne la société moderne, et qu'il n'ait 
pas la liberté suffisante, ne se font pas faute 4^ 
dire dans leur adresse : c Jamais un concile œcu- 
ménique ne pourrait formuler \m nouveau dognae 



— 133 — 

ïuî ne serait pas contenu dans la sainte Ecriture 
et dans la tradition apostolique. Jamais un concile 
œcuménique ne pourrait formuler des maximes qui 
seraient en opposition avec la justice et le droit de 
l'Etat, avec les vrais intérêts de la science et de la 
liberté légitiine. Rien n*est moins fondé que la crainte 
que le concile manque de la liberté nécessaire à ses 
délibérations. » Pour des lecteurs delà Civiltà catto- 
Ika^ le tour est ingénieux ; mais quelque habile et 
révérencieuse que soit l'adresse de Fulda, le sens en 
est clair : elle prend nettement parti contre Tultra- 
montanisme et son programme. 

L'Eglise catholique hongroise a conservé un esprit 
très-libéral. Elle est plus décidée qu'aucune autre à 
ïepousser les prétentions de la curie. Qu'on en juge 
par le ferme langage que tenait cet été l'un de ses 
membres les plus distingués à un congrès catholique 
réuni à Pesth : 

« Le monde catholique est à la veille de grands 
événements. Ne dissimulons rien et disons ouverte- 
ment ce que chacun sait. Le monde catholique est 
livisé en deux grands partis : l'un, libéral, qui veut 
ociarcher d'accord avec l'Etat moderne, — l'autre , 
iltramontain, qui a horreur de la liberté de penser 
A plus timide. J'ai l'intime conviction que les re- 
présentants catholiques hongrois réunis dans cette 
issemblée, animés par la foi religieuse et l'amom 

8 



3 



3Ï 



si 

I 

ù 



— 434 — 

de la patrie, n'oubliant pas que leurs travaux inté* 
ressent TEglise et le pays, — que l'histoire les ju- 
gera un jour, se prononceront sans hésiter en feveur 
des idées catholiques libérrles. 
I € L'Evangile n'est nullement ennemi du libéra- 
lisme ; bien plus, comme source de l'amour éte^ 
nel, comme rayon de la lumière divine, il est le i 
libéralisme même. Le congrès, je l'espère, expri- 
mera hardiment et nettement cette idée, et ses mem- ^ 
bres, par tous leurs actes, prouveront qu'ils enten- 
dent servir l'Eglise et la patrie en la popularisant. 
Aucun d'eux ne voudra soutenir le parti qui, cher- 
chant à s'identifier avec l'Eglise, s'eflEbrce de prouver 
que celle-ci est l'ennemie jurée de l'état moderne et 
conduit ainsi le catholicisme à sa perte. » 

Dans le tableau tracé, dit-on, pour le saint-père? 
afin qu'il pût d'un coup d'œil se faire une idée à^ 
l'esprit des diverses églises, le Portugal était mis ^ 
côté de la Hongrie comme appartenant au parti d^ 
la résistance libérale. Nous ne savons pas bien quelle 
place y occupait la France. Si Ton compte les suflBr^" 
ges, elle doit être marquée de blanc ; si on les pès^f 
elle doit être très-mal classée sur ce fameux tableau -y 
car il est certain que l'élite morale et intellectueE^ 
de son haut clergé appartenait à la tendance Hbéral^ -y 
à commencer par l'archevêque de Paris, vrai fils de 1é> 
France moderne qui avait mérité la haine de la curi^ 



-^ 135 - 

^maitie. On a lu cette fameuse lettre où le pontife 
li reproche sa soumission aux lois de son pays avec 
311 moins d*acrimonie que sa résiâtance à Tabsolu- 
smeromain. MgrraTchevêquede Paris s'est exprimé 
'ès-modérément sur le concile, mais sa personne 
lème valait un mandement libéral. La faculté de 
tiéologie delà Sorbonne est demeurée fidèle à ses glo- 
ieuses traditions. Nous nous bornons à mentionner 
)our le moment le livre si remarquable de son doyen, 
flgrl'évêque deSura, sur le concile général et la paix 
religieuse. Le mandement d'adieu de Mgr Dupan- 
ioup a été pour le clergé français ce qu'a été le ma- 
îifeste de Fulda pour l'Allemagne. En prenant aussi 
lettement parti contre l'opportunité du nouveau 
ogme, l'évêque d'Orléans a effacé aux yeux de Rome 
•Us les services qu'il avait -rendus, spécialement 
''Xis la campagne relative au pouvoir temporel. Ni 
'g*e, ni de cruelles souffrances n'avaient pu amor- 
* l'ardeur de M. de Montalembert ; il s'est montré 
lïb veille du concile l'un des plus vaillants dans 
Ci parti, et très-certainement le plus hardiment 
•éral. On s'en est bien aperçu en lisant la lettre 
-*il a envoyée aux catholiques allemands pour 
^Bcrire à leur programme. Pour M. Arnaud de 
^xiége, qui combat depuis longtemps la papauté 
Oaporelle^ le dogme de l'infaillibilité est une pré'- 
^tion injustifiable \ il montre dans son livre sur 



— 136 — 

VEglise et la révolution la profondeur de Tabîme 
creusé par les docteurs du Gesu et les encycliques 
entre la société moderne et l'Eglise. Il établit qu'il 
ne sera pas possible de réconcilier le christianisme 
et la société moderne, aussi longtemps que l'Eglise 
demeurera unie à TEtat et qu'elle sera un établis- 
sement politique. Cette confusion était le trait dis- 
tinctif du paganisme, qui ignorait le respect de la 
conscience parce qu'il ne connaissait pas le Dieu 
véritable. De nos jours elle vient tout compromettre, 
tout altérer, et en enrôlant la religion au service de 
l'absolutisme, elle détourne d'elle tous les cœurs gé- 
néreux. Ces grandes pensées sont développées par 
la logique et par l'bistoire avec une rare vigueur 
de langage. L'auteur n'hésite pas à dénoncer la mi- 
sérable politique de la cour de Rome, surtout à la 
veille du concile. 

€ D'où vient ce prétendu divorce? Pourquoi 
l'EgUse semble-t-elle avoir perdu c ce discernement 
« des besoins de son époque et cette puissance de 
« rajeunissement qui lui ont valu pendant dix- 
« huit siècles sa longévité sans exemple? » Quel- 
que déviation radicale se serait-elle opérée dans la 
marche de l'humanité? Le grand mouvement de la 
civilisation aurait-il subitement changé son cours? 
Ne pourrait-on pas le supposer quand cette Eglise» 
qui a été l'initiatrice de tous les progrès, s'est 



— 137 — 

rrêtée tout à coup, n'ayant plus que des anathèmes 
lancer contre le monde moderne ? 
« Que ceux qui poussent TEglise dans cette voie 
e réaction le sachent bien, il ne s'agit plus de 
endances confuses et d'impatiences désordonnées, 
•ù l'incrédulité religieuse se mêlait si bien au besoin 
ie réformer l'ordre politique que le clergé pouvait 
y méprejidre ; il s'agit de principes politiques qui 
e définissent nettement, d'un droit social nouveau 
[ui prend possession du monde entier, après avoir 
u sa première manifestation en France ; ce n'est 
(lus le rêve de quelques utopistes, c'est un fait et 
in fait indestructible. 

< Depuis trois siècles que s'est accusée cette 
cission entre l'Eglise se faisant la complaisante ser- 
ile des gouvernements absolutistes pour assurer sa 
ropre domination, et la société laïque prenant 
^nscience de son droit, les peuples que vous ana- 
lématisiez parce qu'ils voulaient se faire libres, 
ont cessé de marcher et de grandir. Ceux que 
3tre influence retenait dans le vieil ordre politique 
>nt restés comme frappés d'impuissance. 
« Qu'avez-vous fait de l'Autriche ? N'avez-vous 
ts votre part de responsabilité dans l'écroulement 
udain de cet empire que l'on supposait indestruc- 
>le par l'effet de cette imposante unité qui faisait 

ses institutions et de ses croyances un système 

8. 



— 138 — 

indivisible ? La veille encore de son grand désastre, 
n'aviez-vous pas cru consolider les fortes assises en 
renouvelant par un concordat le pacte antilibéral 
entre l'autel et le trône ? 

€ Qu'avez-vous fait de Tltalie, de cette Italie où 
il semble que la nature ait voulu accumuler tous les 
dons et toutes les aptitudes de la race humaine, et 
les peuples de toute la terre apporter le tribut de 
leurs puissances intellectuelles et morales ? La mor- 
celant en mille pièces, pour vous y ménager un 
trône, vous avez rendu stériles ses grands siècles, 
les plus splendides de Thistoire; vous l'avez livrée 
en proie à l'étranger; vous avez laissé s'enraciner 
dans son sein la plaie bideuse du brigandage ; ce 
berceau de la civilisation est devenu entre vos mains 
la terre des morts ; et lorsque enfin l'Italie sort de 
son sépulcre, au lieu de lui dire, conmie le Christ à 
Lazare : Lève-toi et marche, vous condamnez sa 
renaissance. 

« Qu'avez-vous fait de l'Espagne ? 

« Ainsi, non-seulement l'Eglise ne dirige plu^ 
les destinées des peuples, mais elle se pose devat^* 
eux comme une digue. Partout où la révolutioii 
s'affirme, surgit la même question : Pour marcbeï"» 
faut-il rompre avec l'Eglise ? Il en résulte, dans l^ 
réveil de tous les peuples, un malaise, des troubl^^ 
intimes, des crises violentes, des découragement^ 



— 439 — , 

lomentanés, crises, découragements, malentendus, 
ippelant avec des nuances diverses les phases qui 
at caractérisé la révolution française. 

€ Cette vue distincte nous soutient. Plusieurs 
ëjà, qui étaient nos compagnons de route panni 
iB plus chers, se sont lassés de Tattente, indignés 
es résistances opiniâtres et injustes ; à leur tour, 
royant que le divorce était irrévocable et qu'il fallait 
»pter entre les deux puissances, ils se sont séparés 
le Tunité catholique ; et la plupart, entraînés par 
A logique de leur première rupture, après . avqir 
quitté TEglise, ont bientôt quitté le Christ au nom 
de la libre pensée et de la raison aflfranohie. » 

Le fait le plus important de cette période de 
préparation a été l'éclatante rupture du père Hya- 
cinthe avec le romanisme. Depuis longtemps déjà 
l'incompatibilité entre sa tendance et celle qui pré- 
vaut à Rome s'était manifestée. Ses premières confé- 
>*ences avaient été trop admirées de tous les esprits 
généreux pour ne pas exciter un grand scandale au 
^îyer de l'ultramontanisme. Les inquiétudes sur son 
^tnpte, un moment calmées par sa présence à 
îome, s*étaient ravivées pendant l'automne de 
869, à la suite de ses conférences sur l'Eglise dans 
ssqueUes il avait si* énergiquement attaqué tout ce 
l^ est aimé et prôné autour du Vatican. Il avait bien 
^uvé un retour de bienveillance dans son entrevue 



avec le saint-père du mois de mai 1869, mais la 
défiance à son égard subsistait ; il ne pouvait en être 
autrement, puisqu'elle résultait du fond même de sa 
pensée. L'éloquent discours prononcé par lui dès 
son retour à Paris pour la ligue de la paix, fit dé- 
border la coupe. Le cbef de son ordre voulut mettre 
un sceau sur ces lèvres saintement imprudentes. 
Le père Hyacinthe n'hésita plus; sa conscience 
même était atteinte et il publia sa lettre du 20 sep- 
tembre, digne commentaire de l'acte par lequel il 
rompait avec son ordre et brisait la filière hiérar- 
chique pour obéir à Dieu. 
Voici cette lettre dont l'écho a été si grand : 

Au E. -P. général des carmes déchaussés^ à Home. 

€ Mon très-révérend père. 

<r Depuis cinq années que dure mon ministère à 
Notre-Dame de Paris, et malgré les attaques ou- 
vertes et les délations cachées dont j'ai été l'objet, 
votre estime et votre confiance ne m'ont pas fait 
un seul instant défaut. J'en conserve de nombreux 
témoignages écrits de votre main, et qui s'adressent 
à mes prédications autant qu'à ma personne. Quoi 
qu'il arrive, j'en garderai un souvenir reconnaissant. 

« Aujourd'hui, cependant, par un brusque chan- 
gement, dont je ne cherche pas la cause dans votre 



— 141 ~ 

3ur, mais dans les menées d'un parti tout-puîssant 
Eome, vous accusez ce que vous encouragiez, 
ms blâmez ce que vous approuviez, et vous exigez 
le je parle un langage ou que je garde un silence 
li ne seraient plus l'entière et loyale expression 
3 ma conscience. 

€ Je n'hésite pas un instant. Avec une parole 
lussée par un mot d'ordre, ou mutilée par des 
licences, je ne saurais remonter dans la chaire 
e Notre-Dame. J'en exprime mes regrets à l'in- 
îUigent et courageux évêque qui me l'a ouverte et 
l'y a maintenu contre le mauvais vouloir des 
ommes dont je parlais tout à l'heure. J'en exprime 
les regrets à l'imposant -auditoire qui m'y envi- 
onnait de son attention, de ses sympathies, j'allais 
resque dire de son amitié. Je ne serais digne ni 
e l'auditoire, ni de l'évêque, ni de ma conscience, 
i de Dieu, si je pouvais consentir à jouer devant 
ux un pareil rôle ! 

€ Je m'éloigne en même temps du couvent que 
habite, et qui, dans les circonstances nouvelles 
ui me sont faites, se change pour moi en une 
rison de l'âme. En agissant ainsi, je ne suis point 
fidèle à mes vœux : j'ai promis l'obéissance mo- 
istique, mais dans les limites de l'honnêteté de 
a conscience, de la dignité de ma personne et 
ï mon ministère. Je l'ai promise sous le bénéfice 



•1 



-.142 — 

de cette loi supérieure de justice et de royale libertin 
qui est, selon Tapôtre saint Jacques^ la loi propre 
du chrétien. 

« C'est la pratique plus parfaite de cette liberté 
sainte que je suis venu demander au cloître, voici 
plus de dix années, d^^ns Télan d'un enthousiasme 
pur de tout calcul humain, je n'ose pas ajouter 
dégagé de toute illusion de jeunesse. Si, en échange 
de mes sacrifices, on m'oflfre aujourd'hui des 
chaînes, je n*ai pas seulement le droit, j'ai le devoir 
de les rejeter. 

a: L'heure présente est solennelle. L'Eglise tra- 
verse l'une des crises les plus violentes, les plu* 
obscures et les plus décisives de son existence ici* 
bas. Pour la première fois depuis trois cents ans, 
un concile œcuménique est non-seulement convo* 
que, mais nécessaire : ce sont les expressions du 
saint-père. Ce n'est pas dans un pareil moment 
qu'un prédicateur de l'Evangiie, fû1>-il le dernier de 
tous, peut consentir à se taire, comme ces M'^ 
muets d'Israël, gardiens fidèles à qui le prophète 
reproche de ne pouvoir point aboyer : Canes «Jurf'» 
non valentes latrare. 

€ Les saints ne se sont jamais tus. Je ne suispw 
l'un d'eux, mais toutefois je me sais de leur race 
— ^lii sanctorum sumus^ — et j'ai toujours ambi' 
tionné de mettre mes pas, mes larmefi, et s'il b 



i. 



j 



— 443 — 

Hait, mon sang dans les traces où ils ont laissé 
3 leurs. 

c J'élève donc, devant le saint-père et devant le 
•ncile, ma protestation de chrétien et de prêtre 
intre ces doctrines et ces pratiques, qui se npm- 
ent romaines, mais ne sont pas dirétiennes, et 
li, dans leurs envaliissements toujours plus auda- 
eux et plus funestes, tendent à changer la consti- 
ition de l'Eglise, le fond comme la forme de Ten- 
îignement, et jusqu'à l'esprit de sa piété. Je 
roteste contre le divorce impie autant qu'insensé 
ii'on s'efforce d'accomplir entre l'Eglise, qui est 
otre mère selon l'éternité, et la société du dix- 
euvième siècle, dont nous sommes les fils selon le 
3mps, et envers qui nous avons aussi des devoirs 
i des tendresses. 

c Je proteste contre cette opposition plus radicale 
t plus effrayante encore avec la nature humaine," 
tteinte et révoltée par ces faux docteur^ dans ses 
spirations les plus indestructibles et les plus sain- 
es. Je proteste par-dessus .tout contre la perversion 
acrilége de l'Evangile du Fils de Dieu lui-même, 
ont l'esprit et la lettre sont également foulés aux 
'ieds par le pharisaïsme de la loi nouvelle. 

f Ma conviction la plus profonde est que si la 
•"rance en particulier, et les races latines en général, 
ont livrées à l'anarchie sociale, morale et religieuse, 



la cause principale en est non pas sans doute dans 
le catholicisme lui-même, mais dans la manière dont 
le catholicisme est depuis longtemps compris et 
pratiqué. 

« J'en appelle au concile, qui va se réimir pour 
chercher des remèdes à Texcès de nos maux, et 
pour les appliquer avec autant de force que de 
douceur. Mais si des craintes, que je ne veux point 
partager, venaient à se réaliser ; si l'auguste as- 
semblée n'avait pas plus de liberté dans ses délibé- 
rations qu'eUe n'en a déjà dans sa préparation; si, 
en un mot, elle était privée deâ caractères essentiels 
à un concile œcuménique, je crierais vers Dieu et 
vers les hommes pour en réclamer un autre vé- 
ritablement réuni dans le Saint-Esprit, non dans 
l'esprit des partis, représentant réellement l'Eglise 
universelle, non le silence des uns et l'oppression 
des autres, a: Je souffre cruellement à cause de la 
« souffrance de la fille de mon peuple ; je pousse des 
« cris de douleur, et l'épouvante m'a saisi. N'est-il 
a: plus de baume de Galaad, et n'y a-t-il plus là de 
€ médecin? Pourquoi donc n'est-elle pas fermée, b 
« blessure de la fille de mon peuple? » (Jérém. VIII-) 

« Et enfin, j'en appelle à votre tribunal, ô Sei- 
gneur Jésus! Ad tuum^ Domine Jesu, tribund*' 
appello. C'est en votre présence que j'écris ce^ 
lignes; c'est à vos pieds, après avoir beaucoup pri^i 



beaucoup réfléeM, beaucoup souffert, beaucoup 
attendu, c'est à vos pieds que je les signe. J'en ai 
la confiance, si les hommes les condamnent sur la 
terre, vous les approuverez dans le ciel. Cela me 
suffit pour vivre et pour mourir. 

« Fr. Hyacinthe, 

« Supérieur des Carmes déchaussés de Paris, deuxième 
définiteur de TOrdre dans la province d*Âvignon, 

« Paris-Passy, le 20 septembre 1869. » 

Devant un acte si grand toute parole est froide 
et insuffisante. Notre bien-aimée France n'est pas 
abandonnée de Dieu, puisqu'il y suscite un pareil 
apostolat. La seule chance qu'ait le christianisme 
de n'être plus confondu avec le romanisme, c*est 
une protestation semblable. Les éloquentes reven- 
dications de la liberté des âmes, les attaques habiles 
contre le despotisme ultramontain, les mots amers 
prononcés à mi-voix contre le jésuitisme triomphant, 
tout cela n'est rien et n'empêche pas le romanisme 
de se produire en pleine lumlèj-e comme le seul re- 
présentant de l'Evangile,- et d'inspirer un si mortel 
dégoût à toutes les âmes généreuses qu'elles se 
précipitent dans l'athéisme. Les prudents de l'Eglise 
sacrifient les destinées du christianisme dans l'Eu- 
rope catholique à une timidité maladroite et qui de- 
^®nt coupable en se prolongeant. La situation ne 

9 



peut être sauvée que par une sainte folie du genre 
de celle qui s'est accomplie sous nos yeux. Heu- 
reux celui qui est appelé à une telle mission par ri> 
résistible impulsion de la conscience, au travers de 
la souffrance et de l'opprobre ! 

Qu'on nous comprenne bien ; nous ne dépassons 
pas d'une ligne la portée de l'acte du père Hyacinthe. 
• Nous sommes à cent lieues de toute préoccupation 
sectaire ; ce qui se passe est au-dessus de nos cadres. 
C'est une initiative réformatrice qui est destinée à 
agiter nos eaux stagnantes. Qui n'a senti passer 
dans cette lettre simple et sublime ce souffle divin 
qui annonce l'aurore des grandes journées de l'his- 
toire religieuse î Vraiment ceux qui n'y reconnaissent 
pas Dieu commettent le péché contre l'Esprit-Saint. 
Que les timides se voilent la face et poursuivent 
leur pitoyable jeu de bascule ; que les pharisiens, 
comme V Univers et le Monde^ lancent leurs mé- 
prisables invectives, y mêlant ces railleries dévotes, 
qui soLt le dernier rebut de l'esprit humain; que 
Eome fulmine son anathème, Dieu est là. Toute 
conscience droite l'a bien senti. Où trouver un 
exemple plus décisif pour suivre la voix divine en 
ne se laissant pas arrêter par une hiérarchie vé- 
nérée que celui du grand condamné de la syna- 
gogue î c Vous me laisserez seul, a-t-il dit aux 
hommes; mais je ne suis pas seul, car le Père e?t 



I 

1 



— U7 — 

^ec inoî ! > Aux injures, aux objurgations pieuses 
aux excommunications ont répondu des milliers 
î prières. 

On a contesté Topportimité de ce grand acte 
nnme si Theure de la conscience n'était pas l'heure 
> Dieu même, comme si toutes les raisons secon- 
dres ne s'eflEaçaient pas devant le devoir sacré 
être fidèle à ses convictions. En tout cas le père 
yacintlie a dit tout haut ce que tout catholique 
)éral dit à mots plus ou moins couverts. Seulement 
parole a été une action, c'est-à-dire un verbe. 
)n appel à Jésus-Christ a beau être maudit à Rome, 
illé ailleurs, il a prononcé une parole décisive et 
len verra plus tard la fécondité (1) 
Rome, on le comprend, n'est pas restée inactive 
ins cette période de préparation, d'autant plus 
l'élle entendait bien faire du concile l'instrument de 
J8 desseins qu'elle assimile d'emblée aux décrets 
emels. C'est surtout la conviction du saint-père qui 
it engagée directement par sa foi religieuse dans 
parti des zela^iti les plus extrêmes. Il ne se tient 
18 dans les hauteurs sereines où le pontife d'une 
fande Eglise comme le souverain d'un grand Etat 
)urrait se croire obligé de demeurer afin d'exercer 



(1) Voir Tarticle de M. Bigpelow sur le père Hyacinthe [Revue 
^^tierme, fé? rier 1870). 



— 148 — 

un pouvoir modérateur. Non, il agit comme le 
chef de Tultramontanisme. Sans doute il en est c 
comme de tous les chefs des partis politique 
religieux ; il suit l'impulsion aussi souvent qu' 
donne. Les jésuites ont trouvé en lui im soi 
d'autant plus précieux qu'il est sincère. Nulle 
n'est plus droite, plus pure. Une auréole de l 
ceint son front, son accueil est paternel, mél 
d'autorité et de familiarité. Sa piété est profon 
fervente, mais aussi aveugle que celle de la 
humble paysanne de la campagne romaine, 
toujours agi par une sorte d'inspiration ; même 
jours de son libéralisme et de sa popularité, 
se décidait pour l'acte le plus simple qu'après ; 
consulté son crucifix, méthode de gouvememeni 
dangereuse quand il s'agit de mesures où la rj 
et le jugement peuvent seuls décider, « D 
toujours, dit un homme d'esprit qui le connaît ' 
les subKmités du ciel aux bas-fonds de la 
tique. » Cette nature mobile et ardente expUqi 
revirement de ses opinions è. la suite des événen 
de 1848 et aussi' des injustices dont il a été vict 
Gaëte a été son Sinaï, c'est à la lueur des éc 
de la révolution qu'il a cru recevoir comm( 
nouveau Moïse les tables de la loi ; les jésuit 
ont écrit les doctrines du Syllahus et Pie IX 
défendre Dieu même en les promulguant, car 



— 140 — 

met toute sa conscience. Voilà le malheur et le 
péril. H purifie en quelque sorte au feu de sa piété 
les calculs des jésuites qui sont d'un ordre bien dif- 
férent. Bon jusqu'à la tendresse quand sa foi n'est 
pas en jeu, il est susceptible de devenir implacable 
pour des motifs religieux. L'Eglise catholique ne 
pouvait dans les temps que nous traversons pos- 
séder un pape plus respectable et plus dangereux. 
Plutôt moine exact et austère que théologien, il 
connîdt très-médiocrement l'histoire de l'Eglise, 
aussi VBrt-il droit à son but sans être retenu par 
aucune considération. C'est ce qui explique son 
intervention constante et passionnée dans la prépa- 
ration et dans la conduite du concile. Longtemps 
avant son ouverture il a pris parti pour la droite 
extrême par un brei explicite adressé à Mgr Des- 
champs à l'occasion de sa brochure sur l'infaillibilité 
du successeur de saint Pierre. D'ailleurs la Giviltà 
cattoUca qui, comme nous l'avons dit, est devenue 
une véritable institution romaine organisée par 
l'autorité supérieure, donnait tous les jours sa 
pensée et c'est avec son assentiment, si ce n'est ^ur 
son ordre, qu'elle a publié le fameux programme 
qui a soulevé tant d'opposition. Le pape aussitôt la 
bulle d'induction lancée a envoyé un questionnaire 
aux évêques qui révèle ses préoccupations. Il 
porte sur les moyens d'abolir le mariage civil et les 



i- 180 — 

écoles laïques, sur le danger de l'introduction de 
domestiques hérétiques dans ^ les maisons pieuses 
et sur la profanation des cimetières qui ne seraient 
plus uniquements ouverts aux catholiques. Rien de 
plus mesquin que cette consultation demandée par 
la papauté à Tépiscopat du monde entier ; on la voit 
uniquement soucieuse de resserrer les liens de 
Tesclavage spirituel, sans qu'aucime des grandes 
questions du temps soit seulement abordée. 

Le soin principal du saint-père avant le concile 
a été Torganisation des congrégations appelées à 
élaborer les décrets qui devaient être soumis à la 
haute assemblée. Ces congrégations se sont distribué 
la tâche de manière à avoir des formules toutes 
prêtes sur tous les points de la foi, de la morale 
sociale et de la discipline. Formées de prélats ro- 
mains et de théologiens de divers pays, elles étaient 
présidées par des cardinaux et entièrement inspirées 
par les grands docteurs de la Civilta cattolich, Oa 
espérait qu'elles abrégeraient si bien la tâche dix 
concile qu'il se bornerait à sanctionner leur travail. 
Les scribes du Gesit dans leurs publications sur 
l'histoire des conciles insistaient beaucoup sur ce 
que l'excellence d'un concile pouvait se mesurer i 
sa brièveté. Au reste, la Civiltà cattolica parlait 
sans détour d'enlever les décisions principales par 
des acclamations. Nous trouvons une assez piquante 



— 15! — 

révélation de ces projets dans une brochure assez 
naïve intitulée : A la teille du concile^ et qui a été 
beaucoup louée dans le camp ultramontain. « On 
prétend, disait le trop naïf auteur, qu'il y a eu des 
évêques offusqués de ce que de simples prêtres 
aient été admis au secret des travaux préparatoires 
du saint-siége, lorsque eux les ignoraient. N'au- 
raient-ils donc pas compris qu'il y a ici l'affaire du 
chacun son tour^ et que le cuisinier n'est pas mieux 
nourri que son maître parce qu'il voit le dîner qu'il 
prépare avant le maître, qui ne le voit que lorsqu'il 
a l'avantage de manger ! Au concile ce seront le^ 
évêques qui auront la voix et les simples prêtres 
n'y auront plus de place. » Ce français de cuisine 
a eu un sens fort clair; les congrégations romaines 
comptaient bien épargner au concile le soin de 
préparer lui-même ses délibérations, c'était l'affaire 
du clergé inférieur, il n'aurait plus qu'à s'asseoir 
les yeux fermés à la table du festin dogmatique 
qu'on lui aurait dressée, Cette fois la curie romaine 
a compté sans ses hôtes. 



CHAPITRE IV 



LA VILLE DU CONCILE. 



C'est une chose grave que la convocation d'un 
concile à Eome dans labasiKque du pape. On n'y eût 
pas consenti il y a trois siècles, parce qu'on savait 
bieii qu'une telle proximité du saint-siége enlevait 
toute indépendance aux évêques. Trente paraissait 
même bien rapproche de la ville papale. « Le Saint- 
Esprit en vient tous les jours, disait Tambassadeur 
de France, avec la valise qui porte les promesses 
et les nominations épiscopales. i> Nous n'accusons 
pas la papauté actuelle de se servir de cette mon- 
naie grossière, mais il nous sera facile de montrer que 
ses tentatives sur la liberté morale du concile par 
son intervention directe, constante et même pas- 
sionnée ont dépassé toute mesure. Ce qui nous 
semble surtout fâcheux pour le concile, c'est l'at- 
mosphère romaine, c'est l'influence malfaisante du 
heu, c'est cette malaria morale chargée de langueur 
et de serviUsme que l'on y respire, c'est ce romanisme 



— 153 — 

isensé qui enlace Tâme et l'esprit d'un réseau 
ibiSl. On peut voir par les lettres de M. Louis Veuil- 
►t sur rassemblée du Vatican quelle part il fait dans 
s guccès de Tultramontanisme à Tinfluence de 
otne. Je crois qu'il a raison; je voudrais le prouver 
1 présentant non pas un tableau mais une esquisse 
î la ville sainte de la papauté surtout au point de 
16 social et religieux, telle qu'elle était avant les 
'^énements de 1870. C'est le meilleur commentaire 
l'histoire du concile du Vatican; c'est aussi une 
vélation précieuse et la plus sincère que nous cou- 
lissions de la vraie pensée de l'ultramontanisme 
J* l'organiâation des sociétés humaines. 
Je ne dirai qu'un mot du caractère extérieur de 
tte ville étrange où tout est combiné pour plonger 
rne dans une langueur indéfinissable, où le temps 
e ne sais quelle démarche sénile qui empêche qu'on 
i-perçoive de sa fuite. H marche à pas comptés 
Dame, un vieux cardinal sur cette voie de tombeaux 
i a vu disparaître tant de 'grandeurs. Le présent 
confond avec le passé, on dirait la durée immo- 
le. Ce qui saisit l'esprit et l'imagination, ce qui 
apêche l'émotion de s'alanguir, c'est le perpétuel 
•ntraste qui réunit au même instant sous les yeux 
s choses les plus disparates, sans les opposer pour- 
tnt d'une manière choquante. Cette ville singu- 
ère a un pouvoir d'adoucissement auquel rien 



— 154 — 

ne résiste ; elle est comme ces personnes d'une ama- 
bilité doucereuse qui par leur présence seule em- 
pêchent les opinions divergentes d'entrer en lutte 
ouverte et qui mettent des sourdines h toutes les 
voix. Ce pouvoir d'adoucissement tient surtout à la 
grande poésie du lieu ; le point de vue esthétique se 
substitue insensiblement au point de vue moral qui 
seul dicte les jugements absolus. C'est ainsi que 
les angles s'adoucissent, que ce qui ailleurs excite- 
rait l'indignation ou la pitié ghsse facilement sur 
l'esprit charmé, et que les objets les plus divers se 
fondent et se mêlent dans cette lumière pourprée 
qui est la gloire et la parure de ce pays. 

A Rome, la ville la plus somptueuse confine au 
désert. Sans transition vous passez du Corso bril- 
lant, tumultueux, avec ses palais dont chacun est 
une œuvre d'art exquis, ses églises dorées, ses riches 
magasins, à la tristesse sévère du Forum qui vous 
introduit d'emblée dans la plaine morne et stérile. 
Ainsi se rapprochent et se touchent la civilisation 
et la désolation, le présent et le passé. Cette plaine 
sans limites fait l'eflfet d'une mer dont le flot destruc- 
teur avance toujours et qui laisse cependant sur- 
nager quelques grands débris de tout ce qu'elle a 
englouti. Mais c'est une mer sans voix, sans mur- 
mure, qui détruit silencieusement ce qu'elle étreint; 
c'est la mer Morte de l'Occident. — Ne la calomnions 



.— 155 -; 

tas cependant, la tristesse de la plaine romaine a 
ine beauté que rien n'égale. La voie Appienne, cet 
,ntique chemin, des tombeaux, n'en conserve que • 
eux ou trois, mais qu'importe ? on y foule la pous- 
ière du plus glorieux passé et la plaine elle-même 
l'est-elle pas im sépulcre grandiose 7 Elle s'étend 
ouverte d'une végétation luxuriante et pourtant 
térile qui est comme son vert linceul ; les arcades 
irisées des immenses aqueducs de Claude en rom- 
>ent seules la monotone désolation, tandis qu'à 
'horizon les coUines d'Albano mêlent un peu de 
prâceàcette accablante tristesse. Derrière vous Rome 
jlève ses clochers et ses dômes. On s'attendait à 
me Palmyre ou h une Balbek et c'est l'une des ca- 
)itales du monde que presse ainsi le désert. L'im- 
)ression qu'inspire ce spectacle triste et grandiose 
)st accablante dans son intensité même. En s'em- 
)arant de tout im peuple qui la subit sans la raison- 
ler elle l'énervé insensiblement ; il se dit devant 
»ut ce qui est là enfoui sous ses pieds que ce n'est 
fuère la peine de recommencer la vie, et s'il ne subit 
pas des influences nouvelles, il se plie aisément à 
in gouvernement de vieillards dans cet empire de 
a caducité. 

Il y a quelque chose de plus énervant à Eome 
jue la mélancolie des ruines, c'est l'art religieux 
tel qu'il est compris et tel qu'il s'étale dans le 



— d56 — 

culte. Il est empreint d'un caractère théâtral qui se 
retrouve dans Tarcliitecture, dans la peinture et 
dans la musique. Seulement, il faut ici bien s'en- 
tendre, car il y a plusieurs Bonies dans la fiome 
actuelle. Il en est une glorieuse entre toutes qui 
est cachée dans les entrailles de la terre : c'est cefle 
des catacombes qui présente un si admirable en- 
semble depuis les fouilles de M. le chevalier de 
Rossi (1). La nécropole chrétienne nous présente 
Timage fidèle de cette Eglise héroïque des premiers 
siècles qui sut conquérir et maintenir sa Uberté 
dans le martyre. 

Les fresques des catacombes ne portent pas 
trace d'une prétendue primauté de saint Pierre ni 
du culte de la Vierge. Elles ne parlent que du bon 
pasteur cherchant sa brebis perdue, de son amour 
tendre et puissant qui donne l'eau vivante à la 
femme de Sichem, guérit le paralytique et ressus- 
cite Lazare, et convie ses disciples au mystique re- 
pas de l'eucharistie. La légende en est totalement 
absente ; la Bible seule est l'inspirateur de tous les 
symboles. On y voit l'Eglise dédaignant toutes les 
grandeurs humaines, toute entière tournée vers le 



(1) Nous montrerons ailleurs, dans le dernier volume de notre 
Histoire des trois premiers siècles de V Eglise^ tous les rensei- 
gnements précieux qui nous sont fournis par les catacombes sur 

l'antiquité chrétienne* 



— 157 — 

inonde invisible au seuil duquel elle a conduit ses 
morts bîen-aimés , s'unissant à leur triomphe 
par l'expression symbolique de son immortelle 
espérance et de sa bienheureuse certitude. Tout ici 
redit en son nom la grande parole du Maître : 
cMon royaume n'est pas de ce monde. » Pourquoi 
faut-il descendre à Rome dans les entrailles de la 
terre pour retrouver cette devise du vrai christia- 
nisme qui est si complètement démentie par la 
ville actuelle ? Rien ne fait mieux ressortir ce con- 
traste qu'une fresque retrouvée récemment dans la 
catacombe de Saint-Calliste et qui est presque 
unique dans son genre, car les chrétiens préféraient 
représenter le côté triomphal de la foi que les souf- 
frances et les opprobres ; la réalité suflfeait à cet 
égard sans qu'il fût nécessaire de recourir aux repré- 
sentations plastiques. . La fresque à laquelle je fais 
allusion retrace la comparution d'un chrétien devant 
le tribunal de l'empereur. Le César de Rome, ce roi 
de la force et de la violence, est assis sur son siège, 
hautain et dédaigneux, plein de mépris pour ce 
misérable accusé qu'il va d'un mot envoyer à la 
mort. Il n'a qu'à le regarder pour s'assurer qu'il 
peut le tuer mais non l'avihr, et qu'il a trouvé dans 
l'inflexible douceur du chrétien une barrière à sa 
toute-puissance. Le confesseur est debout, calme, 
résolu : une flamme étrange brille dans ses yeux. 



•fl 



— 458 — 

Il est invincible. C'est bien la royauté morale 
dans toute sa grandeur, la royauté léguée par l'ac- 
cusé du prétoire de Pilaté à tous ses disciples : Je 
suis roi^ car je rends témoignage à la vérité. Dans le 
fond apparaît un troisième personnage, c'est le 
prêtre païen qui a dénoncé le chrétien et s'enfuit 
une fois sa tache terminée. Ecclesia àbhorret a san- 
guine. Il est à la fois satisfait et confus, — satis- 
fait, car son ennemi va mourir ; confus, car il sent 
qu'il est en présence d'une puissance morale que 
rien ne brisera et qui est plus forte que son culte, 
même aidé des bourreaux. Eh bien, l'avenir réser- 
vait une revanche inattendue au prêtre pgùien. Il a 
réussi à ramasser le manteau du chrétien înunolé , 
il s'en est paré. Il est monté sur le trône du haut 
duquel le César de Rome jugeait et condamnait la 
conscience chrétienne, et c'est elle qu'il a jugée trop 
longtemps et condamnée en ces lieux. Seulemea't 
âl le fait au nom du Dieu de l'Evangile ; il en est 
même sincèrement convaincu, mais quelle que soit 
sa piété personnelle, l'institution qu'il incame n'en 
est pas moins essentiellement païenne en réunissaut 
sur sa tête les deux couronnes spirituelle et tempo- 
relle. Il est vrai que la plupart du temps il doit se 
contenter de vains anathèmes, parce que le glaive est 
tombé de ses mains séniles, mais il nous dit dans 
ses encycliques ce qu'il en ferait s'il en pouvait dis- 



:- 459 -^ 

poser. Nous verrons, d'ailleurs comment il en usait là 
où il était le maître, comme dans la ville pontificale. 
Après la Rome des catacombes, nous avons la 
Eome qui a précédé le développement du pouvoir 
papal au moyen âge. Les basiliques qui remontent 
à cette époque ofeent un très-baut intérêt. Je citerai 
en première ligne celle de Saint-Clément. Elle nous 
présente l'image fidèle d'une basilique des premiers 
temps de la paix de l'Eglise. Elle a été rebâtie 
à plusieurs reprises, mais on n'en a pas modifié 
le plan. Des fouilles récentes ont découvert la 
i basilique souterraine beaucoup plus ancienne et 
[ qui présente exactement les mêmes dispositions. 
f Ici 1^ forme touche au fond. En effet l'édifice est 
\ disposé de telle sorte qu'il se prêtait à l'antique 
\ discipline de l'Eglise. Celle-ci était caractérisée par 
cette pensée si éminemment chrétienne que le 
peuple de Dieu ne doit pas être confondu avec la 
nation, qu'on ne lui appartient pas du droit de la 
naissance, mais du droit de la conversion, que par 
conséquent une barrière, toujours prête à s'abaisser 
devant la foi, doit s'éleverentre le monde et l'Eglise. 
^ Tout était calculé de manière que l'assistant com- 
prît que pour participer à la vie de l'Eglise il faut 
^ cœur nouveau, une vie nouvelle. De là les dis- 
positions si sérieuses qui étaient prises pour l'in- 
struction du catéchumène et qui réclamaient de lui 



i 



• 



— 160 — 

qu'il rompît avec toutes les habitudes de la vie 
païenne. De là aussi la division du service religieux 
en deux parties distinctes et bien trancbées, la pre- 
mière pour tous ceux qui désiraient entendre la 
parole divine, la seconde pour ceux-là seulement 
qui avaient le droit de participer au sacrement 
eucharistique. On n'a qu'à lire la liturgie alexan- 
drine et les constitutions apostoliques retrouvées 
en copte il y quelques années et qui remontent 
très-positivement au second siècle, pour se faire une 
idée de la netteté et de la rigueur avec laquelle cette 
séparation entre les convertis et les inconvertis était 
établie. 

La révolution la plus fatale opérée par l'union 
de l'Eglise et de l'empire fut précisément de con- 
fondre le peuple de la cité avec les membres de la 
société religieusç, et de jeter pêle-mêle dans les 
cadres indéfiniment élargis de la maison de Dieu 
les multitudes inconverties qui y apportèrent leur 
ignorance, leurs vices et durent être, tantôt menées 
avec une verge de fer au profit de la hiérarchie, 
tantôt abandonnées à leurs passions et à leurs supe^ 
stitions moyennant quelques formes grossières par 
lesquelles elles s'acquittaient envers le ciel. Ainsi se 
forma et grandit ce christianisme dégénéré qui 
unit Tautorité oppressive à la plus dangereuse in- 
dulgence pour le cœur naturel, tout ensemble tyran- 



_ 461 — 

[ue pour l'esprit et facile pour les mœurs, qui 
bstitue la voie large à la voie étroite et promet de 
aduire à la porte du ciel par xm chemin commode 
is ceux qui plieront sous son joug et se laisseront 
euglément guider par sa houlette. Ce chris- 
inisme-là, nous le connaissons bien, c'est le ca- 
idicisme ultramontain dans son plein dévelop- 
îmenty tel qu'il s'étale sous nos yeux à Rome, 
'est-il pas remarquable de trouver dans la 
ipitale même de ce christianisme abaissé un 
Técusable monument de l'ancienne constitution 
e l'Eglise qui nous fait toucher du doigt 
« institutions si remarquables de la liturgie 
'Alexandrie ? L'église • de Saint-Clément est en 
Ofet la traduction architecturale de ce document 
^appréciable. Sa disposition seule révèle ce grand 
rincipe de la séparation entre les fidèles et les 
rofanes, qui était réalisé pour le plus grand intérêt 
es uns et des autres. Saint-Clément a la forme 
'une basilique à trois nefs. On y entre par un 
orche d'un style simple, le seul de ce type qui 
riste à Rome. Entre ce portail et l'église même 
étend une cour carrée bordée de colonnes; au 
ùlieu" est la fontaine qui servait au baptême. 
'ég-Use même est précédée d'un portique ou d'un 
Wum de petite dimension qui était appelé le 
dfthex. C'est là que se tenaient à des places 



— d64 — 

diverses les pénitents et les catéchumènes; les 
premiers ne pouvaient franchir la porte de l'église 
avant leur réhabilitation et les seconds, avant 
d'avoir confessé leur foi et reçu le saint baptême. 
C'est de là qu'ils écoutaient la prédication. On les 
congédiait au moment où la coupe eucharistique 
allait passer parmi les fidèles. Il n'était pas pos- 
sible de marquer d'uûe manière plus saisissante 
la ligne de démarcation entre l'Eglise et le 
monde, puisque ceux-là mêmes qui aspiraient à 
devenir chrétiens étaient retenus sur le seuil du 
temple. La disposition intérieure de l'église de 
Saint-Clément est également d'un haut intérêt. 
Ses trois nefs aboutissent à une abside très-beDe 
et très-simple où est le siège épiscopal, entouré 
des sièges presbytéraux. 

Les peintures qui ornent Saint-Clément et les 
autres basiliques de la même époque sont d'une 
simplicité parfaite. C'est toujours le bon pas- 
teur entouré des brebis auxquelles il a donné sa 
vie ; c'est le cep de la vigne mystique où l'âme 
chrétienne puise sa sève; ou bien c'est encore 
le Christ entouré de martyrs qui ont donné leurs 
noms à l'Eglise, comme à Saint-Come-et-Danuen, 
et à Pudentiana. La musique reUgieuse de cette 
époque devait être d'une émouvante grandeur à 
en juger par les larmes qu'elle arrachait à saint 



— i63 — 

Augustin. Et curreiant lacrimm et dulce miU erat 
cum eis. 

L'art vraiment catholique-romain date selon moi 
de la Renaissance et de la Réformation ; c'est alors 
qu'il a atteint son point culminant et s'est révélé 
dans toute sa sincérité. Jusqu'à la Réforme l'Eglise 
contient dans son sein tous les éléments qui plus 
tard se sépareront et même se feront la guerre. 
Toutes les tendances coexistent en elle», à l'état 
embryonnaire en quelque sorte. Qui pourrait nier 
que le catholicisme germanique se distingue long- 
temps avant la Réforme du catholicisme méridional? 
Les mystiques ferveurs qu'abritent les couvents du 
Nord révèlent déjà un étrange besoin d'une commu- 
nication directe et sans intermédiaire avec la Divi- 
nité. Même dans le catholicisme italien il y a bien des 
divergences qui parfois font pressentir le schisme, 
comme dans la grande apparition de Savonarole ; 
je comparerais volontiers ces explosions d'un senti- 
ment chrétien plus libre au jet soudain d'un courant 
d'eau qui a longtemps coulé sous terre. Il existait 
avant de s'élancer à l'air hbre en gerbe étincelante 
et retentissante. L'art catholique des douzième et 
treizième siècles a profité de cette richesse non 
encore diminuée de l'Eghse, alors qu'elle possède 
tous ses trésors dans leur variété féconde. Je n'exa- 
gère rien, je ne prétends point que le catholicisme 



¥ 



~ 464 — 

de cet âge fût une sorte de protestantisme anticipé; 
non, c'était bien TEglise de Timité et de la Mérar- 
chie, la théocratie nouvelle, mais ce n'en était pas 
moins un catholicisme entièrement différent de 
celui qui s'est constitué après la grande séparation 
opérée par la Eéforme, c'était un catholicisme non 
encore plié au type romain, plein de sève, d'origi- 
naUté malgré ses erreurs, mystique et savant, aus- 
tère et puissant. 

C'est à ce catholicisme-là que nous devons l'art 
gothique qui n'a jamais pu s'implanter à Eome et 
qui a cessé du moment où elle a exercé dans tous 
les domaines de l'Eglise une influence décidément 
prépondérante. Qu'est-ce que le gothique, si ce n'est 
précisément la manifestation la plus grandiose du 
catholicisme germanique d'où la Réforme devait 
sortir? Qu'on discute tant qu'on voudra sur ses 
origines, qu'on fasse honneur aux Romains de la 
voûte, aux Arabes des lignes brisées de l'ogive, il 
n'en demeure pas moins que l'art gothique a été 
créateur et qu'il a imposé son sceau à tous les élé- 
ments qui ont pu lui venir d'ailleurs; il a créé 
comme crée le génie humain qui n'est pas Dieu pour 
tirer ses œuvres du néant, il suflB.t qu'il leur ait im- 
primé tm sens vraiment nouveau, une idée, un sen- 
timent qui soient bien à lui pour qu'on ne puisse 
lui contester l'originalité. Or quel est le sens, l'idée 



— i65 — 

du gothique? Entrez dans la cathédrale de Cologne, 
et voup le saisirez à Tinstant même. L'art gothique, 
dans cet immense édifice comme dans tous ses pa- 
reils, a voulu représenter le monde, la société tels 
qu'il les concevait; il la ramène tout entière au type 
chrétien, il lui imprnne la forme du signe rédemp- 
teur, puis surtout il la jette pour ainsi dire dans la 
région de l'infini et de l'étemel avec la flèche har- 
die qu'il dirige vers le ciel. Placez- vous dans le 
chœur de la cathédrale, là vous voyez toutes les 
lignes se rejoindre, se presser, dans un élan irrésis- 
tible, qui emporte votre esprit et lui donne des ailes, 
en quelque sorte. L'ogive reproduit dans des pro- 
portions réduites le même caractère ; elle aussi, par 
les dispositions de ses lignes, dit : Excelsior! Sur- 
mm corda! En haut! — toujours plus haut! Eien 
de pareil ne s'était encore vu dans l'histoire de l'art. 
Le temple païen surtout, sous la forme enchante- 
resse qu'il a revêtue en Grèce, est un édifice aux 
proportions restreintes; il est uniquement destiné à 
l'habitation de la divinité ; il lui suffit d'avoir bien 
paré la cella^ d'y avoir déposé une statue d'une 
beauté parfaite et d'avoir réservé la place de l'autel 
des sacrifices. D a, dans ses beaux marbres enso- 
leillés^ conservé le sourire de sa religion. La.basi- 
lique romaine qui est la création architecturale 
la plus remarquable du peuple-roi est entièrement 



— 160 — 

conforme à son génie ; elle n'admet que la ligne ho- 
rizontale, elle est toute en longueur et en laigeur. 
Eien ne porte le regard au delà du monde ; c'est 
le seul empire qu'ait jamais convoité Eome! La 
cathédrale, au contraire, est un grand mémento 
de la vie étemelle ; comme l'a dit le poëte, elle est 
agenouillée dans sa robe de pierre, elle prie. Je lui 
préfère sans doute la chambre haute de Jérusalem 
avec ses langues de feu, mais on ne peut nier que 
le catholicisme du moyen âge n'ait eu aussi, au tra- 
vers de ses obscurités, sa langue de feu pour célé- 
brer le Dieu de TEvangile ; j'en appelle à ces chants 
sublimes des douzième et treizième siècles, qui sont 
avec les hymnes de Luther ce que le cantique chré- 
tien a produit de plus beau, de plus pathétique. 

Comparez maintenant l'architecture religieuse de 
Eome à ces monuments du Nord ! Le contraste est 
absolu. N'est-il pas remarquable d'abord qu'elle ait 
complètement évité le gothique, même dans sa 
grande époque ? Une seule église en porte quelques 
traces, c'est Sancta Maria délia Minerva. Encore 
s'est-on hâté de la gâter en la surchargeant d'orne- 
ments de mauvais goût. Toutes les églises romaines, 
sauf celle-là sont sur le type de l'antique basilique. 
Je sais bien qu'on les dispose en. forme de croii 
grecque ou latine, mais ce qui l'emporte, c'est l'idée 
dcvla grandeur tout extérieure, c'est V extension qX^ 



— 167 «^ 

[OnY4Uf>i^ti(m quilescaraotérise.On y entend reten- 
ir sans cesse la vieille devise de Rome : A toi Tem- 
)ire, — songe avant tout à régner, à dominer ! La 
)lupart de ces églises sont très-médiocres, même à 
'intérieur, où on a entassé les œuvres d'art, mais 
iiissi prodigué les enjolivements jusqu'à en fatiguer 
es regards. Les architectes ont mis leur orgueil 
lans l'arrangement des façades, mais ne sont jamais 
icrtis de leur routine pour la disposition générale. 

Si l'on veut avoir l'idée complète de l'architecture 
^ligieuse romaine, c'est Saint-Pierre qu'il faut 
t)nsidérer. Je ne connais pas d'antithèse plus tran- 
hée que celle qui existe entre la splendide. basili- 
tie du Vatican et le dôme de Cologne. Je ne mar- 
hande pas mon admiration à la première. Je 
Qnviens qu!il est peu de coup d'oeil plus grandiose 
ne celui de l'ensemble des monuments dont elle 
st le centre. Les portiques demi-circulaires qui en- 
fuirent la place au milieu de laquelle se dresse 
obélisque forment la plus belle introduction à la 
asiliqUe elle-même. Celle-ci est si harmonieusement 
isposée que sa grandeur n'a rien d'édrasant parce 
u'aucune partie ne fait saillie ni disparate. La 
Ottblé coupole qui se dresse à une hauteur vertigi- 
euse paraît un développement naturel de l'édifice, 
es cinq nefs de l'intérieur se rehent à l'abside 
>mme les rameaux d'un tronc gigantesque. Et 



— d68 — 

cependant toute cette grandeur n'élève pas ; tout 
cela s'étend et s'épanouit dans l'espace, mais ne 
monte pas véritablement. La Sainte-ChapeUe de 
Paris, cette idéale création du règne de saint Louis 
disparaîtrait tout entière dans une seule des cha- 
pelles de Saint-Pierre, et pourtant elle vous élève 
bien plus haut ; elle a cet élan, ce je ne sais quoi 
d'ailé dans les lignes gothiques qui emporte l'esprit. 
L'élévation n'est pas affaire de dimension, mais de 
direction et d'inspiration. Saint-Pierre avec toutes 
ses magnificences me fait l'effet du lieu élevé d'oii 
l'on voit, non pas le ciel, mais tous les royaumes du 
monde. Ce marché de la domination terrestre n'a- 
t-il pas été proposé à la hiérarchie romaine et ne 
l'a-t-elle pas accepté en échange du règne spirituel? 
N'a-t-elle pas imité en cela le judaïsine dégénéré 
de la synagogue? Saint-Pierre et les autres grandes 
basiliques de Eome me semblent exprimer cette dé- 
viation du christianisme primitif par le symbole le 
plus éclatant. Tout ici rappelle le Christus imperans^ 
rien ne nous reporte au Crucifié, à ses opprobres et 
à ses gloires intérieures. Saint-Pierre est le Capitule 
de la papauté. Au moins révèle-t-il le grand art et 
porte-t-il l'empreinte du fier génie de Michel-Ange. 
Mais que dire de l'architecture des églises élevées 
par les jésuites ? Elles nous introduisent dans 1* 
seconde période de la domination romaine ; la Bé- 



— 169 — 

forme- a secoué son flambeau sur le monde ; Tempire 
de l'Europe est contesté à la papauté. Le temps de 
la royauté hautaine est passée Tabsolutisme doit 
s'assouplir, mais il plie comme l'acier, sans rompre 
jamais. Ce mélange de ruse et de force indomptable 
c'est tout le jésuitisme, ce grand et habile soutien 
de l'autorité pontificale aux jours difficiles où. il faut 
unir ime politique adroite et artificieuse à l'opiniâ- 
treté. Mais à ce jeu-là on perd la grandeur, aussi 
Tarchitecture des jésuites est-elle toute mignarde 
et compliquée; à voir l'ornementation surchargée 
de leurs églises on dirait les procédés employés pour 
farder une vieillesse prétentieuse. Ils ont mis des 
tapis de velours sur le chemin du paradis et s'effor- 
cent d'en élargir l'entrée. Leur histoire et leur gé- 
nie se lisent sur les pierres de leurs édifices. Je ter- 
mine sur ce point par une remarque significative ; 
on comprend très-bien que l'architecture romaine 
se soit toujours approprié sans peine les anciens 
temples ou édifices païens; le temple de Faustine 
et celui de Vénus à Eome et les thermes de Domi- 
tien ont été transformés en églises avec la plus 
grande facilité. Jamais un édifice gothique n'aurait 
pu avoir une pareille origine. 

Si de l'architecture je passe à la peinture, je pour- 
rais faire les mêmes réflexions. Il est incontestable que 
la grande peinture mystique et religieuse a précédé 

10 



— 170 — 

elle aussi le temps où le catholicisme romain s'est 
constitué en opposition à la Réforme et que ses in- 
spirations les plus hautes appartiennent au même 
mouvement qui a produit l'art gothique et les ca- 
thédrales. 

C'est en Flandre et en Allemagne que cette pein- 
ture prend naissance et perfectionne ses procédés. 
L'idéal chrétien le plus pur brille dans le regard des 
vierges de Van Eck , d'Albert Durer et d'HoIbein. 
L'Italie suit le mouvement et tempère cette austé- 
rité par la grâce inimitable dont elle a le secret. 
C'est bien entre le quinzième et le seizième siècle 
que ce grand art chrétien atteîat son apogée. Quelle 
tendresse exquise, quelle candeur céleste, que de bril- 
lantes extases sur les toiles et les fresques des F» 
Angelico et des Francia ! Il y a au Vatican une cha- 
pelle peinte par le premier de ces peintres et qu'on 
néglige souvent de visiter, parce qu'elle n'est pas 
sur le programme, c'est la chapelle de Saint-Lau- 
rent et de Saint-Etienne. Voilà la grande peinture 
chrétienne ; l'âme chrétienne palpite dans ces vives 
couleurs et nous redit son amour pour le Christ, sa 
foi sereine et sa compassion pour tout ce quisouffire- 
Je rappelle encore la fameuse fresque de l'Angelico 
au couvent de Saint-Marc, à Florence, qui réunit 
les principaux saints et docteurs autour de la croiîj 
dans un même élan de fervente adoration. Comm^ 



— 171 — 

reconnais bien là le peintre qui versait d'abon- 
intes larmes toutes les fois qu'il prenait le pinceau 
)ur représenter les traits du Christ ou de la Ma- 
rne ! Selon moi, le dernier et le plus grand de ces 
laîtres vraiment chrétiens est Fra Bartholomeo, le 
ominicain, disciple de Savonarole. Le catholicisme 
omain ne saurait réclamer le fidèle ami du réfor- 
lateur de Florence, brûlé comme hérétique. Son 
ableau de V ensevelissement du Christ^ au musée 
M, à Florence, est im acte d'adoration ; le pin- 
eau n'y a rien perdu, il a toute sa suavité, tout 
on éclat, toute sa fermeté, mais il est impossible 
le contempler cette toile longtemps sans éprouver 
ô mélange de tendresse et de profond respect pour 
ô Christ, qui est exprimé avec une sorte d'impétuo- 
Hé dans le prostemement de la Madeleine , avec 
ine angélique douceur dans le regard de saint 
ean et une tristesse ineffable dans celui de la 
ladone. 

Cet art profondément chrétien n'est pas le fils de 
tome. Sans doute ses œuvres s y trouvent en grand 
ombre, parce que la papauté a su former le plus 
lagnifîque des musées dans la ville étemelle, mais 
inspiration de ces toiles mystiques était venue d'ail- 
îups. On nous opposera Raphaël qui a tout compris 
fc tout^endu, mais son génie avait éclos sous le doux 
ôl de l'Ombrie. Je sais bien que c'est à Rome qu'il a 



■I 



— 472 — 

peint la Dispute du saint-sacrement^ mais n'y ai-je 
pas vu parmi les théologiens qui cherchent et qui 
doutent le noble visage de Savonarole ? Peut-on nier 
que le souffle de la Eéforme n'ait pas passé par là? 
En tout cas c'est ici qu'il a peint la FornariM^ le 
Triomphe de Galatée et Psyché^ œuvres exquises, 
mais qui n'appartiennent plus à la peinture chré- 
tienne. Quant à Michel-Ange, personne n'ignore à 
qiiel point le levain de la Eéforme a fermenté en lui, 
comme le prouvent ses lettres à Vittoria Colonna. 
Quand il s'est abandonné sans réserve à l'inspiration 
du lieu, il a peint à la Sixtine sa fresque du Jup- 
ment dernier. Celle-là, j'en conviens, est bien ro- 
maine. J'en admire la puissance, la fougue, surtout 
quand je la contemple sous les rayons pourprés du 
soir. Mais je ne saurais y voir une peinture reli- 
gieuse. Ce Christ qui ressemble à l'Hercule antique 
et qui maudit les réprouvés avec un geste si ter- 
rible, c'est bien le Christ du Vatican, le Christ des 
inquisiteurs dont le bras ne sait pas relever, mais 
écraser. Tous les détails païens qui entourent la 
figure principale rappellent la cour des Jules II et 
des liéon X. Que l'on compare cette formidable 
fresque au tableau de Fra Angelico sur le même 
sujet que l'on voit au palais Corsini. Ici le drame est 
tout moral; la douleur inconsolable qui apparaît sur 
les traits des impénitents n'est pas le simple reflet 



— 173 — 

îs éclairs de la foudre vengeresse, elle jaillit du 
îdans. Voilà TEvangile ; à la Sixtine je ne vois que 
liber pontificalis. La peinture chrétienne en tou- 
lant ce sol y perd bientôt son caractère vraiment 
îligieux, bien qu'elle y jette un éclat éblouissant 
vec Raphaël; son génie est trop grand pour ne 
as échapper plus qu'aucun autre aux influences des 
lilieux, bien qu'il l'ait aussi subie à la fin de sa 
ourte et brillante carrière. N'oublions pas qu'il a 
'Our disciple Jules Romain dont le pinceau, dès qu'il 
e sera plus contenu et dirigé par les esquisses du 
laître, deviendra promptement voluptueux et sen- 
uel. Dès le pontificat de Grégoire XIIT la décadence 
ommence, les maniéristes encombrent de leur art 
e convention les églises, les couvents et les palais, 
«chevalier d'Arpin (1561), dont les œuvres pullu- 
înt à Rome, est le représentant de cette école sans 
Tandeur, sans inspiration élevée. Le caractère re- 
gieux s'efface de plus en plus. Bemin pour l'archi- 
îcture, d'Arpin pour la peinture sont les artistes 
Paiment romains et tels que le catholicisme soumis 
i joug du jésuitisme devait les aimer. 
La musique d'église parcourt les mêmes phases 
le la peinture et l'architecture. Le plain-chant 
t l'écho de celle du moyen âge, il est grave et 
iste. Puis on a quelques maîtres vraynent graves 
ù comme AUegri écrivent dans un style grandiose 



^ 474 -- 

et presque monumental. Le Miserere de ce composi- 
teur qu'on entend le jeudi et le vendredi saints à la 
chapelle Sixtine sans accompagnement d'orgue fait 
un effet imposant. Mais si on en excepte la chapelle 
du pape à ses grands jours, la musique qu'on entend 
à Rome est déplorable pour la composition. Dans 
les églises de second ordre elle est de tout point 
mauvaise ; on s'est borné à piller les opéras célèbres 
et on les chante avec toute la désinvolture des chœurs 
de théâtre. Ce n'est guère qu'à Saint- Jean deLatran 
et à Saint-Pierre que l'exécution est soignée. La 
musique de théâtre, quand elle est. vraiment belle 
et passionnée, est bien supérieure par le sérieux à ce3 
compositions bâtardes. Sans doute le catholicisme 0* 
d'autres inspirations ailleurs, il a des trésors i^ 
musique chrétienne, le Requiem de Mozart, les mes- 
ses de Beethoven, de Weber et même de Rossinir»^ 
cèlent une inspiration bien différente, mais ce n'e»^ 
pas ce qui plaît à Rome. On préfère les molles har ^ 
monies qui bercent l'âme et la livrent tout endonni^ 
à l'autorité ecclésiastique. La vraie musique reli- 
gieuse est en Allemagne. Ecoutez la JPassion d^ 
Sébastien Bach et ses cantiques sublimes et vous n ^ 
vous laisserez plus dire que la Eéformation ignora 
le grand art. Le voilà tour à tour majestueux &'•' 
intime, s'élevant de cent coudées au-dessus dft^ 
fioritures de ces messes profanes qui se chantent saT 



— 173 — 

des airs trop légers pour que la passion humaine 
voulût s'en contenter. Au reste, pour montrer que 
mon jugement n'est pas dicté par la partialité, je 
m'appuierai de l'appréciation d'un catholique émi- 
nent, M. Victor de Laprade, qui a écrit les hgnes 
suivantes dans le Correspondant : « Il me semhle, 
dit-il, que les licences accordées aujourd'hui à la 
musique de nos églises dépassent tout ce qu'il est 
permis au sentiment religieux de tolérer. Quand 
j'entends hurler, aboyer des fanfares militaires à 
côté de l'autel, je ne suis pas bien sûr d'être de ce 
monde. Enfin lorsque je vois, pour les appeler par 
leur nom, des bandes d'histrions introduites dans 
fe chœur, mêlées aux prêtres pendant le sacrifice, 
Jai beau entendre des chefs-d'œuvre de musique, il 
^'est impossible de me sentir plus pieux, plus re- 
^eilli qu'à l'Opéra. Catholique convaincu, en face 
^6 tels symptômes, je me contente de gémir, en me 
appelant qu'il y a eu dans l'EgUse des abus passa- 
gers ; mais si j'étais libre penseur, je me dirais en 
moî-^xnême : Voilà une religion qui s'en va. Pour 
moxx compte, il me semble que la musique a rompu 
daiiB les cérémonies catholiques de nos jours la dis- 
cipline que l'Eglise lui avait sagement imposée. Je 
n'admets aucune des mauvaises raisons, inutiles & 
énuinérer et trop peu religieuses, qui ont engagé le 
zèle ecclésiastique dans cette fausse voie. Ce n'est 



— 476 — 

pas avec une profusion de cantiques et de bougies 
qu*on attire les âmes dans la vérité et qu'on les re- 
tient dans la foi. d 

Après avoir parlé des accessoires du culte, parlons 
du culte lui-même, tel qu'il se célèbre à Rome. Son 
premier caractère est ce que j'appellerai son ritua- 
lisme absolu. Je ne blâme pas le rite en soi; je sais 
qu'il est indispensable que l'adoration publique ait 
quelques formes réglées d'avance, afin que tout se 
passe avec ordre et bienséance et que la piété ne 
soit pas troublée par de constantes surprises. Mais 
le rite chrétien doit être très-simple et ne pas étouffer 
la spontanéité ; il doit être cpnçu de telle sorte qu'il 
fasse appel aux sentiments vivants de l'âme, qu'il 
contribue à les réveiller, qu'il parle au cœur et à 
la pensée. A Rome le rite remplace tout ; la forme 
prescrite n'est pas le stimulant ou l'expression de la 
piété, elle est une sorte de machine habilement 
montée qui fonctionne toute seule comme les moulins 
à prière des Orientaux, mais non sans broyer sous 
ses rouages compliqués la vie morale. L'individu 
disparaît complètement devant l'Eglise ; c'est elle 
qui prie par ses lèvres, ,qui s'agenouille avec lui au 
moment prescrit, qui se relève au commandement ; 
à chaque instant on entend la sonnette du major- 
dome qui est comme le sifflet du machiniste. Morte 
Test la langue sacrée, c'est la voix du passé, le plus 



— 177 — 

ouvent inintelligible pour celui qui s'en fait Técho 
lassif et monotone. L'évangile ou Tépître sont non 
)as lus mais chantés sur un ton nasillard qui ne laisse 
)as arriver à Tesprit une pensée. Le livre saint est 
lécoupé et déchiqueté jour par jour, sans que le 
Sdèle puisse jamais approcher sa lèvre altérée de 
la fontaine jaillissante. C'est ainsi que Tesprit est 
partout et toujours sacrifié à la lettre ; le rite compris 
et pratiqué comme il Test à Rome est vraiment la 
pétrification du culte. 

Son second caractère est d'être une représentation 
des mystères chrétiens ou plutôt un essai quotidien 
de les renouveler. En ce point, il se rapproche des 
anciens mystères dur paganisme. La messe est bien 
décidément un essai de représenter et de renouveler 
l'immolation du Calvaire. C'est à Eome que ce ca- 
ractère du culte catholique apparaît tout entier et 
sans voile spécialement dans les cérémonies de la 
semaine sainte. Jour par jour on déroule sous les 
regards des fidèles les scènes de la Passion. Ainsi 
le mercredi saint, tandis qu'on chante le Mï- 
^erere^ douze cierges allumés figurent les apôtres ; 
Is s'éteignent l'un après l'autre pour rappeler leur 
défection et leur lâche abandon du Maître. Le jeudi 
^aint, le pape se prosterne aux pieds des douze 
?auvres prêtres et leur lave les pieds, puis il les fait 
tôseoir à une table dressée pour eux et il les sert. 



— 178 — 

Le vendredi saint est le jour de rensevelissement de 
l'hostie. On la dépose dans la chapelle de SainirPaul 
lomme dans un sépulcre, tous les cierges sont 
éteints, nulle cloche ne résonne plus. C'est un 
contraste complet avec le jour des palmes dans lequel 
le pape représentant toujours le Christ fait une 
entrée triomphale dans la basilique de Saint-Kerre, 
tandis que les rameaux sacrés Tombragent et se 
courbent devant lui. Le matin de Pâques on va en 
grande pompe chercher l'hostie, on la sort du tal)e^ 
nacle qui lui servait de sépulcre, on la présente au 
peuple comme le divin Ressuscité et le pape célèbre 
à la Confession de Saint-Pierre la grande messe de 
Pâques. Quand il élève les saintes espèces devant 
l'assemblée, celle-ci se prosterne tout entière, un 
chant très-beau s'élève des profondeurs de la Gonfei' 
sion de Saint-Pierre. Le peuple se croit devant son 
Dieu ressuscité de nouveau, puis le saint-père 
monte au balcon de la basilique et donne la bénédic- 
tion urli et otH. Rome est vraiment alors l'Eleusis 
de la catholicité, le heu des grands mystères où l'on 
joue solennellement l'histoire divine. On sait qu'à 
Noël on dépose des crèches dans la plupart des 
églises et qu'on représente le mystère de la nativité 
comme on représente au printemps le mystère de 
la crucifixion. Il est facile de comprendre après cela 
que le théâtre soit sorti de l'église au moyen âge, on 



— 179 — 

>ut dire qu'à Rome il y est décidément resté. L'E- 
ise se plaît h donner des représentations extraor- 
naires qui réveillent et piquent Tattention. C'est 
nsî qu'on voyait à Rome dans l'automne de 1869 
pès d'une petite chapelle, à deux pas de saint Jean 
e Latran, des figures en cire grossièrement faites, 
lais très-expressives, qui montraient aux yeux une 
E&royable exécution de missionnaires catholiques en 
Went. On se pressait devant ce spectacle horrible 
t les offrandes pour l'œuvre tombaient dru dans la 
ébile des collecteurs. Ce procédé de foire n'est pas 
édaigné et est très-fructueux. Chose étrange, dans 
B pays méridional où l'on a ime horreur extraor- 
inaire de tout ce qui rappelle la mort, on l'entoure 
Bs formes les plus lugubres afin de mieux agir sur 
imagination. Rien de plus funèbre que le long 
>rtége d'ime confrérie avec ses capuchons baissés 
Jcompagnanfc un cercueil au cimetière. Les frères 
çucins donnent une représentation funéraire per- 
anente. Ils ont imaginé de disposer dans les ca- 
naux de leur principale éghse toute ime armée de 
nelettes qui se recrutent parmi les défunts de leur 
dre et ont le privilège d'obtenir l'immortalité de 
épouvante. 

Relevons encore le caractère mercenaire du culte 
main. Je ne parle pas seulement de l'argent qu'il 
dame pour soutenir ses somptuosités et de ce de*- 



-- 180 — 

nier de Saint-Kerre qui est demandé en tout pays 
avec tant dlnstance et d'habileté. J'entends surtout 
désigner cette funeste erreur qui consiste à s'imagi- 
ner que Ton peut acheter sa part de ciel pax ses œu- 
vres et ses mérites. C'est à Rome qu'elle s'étale 
vraiment sans pudeur et sans frein, car la ville papale 
tient sans désemparer le marché des indulgences. 
Chaque église se dispute une parcelle du trésor et en 
assure le bénéfice à ceux qui se soumettront à telle 
ou telle pratique ; on lit ces promesses fallacieuses 
sur son fronton. Nulle part non plus on ne s'imagine 
plus naïvement expier les plaisirs que l'on a goûtés 
dans le monde par l'ennui que l'on s'impose en ré- 
citant les litanies et en usant ses genoux sur la dalle 
des églises. La division de l'année en jours profanes 
et fériés ne repose pas sur un autre principe. C'est I 
à Rome que la distinction entre le carnaval et le ca- j 
rême est la plus tranchée, Le premier y agite les 
grelots d*une folie grossière en toute sécurité; lui 
aussi est une institution ecclésiastique, les bals, les 
théâtres, les festins joyeux et sans retenue peuvent 
se multiplier à leur aise. L'antique bacchanale est 
maîtresse des rues de Rome pendant ce temps de li- 
berté ou de licence, à la condition d'étouffer son rire 
à heure fixe et de changer le masque comique con- 
tre le masque de la tristesse, en se couvrant la tète 
de cendres. L'Eglise, comme ime bonne mère, ac- 



— J81 — 

cueûiedans ses parvis la turbulence avinée d'hier, 
la met au régime et lui fait entendre messe sur 
messe. Le malheur, c'est que le péché était prévu et 
accepté comme la pénitence; c'est une affaire de ca- 
lendrier. 

Un quatrième caractère du culte romain est la sur- 
abondance du merveilleux ; les faux prodiges sup- 
plantent partout le vrai miracle ou relèguent celui-ci 
dans Tombre. Les légendes ridicules foisonnent ici 
comme les herbes folles dans un champ mal cultivé ; 
elles recouvrent presque entièrement les grandes réa- 
lités évangéliques. Le vrai surnaturel chrétien est 
ainsi compromis par un surnaturel fantaisie qui sem- 
ble faire corps avec lui. On connaît la vogue des 
madones qui roulent les yeux; on leur attribue plu- 
sieurs conversions notables. Il n'y a pas de sanc- 
tuaire qui n'ait son histoire merveilleuse, à commen- 
cer par Notre-Dame de Lorette transportée, comme 
on le sait, dans les airs, de Palestine en Italie. A 
Naples, l'affreuse jonglerie du miracle de la liqué- 
faction du sang de saint Janvier se continue tous 
les ans, sans aucune protestation de l'autorité pon- 
tificale ; elle l'accepte et la patronne tout en sachant 
fort bien que le procédé par lequel on fait couler le 
sang coagulé du saint est bien connu. Les eaux de 
la Salette et de la grotte de Lourdes qui opèrent, 
dit-on, des guérisons miraculeuses sont patentées à 

il 



— 482 — 

Rome, car non contente de ses propres prodiges elle 
encourage partout cette espèce de magie grossière 
qui rappelle les temps les plus honteux de la déca- 
dence païenne, mais qui est très-fructueuse. Il est 
facile de se rendre compte de la manière dont 
naît la croyance à un faux miracle. On n'a qu'à se 
rendre dans là chapelle commémorative élevée près 
de l'église de Sainte-Agnès en mémoire du grand 
péril auquel le pape a échappé il y a quelques années 
dans le même endroit, où le plancher supérieur s'é- 
tait effondré soudainement sous lui sans qu'il en soit 
résulté aucun mal pour le saîht-père. Certes rien 
de plus légitime que d'éprouver un vif sentiment de 
reconnaissance envers Dieu dans une telle circon- 
stance et de Texprimer publiquement, mais le saint- 
père a voulu voir dans la protection providentielle qui 
lui a sauvé la vie un miracle de première classe. Il 
a fait peindre un grand tableau qui représente toute 
la scène sous de vives couleurs. Sur le premier plan, 
on voit le pape calme et souriant au sein du péril, 
tandis que les assistants parmi lesquels des offi- 
ciers français témoignent de la terreur la plus lâche ; 
Tépaulette de nos preux n'est pas ménagée par Tax- 
tiste qui n'a pas craint de les représenter tout trem- 
blants pour faire contraste avec Tauguste sérénité 
du saint-père. Sainte Agnès apparaît dans les airs 
le couvrant d'une main protectrice, puis, dans Tar- 



— 183 — 

rière-fond du tableau la Madone entourée des anges 
domine toute la scène. Cette interprétation plastique 
d'un fait assez simple passe pour un événement 
réel aux yeux de la plupart des spectateurs. Il est 
entendu que sainte Agnès et la Madone sont appa- 
rues au saint-père ; c'est parole d'Evangile, et les 
âges futurs raconteront le miracle avec componction. 
On assiste ainsi à la formation de la légende. 

Le dernier caractère de ce culte romain est une 
idolâtrie effi-énée. Il ne faut pas prétendre que les 
images ne sont pas adorées et que l'hommage qu'on 
leur rend remonte à Dieu. Elles le sont positivement 
comme des fétiches. On ne peut en douter quand 
on a vu aved quelle ardeur est baisé le pied de la 
prétendue statue de saint Pieri*e qui est dans la ba- 
silique du Vatican et qui est tout usée sous les 
lèvres de ses milliers d'adorateurs. L'image du dam* 
hino qui est exposée par les capucins aux fêtes de 
Noël reçoit un culte véritable. Les madones couver- 
tes d'ornements somptueux, après avoii? été élevées 
aurang de vierges miraculeuses, sont traitées comme 
les marbres les plus célèbres de Vénus ou de Junon 
l'étaient dans l'antiquité. Quant aux îrellques des 
saints, elles pullulent avec une abondance qui ne 
laisse pas que d'être inquiétante^ car plus d'un Co- 
quin est certainement l'objet d'une vénération pro- 
fonde sous le nom d'un niartyi* quelconque. Il n'y 



— 1Q4. — . 

a pas de limite aux fables que Ton débite sur ces 
restes prétendus sacrés. Si Tou ne vous montre pas 
comme dans le couvent arménien de Jérusalem les 
pierres qui auraient crié^ ou comme à Florence les 
reliques de la sainte Trinité qui sont un nouveau 
mystère et le plus étonnant de tous ajouté à ceux de 
la foi, on fournit au moins un morceau de tous les 
saints connus et inconnus ; la châsse d'or ou de dia- 
mants fait passer Tossement apocryphe. Rien ne pas- 
sionne davantage la partie dévote de la population 
que ce genre de piété. Mais il est ime autre idolâtrie 
plus subtile qui grandit tous les jours, c'est celle qui 
consiste à exalter la créature aux dépens du Créa- 
teur et du Rédempteur. Nous avons déjà insisté sur 
cette effrayante apothéose de la Madone qui doit 
transformer la Trinité en quaternaire; depuis la pro- 
clamation de rimmaculée Conception elle prend un 
développement inouï auquel rien ne ressemble dans 
le passé. Le romanisme n*a plus que deux divinités 
toujours présentes et adorées, Marie dans le ciel, et 
le pape sur la terre. En entendant les acclamations 
frénétiques qui accueillent le saint-père à son pas- 
sage, on se souvient du cri dont les habitants de 
Sidon saluaient Hérode : Voix de Dieu et non d'un 
homme !... 

Ainsi grandit tous les jours un matérialisme dé- 
gradant dans le culte, toujours en quête de nou- 



— i8S — 

velles idoles ; aujourd'hui c'est saint Joseph qui est 
en grande faveur, ses médailles guérissent le corps 
et Tâme. Une pétition a été présentée au pape au 
nom d*im nombre considérable Je pères du concile, 
pour qu'il soit élevé au rang de protecteur de la 
chrétienté. Demain la vogue sera pour quelque 
autre favori de cette piété grossière jusque dans 
ses plus vives ardeurs, qui, avec ses faux mira- 
cles , ses cantilènes amolHssantes , sa crédulité sans 
bornes , est comme un défi constant jeté à l'esprit 
humain, et cela dans un moment où le surnaturel 
véritable a suffisanunent à faire pour se défendre 
contre les plus sérieuses attaques. Nous ne sau- 
rions mieux résumer notre jugement sur l'art et le 
culte romains qu'en rappelant la grande et burlesque 
cérémonie musicale qui a été célébrée le diman- 
che 14 décembre 1869, dans l'église des saints Apô- 
tres, en l'honneur du concile, devant un nombre 
considérable de cardinaux, d'évêques et de prêtres. 
Le théâtre est interdit pour tous les dimanches qui 
précèdent VAvent; cela n'a pas empêché les organi- 
sateurs du grand concert spirituel du 12 décembre 
de lui faire de larges emprunts. — Comment les 
airs les plus mondains ne seraient-ils pas sancti- 
fiés une fois qu'ils sont chantés par l'académie 
pontificale de l'Immaculée Conception. « Cette asso- 
ciation, lisons-nous dans son programme, a l'habi- 



— 186 — 

tude de célébrer tous les ans un grand concert à 
rhonneur de la Vierge. Elle ne pouvait trouver une 
plus solennelle occasion d'être fidèle à sa coutume 
que Touyerture du concile œcuménique. Cette année 
elle fera une part plus grande à la gloire du pontife 
auquel on doit cette coiivocation. Un cardinal ou- 
vrira la solennité par une prose qui placera le con- 
cile sous la protectioii de la Vierge, puis nous ferons 
entendre des chants en diverses langues. L'académie 
fera alterner ces chants avec les trois parties d'mi 
oratorio intitulé : Ze Ponti/e de V Immaculée C(ynr 
ception^ dans lequel la gloire du saint-père est asso- 
ciée à celle de Marie. La Vierge daignera bénir notre 
pauvre honunage. Elle qui est la mère de Tétemelle 
sagesse, la sainte protectrice de notre foi, ne peut 
que bénir les travaux d'une académie qui ne sông^e 
qu'à développer la vraie science. » 

Voyons maintenant de quelle manière elle, la dé- 
veloppe ; 

La première partie de l'oratorio est sur l'air qui 
ouvre l'opéra des Puritains^ de Bellini. Elle repré- 
sente le peuple fidèle priant Dieu pendant le conclave 
de donner à son Eglise un chef selon son cœur. 
Puis vient un chant de joie du peuple romain après 
l'élection de Pie IX; le chœur célèbre les bienfaits 
de l'amnistie sur un air de Hoiert le Diable^ entre- 
jroisé par un air de la Sapho^ de Paccini. L'hymne 



— m — 

consacré à Thégîre de Gaëte est chanté sur un air 
du Macbeth^ de Verdi. Le maestro patriote, dont on 
conncdt l'attachement à la cause italienne, fournit 
encore les cavatines nécessaires pour célébrer Theu- 
reux retour du saint-père, « opéré grâce à im se- 
cours inespéré, > dit ingénieusement le Uiretto : ce 
qui fait supposer une armée d'anges descendant du 
ciel. On sait, hélas! que cçs anges*là portaient le 
pantalon rouge de nos troupes de ligne, « toi, 
ajoute le libretto^ Vierge sainte, qui seule as écrasé 
la tête du serpent , toi seule peux disperser cette 
tourbe infernale qui a envahi le siège du saint- 
père. 1» Cette fois le miracle n'a pas été complet, 
car il s'est compliqué d'artillerie. L'hymne triom- 
phant de l'Immaculée Conception est emprunté au 
NàbucodonosoT du même Verdi. Après le cantique 
de l'Immaculée, nous avons celui du Syllahus^ 
toujours sur l'air du Nahuco, Par une coïncidence 
assez singulière, cet opéra rappelle les dangers que 
l'on court en se prenant pour un Dieu. Je ne détache 
du cantique du centenaire que ces mots adressés à 
Marie : « Marie, qui protèges l'Eglise, nous n'a- 
vons confiance qu'en toi seule. » La musique de 
Robert le Diable accompagne un chant d'adulation 
à Pie IX, à l'occasion du jubilé de sa cinquantaine 
de sacerdoce ; la flatterie est si grossière qu'il n'y a 
pas ailleurs de théâtre de bas étage où elle ne fût 



— 188 — 

sifflée, si elle s'adressait au souverain du pays. 
Rossini et Donizetti sont aussi mis en réquisition. 
\^Eléonore du second maître" fournit la romance du 
monument de la Vierge, avec un grand renfort de 
roulades amoureuses. Ce beau chef-d'œuvre se con- 
tinue par l'hymne triomphant du concile, dans 
lequel un air de SapJio alterne avec Tair de la GU- 
rité^ de Rossini; le Saint-Esprit est totalement 
éclipsé par Marie <t qui doit animer tous les évêques 
d'un feu divin. » L'oratorio se termine par ua 
hommage d'obédience fait au saint-père au nom de 
la chrétienté ; Rossini a l'honneur d'en procurer la 
musique avec ses deux opéras de Guillaume Tell 
et du Siège de Corinthe. Le concile n'est nommé 
que pour la forme. <t Nous jurons, chante le chœur, 
ô notre Seigneur, de te faire l'hommage de nos 
pensées, car seul tu peux dissiper cette nuit d'er- 
reur, tu es la fontaine de la vérité. Nous promet- 
tons de suivre ta foi, fût-ce au prix du plus cruel 
martyre. > 

Demandons-nous quel effet produit cette piété 
romaine telle que nous l'avons décrite, quelles sont 
ses conséquences morales, car c'est là l'essentiel. H 
ne s'agit pas de savoir si les formes du culte sont 
belles, si elles sont pompeuses; il s'agit de savoir si 
elles nous renouvellent, si elles nous transforment; 
il s'agit de connaître leur effet moral. Sans doute^ 



— 489 - 

lous ne voulons pas de la morale séparée de la reli- 
^on; mais, à coup sûr, nous voulons encore ijioîns 
^e la religion séparée de la morale, car je ne connais 
•as de pire chose au monde qu'une religion qui re- 
ranche à la morale ce qu'elle donne à la dévotion. 

Je n'oserais pas faire la description de. cette ville 
iînte , je n'oserais pas dire tout ce que recouvre 
hypocrisie de ces belles apparences. J'ai recueilli 
i-dessus des témoignages effrayants, de la bouche 
hommes qui n'étaient pas suspects, qui étaient 
-courus à Rome pleins d'enthousiasme, brûlant 
ême de verser leur sang pour la cause catholique, 

qui en reviennent pleins de dégoût et d'indigna- 
>ri; car ils ont vu ce que c'est qu'une religion qui 

Xûoque de la religion, selon l'expression éloquente 
' Pascal. 

Si maintenant j'en viens à l'état social des Etats 
^xitificaux, tel qu'il était constitué sous le régime 

la papauté temporelle, n'oublions pas que, d'a- 
ès la théorie papale , il nous présente l'image de 

perfection. La Rome pontificale, c'est la ville se- 
t^ le cœur de celui qui se donne comme le repré- 
ï^àtant du christianisme et qui déclare nettement 

hautement que c'est sur ce modèle que toutes les 
oiétés humaines devraient se reconstituer. Il y a 
^nc là plus qu'un fait, il y a un principe et un 
*€ipeau ; ce principe nous menace tous, puisqu'on 

il. 



i- 190 — 

voudrait nous l'appliquer après l'avoir ressuscité à 
Rome ; nous avçns le droit de le considérer en face 
et de lui demander ce qu'il est en réalité, 
* H s'est exprimé de la manière la plus nette dans 
les encycliques du dernier pape, spécialement dans 
la dernière et dans le Syllahus, Un certain nombre 
de catholiques libéraux que ces documents gênaient 
singulièrement, parce qu'ils étaient dirigés contre 
eux, ont essayé d'en détourner le véritable sens. Es 
nous ont dit : « Le SyllaJms n'est pas ce que vous 
croyez, ce langage est trop sublime pour vous, le 
pape a parlé pour les anges et les séraphins; il 
faut que cette prose divine soit traduite en langue 
vulgaire, et nous vous donnons cette traduction 
adoucie, édulcorée ; croyez-nous , c'est notre ver- 
sion qui est la bonne. i> 

Le saint-père n'a pas parlé pour les anges et les 
séraphins, il a parlé pour les Romains, et la tra- 
duction en langue vulgaire de cette encyclique se 
trouve dans les anciennes institutions de cette ville, 
qui voudrait être l'idéal politique de toutes les so- 
ciétés humaines. 

Oui, l'état social et politique de la Rome du 
pouvoir temporel, c'est le verbe papal incamé ;• il 
nous suffit de le considérer de près .pour savoir ce 
qu'on voudrait imposer à toutes les sociétés humaines. 

Je prendrai donc les principes les plus importants 



— 191 — 

du SyllaiuB^ et nous examinerons comment ils ont 
été réalisés sur le sol romain ; nous aurons ainsi la 
meilleure traduction de Tencyclique. 

Quel est le principe essentiel et fondamental de 
Tencyclique î Afin d'être plus clair, je donne sous 
forme affirmative ce qui est présenté sous forme de 
condamnation dans le Sylldbus. 

Je lis l'article 80 du Syllabus : 

€ Le pontife romain ne peut ni i^e doit se rencon- 
trer et se mettre d'accord avec le progrès, aveo le 
libéralisme, avec la civilisation moderne. > 

Pour bien comprendre la portée de cet article, il 
nous faut chercher ce qui constitue essentiellement 
la civilisation moderne et le libéralisme moderne. 
Le caractère le plus général de cette civilisation est 
le gouvernement des peuples par eux-mêmes, la 
suppression de tout ce qui ressemble àTabsolutisme, 
de tout ce qui rappelle une domination imposée. 

Le second caractère de ce libéralisme, c'est ce que 
j'appellerai l'Etat limité, l'Etat s'arrêtant aux limités 
où commence l'empire indéfini de Ig. conscience, 
l'Etat s'arrêtant devant l'être moral, comprenant 
que l'être moral est plus grand que lui, a une autre 
destinée, et qu'il n'a pas le droit de s'immiscer dans 
cette destinée. <■ 

Ces deux grands traits de la civilisation moderne 
sont après tout les caractères vraiment chrétiens de 



— 492 — 

TEtat ; ils procèdent de cette grande parole de Jé- 
sus-Christ : € Mon royaume n'est pas de ce monde. > 
C'est cette grande parole qui a enfanté la vraie 
liberté dans le monde, c'est cette parole qui a ré- 
vélé à l'homme qu'il n'appartenait pas tout entier à . 
la chose publique parce qu'il n'était pas appelé à 
achever sa destinée sur la terre, qu'il était le citoyen 
d'une cité plus haute, que par conséquent l'Etat ne 
devait pas gêner le développement de sa conscience 
et de son être moral. Cet Etat limité, c'est l'Etat 
vraiment libéral, c'est l'Etat vraiment chrétien, sui- 
vant la belle interprétation de Vinet et de M. La- 
boulaye. Voilà le caractère le plus avancé de la civi- 
lisation moderne. Je sais bien que la civiUsation 
moderne conteste souvent cette origine chrétienne 
et qu'elle la repousse ; elle a beau être ingrate, elle 
n'empêchera pas le Christ de l'avoir marquée d'un 
sceau nouveau et de lui avoir conquis sa liberté au 
prix de son sang. 

Or c'est précisément ce double caractère qui est 
résolument .repoussé par l'encyclique et les insti- 
tutions romaines ; l'article 54 ne permet aucun doute 
à cet égard : 

« L'Eglise ne doit jamais être séparée du pouvoir 
civil ; l'Eglise a le droit et le devoir d'employer la 
force. 2> 

Voilà le texte. Quelle interprétation peut-on lui 



— 193 — 

donner? Je sais bien qu'on a dit qu'il s'agissait sim- 
plement de la civilisation mauvaise, plus ou moins 
corrompue. Est-ce là ce qui ressortait des institu- 
tions romaines? 

Reconnaissons d'abord qu'elles avaient organisé 
le despotisme civil et religieux, le plus complet 
qui exista sous les cieux. Le pouvoir temporel de la 
papauté était destiné à le maintenir. Qu'on ne nous 
dise pas que sa grande utilité consistait à sauve- 
garder l'indépendance de l'évêque de Rome vis-à-vis 
des pouvoirs étrangers; l'Mstoire écarte ce sophisme, 
car elle nous montre que c'est précisément ce pou- 
voir temporel qui le mêle à toutes les intrigues de la 
politique et que c'est là qu'il faut chercher, pour 
employer l'expression de Dœllinger, le point vul- 
nérable de son indépendance. C'est parce qu'elle 
était une puissance temporelle, que constamment 
elle était en conflit, même pour les choses spiri- 
tuelles, avec les puissances de la terre. On ne sau- 
rait le nier, le pouvoir temporel ne lui a servi qu'à 
fonder le despotisme, car quand un représentant de 
Dieu règne, il est évident qu'il ne peut y avoir de 
partage dans sa domination et que celle-ci doit être 
absolue. Ainsi la Rome pontificale livrée à l'abso- 
lutisme le plus complet, voilà la vraie interprétation 
de l'encyclique, voilà l'ordre véritable que l'on ré- 
clame pour toutes les sociétés humaines. 



— 494 — 

Cet absolutisme implique pour rSglise ^ comme 
nous Tavons vu, le droit d'employer la force; et 
certes elle ne s'en privait pas à Rome. Les pères du 
concile ont assisté peu de jours après son ouverture 
à une grande solennité militaire : une revue de toutes 
les troupes pontificales était passée devant les évo- 
ques. Peut-être quelques-uns d'entre eux se rappe- 
laient-ils certains textes de l'Evangile qui condam- 
nent l'emploi du glaive au service de la vérité, et 
ce mot sévère de Jésus-Clirist à ses disciples, alors 
qu'ils faisaient appel à la force : < Vous ne savez 
pas de quel esprit vous êtes animés. > 

A Rome, si la politique devait servir à la religion, 
la religion à son tour devait servir à la politique. Le 
pape était tenu d'offrir quelques délassements à son 
peuple et d'essayer du moins de le désennuyer; il ne 
pouvait le tenir à chanter des litanies tous les jours 
à Saint-Pierre et dans les six cents églises de Borne. 
Or, comme c'est lui qui gouvernait, comme le repré- 
sentant du Christ personnifiait le pouvoir civil, c'est 
lui qui faisait donner à son peuple des représentations 
théâtrales et des ballets. C'est lui qui devait fournir 
aux dépenses de sa cour et de son administration en 
cherchant tous les moyens d'équilibrer ses finances; 
c'est donc lui qui présidait à cette institution de la 
loterie qui, on peut le dire, était l'institution maî- 
tresse des Etats romains. Tout était suspendu pen- 



•^495—" 

dant la célébration des grandes solennités de TE- 
glise, toutes les maisons devaient être fermées, tous 
les établissements publics étaient tenus d'être clos; 
un seul demeurait toujours ouvert, c'était la loterie 
pontificale. Elle était ouverte alors que le saint- 
père donnait sa bénédiction à la ville et au monde. 
Jésus-Christ ne voulait pas se mêler aux disputes 
des hommes et ne voulait pas siéger dans leurs 
conseils ; cela n'empêchait pas son vicaire d'adminis- 
trer la justice pénale ; par conséquent c'est lui qui 
condamnait directement les coupables. Oui, celui 
qui devrait représenter le pardon^ prononçait à 
l'occasion des condamnations à mort, au nom du 
divin pasteur qui a donné sa vie pour ses brebis. 
C'est la logique du système. Quelque généreuse 
que soit son âme, il ne pouvait échapper à cette 
logique. Jugez de l'effet que produisait un pape 
condamnant à mort, le vicdre du Christ envoyant 
à l'échafaud! J'entendais raconter un jour par 
M. Ampère un trait bien significatif à cet égard. 
Un malheureux avait été pris dans une conspiration : 
il avait été condamné à la peine capitale. Cette con- 
damnation, venant de la part du pontife, avait bou- 
leversé son âme, et quand on Vint pour le conduire 
au dernier supplice, et qu'un prêtre, comme man- 
dataire du saint-père, se présenta pour lui adresser 
des consolations, il le repoussa avec indignation, 



— 190 — 

et il fut se jeter la face contre terre devant un 
crucifix pour en appeler en quelque sorte % ce- 
lui qui pardonne et qui relève, de son représen- 
tant infidèle. Voilà Teffet du pontificat dans Tordre 
civil. 

Il est inutile de décrire avec détails toutes les 
monstruosités de cet absolutisme. Il est évident 
qu'aucune des garanties de la vie moderne n'existait 
à Rome. Les jugements étaient rendus dans les ténè- 
bres, la défense n'était pas publique, jamais rien ne 
s'imprimait sans l'agrément du saint-père. Je lisais 
dans im journal : « Quel merveilleux accord que celui 
des journaux romains au lieu de ces disputes dont 
la presse étrangère iassourdit nos oreilles ! > Oui, 
sans doute, vingt perroquets dans une volière, c'est 
quelque chose d'admirable. 

Quant à la police, elle était entièrement aux mains 
du clergé. Il est certain qu'à Rome le prêtre en était 
l'agent principal, et qu'il devait rapporter à l'autorité 
tout ce qu'il apprenait. Il y a plus, la participation 
aux sacrements était obligatoire, et chaque habitant 
de la ville papale était tenu de «montrer son billet de 
communion. On communiait à Rome comme on mon- 
tait sa garde à Paris. Peu importait le sacrilège; la 
formalité devait être remplie, et la formalité, quton 
ne l'oublie pas, c'est le sacrement par excellence. J'ai 
hâte d'arriver à la plus sainte des libertés, à la li- 



— 197 — 

\é des âmes, qui pourrait presque suppléer àtoutes 
autres, si la liberté n'était pas une et indivisible : 
i cette liberté sainte qu'on avait surtout en hor- 
r à Rome, c'est elle que l'on voulait faire dispa- 
re, de telle sorte qu'il n'en restait plus aucune 
;e. Le Sylldbus condamne formellement cette 
sime que « tout homme est libre de professer la 
gion qu'il aura regardée comme vraie en la ju- 
mt à la lumière de sa raison. > Le principe 
lue dans les pays catholiques la loi pourvoie 
;e que les étrangers qui viennent s'y établir 
issent de l'exercice public de leurs cultes par- 
iliers, > (art. 78) n'est pas moins sévèrement 
ilifié. 

Vinsi donc le Syllabus met en pleine lumière et 
isacre avant toute chose l'asservissement absolu 
la conscience. Il y avait un lieu dans le monde 
c'était un crime que de lire le livre de Dieu, que 
propager son divin message, et cette ville, c'était 
ne. Il y avait un lieu dans le monde, où suivre 
conscience, suivre ses impulsions les plus sacrées 
ir obéira la volonté suprême, était abominable, et 
iieu, c'était Rome. Ily avait un lieu où ce que l'on 
it faire à Constantinople était interdit et châtié sé- 
ement, et ce heu c'était Rome. Qu'on ne dise pas 
5 c'est une exception qui pesait uniquement sur 
'ille papale, non ! car dans tous les concordats qui 



- 100 — 

et il fut HO jotor la foco contre torre devant un 
crucifix pour ou appeler en quoique sorte % ce- 
lui (jui pardonne et qui relève, do Aon repréwm- 
tunt infidèle. Voilà TefFet du ])ontiflcat dan» Tordre 
civil. 

Il oHt inutile do décrire avec détailn toutes Icd 
rnonHtruoHitcK do cet absolu tinnio. Il ont évident 
qu'aucune dcH ijfarantioH do la vie modomo n'exintait 
h ]{oino. LcH jugomontH étaient rendus dauH Ioh tStnè- 
brcH, la défouBO n'étaitpaHpublique, jamaiHricn ne 
H*iinpriinait Hann rag^rémont du Haint-père. Je liHai» 
dauH un journal : < Quel nicrvoilloux accord que celui 
dcH journaux roinuinn au lieu do coh disputoH dont 
la i)rcHHo étrangère aMHOurdit noH oreilloH I » Oui, 
HauH doute, vingt pcrro(juotti dan» une volière, c'cHt 
quol(iU() C'IiOHO d'admirable. 

( juant h lai)olico, elle était entièrement aux uiainn 
du clcîrgé. Il (îHt certain qu'hlionio Je prôtre en était 
l'agent i^rincipal, et qu'il devait rapporter (i rautorité 
tout en (lu'il apprenait. Il y apluH, la participation 
aux HacrenientH était obligatoire, et chaque habitant 
de la villo ])a|)alo était tenu de •montrer hou billet d(^ 
communion. Ou communiait bli'omo comme on mon- 
tait Ha garde à PariH. Peu importait le «acrilégo;!» 
fbrnuilité devait être remplie, et la formalité, qa^n 
n() Toublii) ])aH,c*eHtloHacrement par excellence. J'ai 
]i}lt(! d'arriver hlapluM Mainte dcM libellée, h la li- 



ées de soutenir un tel régime par l'argent de l'im- 
ôt et par le sang de leurs enfants. 

Veut-on savoir où était la citadelle de ce despotisme 
ans frein ? Entrez dans le couvent du Gesu ; c'est 
ï que résidait le plus effrayant pouvoir qui ait pesé 
ur des pensées et des consciences humaines. Sans 
lOuslivreràde vaines et ridicules déclamations contre 
i société de Jésus, nous avons le droit de dire qu'elle 
st la suprême malédiction du catholicisme et la su- 
prême malédiction de la papauté qu'elle perd en la 
oussant aux excès. Le peuple le sent instinctive- 
ment, et il l'a exprimé à sa manière dans im apo- 
Dgue marqué au coin de l'esprit italien. Il se trouve 
ue sur la place où est situé le couvent du Gesù le 
eut souffle sans cesse. Voici l'explication piquante 
xii en est donnée à Rome : « Un jour, dit la légende 
opulaire, le diable et le vent voyageaient de com- 
►agnie. Arrivés sur cette place, le diable dit au vent : 
Attends-moi, j'ai affaire dans cette maison, dans 
: un instant je te rejoins, » Cette maison, c'est pré- 
isément le couvent des jésuites. Le diable y est en- 
ré, et il n'en est pas encore sorti, et depuis ce 
emps le vent attend toigours et fait rage sur la 
•lace du Gesù. » C'est ainsi que le peuple romain 
paduisait son impression très-vive sur ce despo- 
isme dont il est la victime. 

Quelle impression devait produire sur les âmes droi- 






— 200 — 

tes et sincères le spectacle de ce romanisme 
essayé de décrire? Cette impression, elle est 
elle produira la révolte ou la réforme. Je pei 
cette double impression dans deux grands j 
hommes droits et sincères , qui se sont r( 
Rome ; l'un en a rapporté la révolte , et V 
Réforme. Le premier, dont nous avons cai 
le rôle au sein du catholicisme français, c 
mennais, notre illustre contemporain, âme 
et sincère, qui pendant la première moitié d< 
avait cru que la voix du pape était vraimen 
de Dieu. A une heure perplexe et critique 
opinions étaient contestées, il se rend à I 
veut entendre Toracle sacré dans Thumilité. 
parle, et c'est pour contredire ses convid 
plus chères ; il parle pour maudire la libe: 
droit éternel. Alors, dans un courroux qui 
pas se contenir, il quitte cette ville, et lui 
malédiction dans un langage brûlant, puis i 
le drapeau d'une révolte qui n'est pas près 
Encore s'est-il maintenu aux limites du • 
mais d'autres sont venus qui ont rejeté Die 
avoir rejeté celui qui lui-même s'était donné 
son représentant. Et cette révolte grandit, el 
dira encore jusqu'à ce qu'elle ne soit plus 
sence d'une puissance d'oppression telle qi 
que j'ai décrite. 



— 201 — 

Un autre pèlerin s'est rendu à Rome au seizième 
siècle. C'était un jeune moine augustin, Tâme 
pleine de mystique ferveur, passionnément désireux 
de servir son Dieu et la vérité éternelle. Il arrive à 
Eome dans toutes les illusions de la jeunesse, il 
croit, il espère qu'il entre dans une cité de Dieu, 
dans une Jérusalem nouvelle. C'est dans cette dis- 
position que Luther franchit la porte del Popolo. A 
peine est-il entré dans cette ville, qu'au lieu d'une 
Sion sainte, il trouve une Babylone ; il entend, non 
des paroles de vie, mais des paroles de mort, qui 
sont en opposition directe, je ne dirai pas seule- 
ment avec ses convictions humaines, mais avec 
ses sentiments les plus intimes. Cependant il persé- 
vère encore, et il s'inflige les pénitences les plus 
dures. Il gravit l'escalier sacré que l'on monte pé- 
lublement à genoux, et voici qu'au milieu de cette 
ascension une voix divine retentit dans son cœur : 
€ Le juste vivra par la foi ; tu ne dépends que de ma 
grâce. » Alors il se relève, et le moine d'hier est le 
réformateur d'aujourd'hui; il jette cette parole à 
tous les vents du ciel, et cette parole renouvelle le 
inonde. Après Luther, d'autres pèlerins sont accou- 
rus, ils ont suivi ses traces, ils ont été en contact 
avec cette puissance de ténèbres et d'oppression. Ils 
étaient venus avec la même piété, avec la même fer- 
veur, le même désir d'entendre une parole de vie. 



Mais c'était encoi*e une parole de mort qui retentis- 
sait à leurs oreilles. Alors ils se sont relevés, ils ont 
aussi secoué la poussière de leuts pieds, leur voix a 
retenti, et la réforme a commencé. 



\ 



CHAPITRE V 



L^onyiRTnKB bt la corstitution do concils. 



I. 



Le 7 décembre 1869, à midi, les clocheB des inr 
mbrables églises de Borne sonnaient & toutes vo- 
is ^our annoncer le grand événement qni tenait 
monde en suspens. tJn concile œcuménique, réuni 
rès trois siècles, était bien fait pour surexciter 
ttention au plus bAut degré. Il n'était pas con- 
que dans une petite ville de lltalie du nord, mais 
ns la capitale même de la catholicité ; il ne se réu- 
3sait pas à gTand'peine et comMe subreptice-^ 
ônt^ ayant à peine^ comme à ïrentè, le nombre 
Svêques nécessaire pour commencer ses délibéra- 
)îis. Plus de sept cents évêques étaient déjà arri- 
îs de tous les points du monde; les Etats-Unis 
Amérique, TAuiérique du Sud, TAsie, la Chine, 
Japon avaient envoyé leurs représentants, ainsi 
le tous les'pays d'Europe. L'épiscopat avait trouva 
fiome une hospitalité vraiment magnifique aull 



savait, du reste, reconnaître généreusement en ap- 
portant au trésor papal les offrandes de toutes les 
Eglises. L*état du monde, la crise des esprits, les 
questions brûlantes inscrites sur le programme du 
concile, tout contribuait à rendre grave et solen- 
nelle cette veille du grand jour. Il se leva sombre et 
pluvieux. Dès Taube, une foule immense, telle 
quejamais édifice peut-être n'en enferma dépareille, 
remplissait cette merveilleuse basilique de Saint- 
Pierre, où la grandeur est si harmonieuse qu'elle 
se dissimule au regard, mais qui n'en peut pas 
moins renfermer im véritable océan humain. Onj 
avait, le matin du 8 décembre, une vision de l'hu- 
manité. La grandeur même de la basilique de Mi- 
chel-Ange la sauve de Tomementation bigarrée i 
laquelle se plaît la dévotion italienne, qui ne troute 
rien de mieux à ses grandes solennités que de dis- 
poser le sanctuaire en salle de bal. Saint-Pierre est 
sauvé par son 'immensité même de ces profana- 
tions. Malheureusement, sa coupole, si gracieu» 
dans son magnifique élan, ne laisse tomber qu'une 
clarté terne et froide sur les multitudes qui foulerf 
ses dalles. Les gardes suisses avec leur costui» 
moyen âge font la haie, depuis le portique jusqu* 
la fameuse Confession qui représente le tombeau* 
saint Pierre. A droite, on aperçoit la salle du cofr 
cile, qui forme l'extrémité du bras septentrional* 



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— 203 — 

3roix de la basilique. Les sièges des pères ^*éta- 
at en gradins. Dans le demi-cercle de Tabside, on 
onstniit une grande estrade, et sur un marclie- 
d de deux degrés sont les sièges des cardinaux, 
s au milieu, à la hauteur de six degrés, s'élève 
trône du pape. Un autel a été construit au centre 
ir la messe solennelle d'ouverture. La tribune est 
i élevée ; on aurait pu la supprimer comme un 
uble inutile, car la voix est destinée à se perdre 
s les voûtes. L'espace qui se trouve au milieu 
la salle est occupé par les protonotaires aposto- 
les, les secrétaires et les théologiens des évê- 
s. La grande innovation de la salle du concile 
l'absence des sièges qui, au concile de Trente, 
ent réservés aux princes et à leurs ambassa- 
rs. Ceux-ci occupent une tribune, près des chau- 
de la chapelle Sixtine,' et ils auront certaine- 
it autant d'influence que ceux-ci sur les 
bérations de l'assemblée, auxquelles, du reste, 
l'assisteront jamais. 

huit heures et demie, la cérémonie commence. 
Dunaissons de suite qu'elle est vraiment très- 
î, très-imposante; le catholicisme n'a pas de 
tacle plus sublime à oflFrir. Il ne Ta pas sur- 
'gé de formes mesquines, ni entaché d'idolâtrie, 
lemment, les rites conciliaires appartiennent à 
époque très-ancienne ; comme il n'y a pas eu 

12 



— 206 — 

lieu de les modifier depuis trois siècles, ils ont 
échappé aux modifications si graves qu'a subies la 
piété catholique, surtout depuis cinquante ans, et 
n'ont pas revêtu ce caractère de matérialisme qui 
l'altère de plus en plus. 

Dès neuf heures, les portes de là basilique s'ou- 
vrent à la procession qui inaugure la cérémonie. 
Elle est destinée à présenter l'image vivante de 
l'Eglise universelle, ou du moins de la hiérarchie 
catholique déroulée dans sa chaîne entière, en com- 
mençant par ses degrés inférieurs. Pendant la mar- 
che de la procession, le Veni Creator a été entonné 
sur le mode antique. Les chapitres des basiUques et 
des grandes paroisses de Rome ouvrent la mar- 
che; ils sont suivis par des représentations de. tous 
les ordres religieux, puis viennent les sept cents 
évéques et archevêques du concile, revêtus de blanc 
et mitre en tête. On y retrouve tous les types^ tou- 
tes les nationalités : l'homme du Nord près dellta- 
lien au visage fin et expressif; l'Espagnol, sombre 
et austère, près des évéques orientaux qui se font 
remarquer par leurs beaux traits calmes et leurs 
longues barbes. Les cardinaux ferment le cortège 
et précèdent immédiatement le saint-père, quia été 
porté sur la Sedia gestatoria^ jusque sur le seuil 
de la basilique. Il en est descendu sous le portique; 
il s'avance entouré de ses gardes-nobles et de sa 



— 807 — 

prélature jusqu'à la Confession de saint Pierre^ de- 
vant laquelle il ee prosterne. Ceuy qui le voient de 
près remarquent la joie qui éclate sur ses traits par 
lis, mais fermement accentués. Quand il prononce 
les prièreB pontificales, sa voix vibrante résonne 
dans toute la basilique. Il se relève et se dirige vers 
son siège épiscopal. Les pères du concile se sont as- 
sis; le concile est formé. L'aspect est vraiment 
d'une sublime solennité. La grand'messe com* 
mence, servie par le cardinal-vicaire, et chantée 
sans accompagnement, par la chapelle Sixtine, 
dans un style large, simple, peu modulé, qui 
étonne d'abord, puis peu à peu pénètre tout l'être 
avec une intensité étrange. C'est pendant la messe 
qu'a lieu l'obédience. Chaque évoque vient à son 
tour se prosterner devant le saint-père, et baiser 
son anneau pastoral pour marquer sa soumission 
au chef de l'Eglise. Après la messe, le pape donne 
la triple bénédiction pontificale et l'indulgence plé- 
nière à tout le concile et aux fidèles présents. Le 
secrétaire du concile lit ensuite la bulle de xîonvo- 
cation. Le sermon de circonstance est prononcé. 
Les psaumes du jour sont chantés, puis le saint- 
père prononce une prière admirable, débris d'un 
autre âge, épave céleste du naufrage des ancien- 
nes institutions de l'Eglise. 

Nous en donnons la reproduction textuellement : 



— 208 — 

et Seigneur Saint-Esprit, nous voici en votre pré- 
sence, où nous osons à peine paraître à cause de la 
gravité de nos fautes; cependant, c'est spéciale- 
ment en votre nom que nous sommes ici réunis. 

« Venez vers nous, approchez-vous de nous. Dai- 
gnez entrer jusque dans nos cœurs ; enseignez-nous 
ce que nous devons faire, montrez-nous la voie que 
nous devons suivre, et soyez vous-même Tauteur de 
nos actes. 

« Vous seul, inspirez-nous et formez en nous les 
jugements que nous allons porter ; nous vous en 
supplions, ô vous, qui seul possédez avec le Père et 
son Fils le plus aug'uste de tous les noms. 

€ Ne permettez pas que nous violions en quoi 
que ce soit la justice, ô vous qui faites vos déljkîes 
de Téquité. 

« Faites que Tignorance ne nous entraîne pas 
dans une mauvaise voie, que les faveurs liumainfô 
nous trouvent inflexibles , que nous ne nous lais- 
sions point aller à la considération des personnes, 
ni à la séduction de leurs présents. 

« Unissez-vous à nous par TefiFusion de votre 
grâce, de manière que nous trouvions en vous une 
parfaite unité, et que nous ne nous écartions de la 
vérité en aucun point. 

« Puissions-nous, réunis que nous sommes en 
votre nom, tenir en toute chose ce juste milieu où 



— 209 — 

ie trouvent la piété et la justice ! Puissent nos dé- 
rets ne se trouver en aucun désaccord avec vous! 
luissions-nous enfin, après avoir fait le bien ici- 
as, en recevbir dans la vie future la récompense 
temelle » 
Tous les pères. répondent : c Amen. » 
Un mon\^nt très-solennel est celui où le concile 
ntier se prosterne dans une oraison silencieuse, sur 
invitation d'un cardinal-diacre. Le chef de la 
rière était, le 8 décembre, le cardinal Antonellî, 
ont le nom rappelle des souvenirs médiocrement 
lysfiques. Aprè& cette prière, une cérémonie non 
loins belle a lieu, cérémonie vraiment redoutable 
•our ceux qui travaillent à l'apothéose de la pa- 
pauté. Un lutrin d'or en forme de trône est roulé 
tu milieu de la salle. L'Evangile y est déposé en 
rntndç pompe, comme pour rappeler Tépoque où il 
constituait vraiment la plus haute autorité. Ce 
ïône, hélas ! ressemble au lit de parade où Ton ex- 
?ose les illustres morts, car Rome ne rend plus 
?uère au livre divin que des honneurs funèbres. Le 
^mps n'est plus où c'était lui qui vraiment diri- 
geait le concile, comme le porte un vieux manus- 
!rit dernièrement retrouvé dans la Bibliothèque de 
^aris; l'Ecriture est représentée sur la chaire du pré- 
ident de l'assemblée : à elle appartient l'autorité 
nique et souveraine. Après qu'un fragment de l'E- 

42, 



— 210 — 

vangile a été lu, les litanies des saints sont enton- 
nées. Chaque strophe est chantée d'abord par les cho-, 
ristes de la Sixtine ; elle est reprise par les pères du 
concile, auxquels fait écho Tinmiense assemblée. On 
dirait la voix majestueuse de TOcéan, Técho pro- 
fond des siècles nous apportant les accents de saint 
Ambroise. Puis vient Tallocution du saint-père dont 
nous dégagerons plus tard Tidée principale. U la 
termine par ces mots sacramentels : « Pour Thon- 
neur et la gloire de la très-sainte et indivisible Tri- 
nité, Père, Fils et Saint-Esprit, pour Taccroisse- 
ment et Texaltation de la foi et de la religion 
chrétienne, pour r extirpation des hérésies^ pour la 
paix et l'union dans TEglise, pour la réformation du 
clergé et du peuple chrétien, pour rhumiliation et 
l'anéantissement des ennemis du nom chrétien, vons 
plaît-il de décider et de déclarer que 1© saint concile 
général du Vatican commence, et qu'il est com- 
mencé? }> 

Les pères répondent : « Placet, j» On leur de- 
mande ensuite s'il leur plaît de tenir une autre 
session à tel jour, et ils répondent encore : « Placel^ 
Le Veni Creator retentit encore ime fois; le ii 
J)eum chanté à l'unisson^par le concile, le clergé et [ 
l'assemblée termine cette incomparable cérémonie 
dont nos petits-neveux eux-mêmes ne verront peut- 
être pas le renouvellement. 



l 



— 211 — 

Cherclioûs maintenant quelle en est la significa- 
tion, et ce que nous en pouvons attendre. Elle rem- 
plit d'enthousiasme une grande fraction de la chré- 
tienté. Cependant, il n'est pas sans mélange, même 
au sein du catholicisme. Nous y discernerons, d'une 
part, cette satisfaction passionnée qui distingue un 
parti triomphant, et qui est peu compatible avec la 
vraie piété, et, d'une autre part, une inquiétude 
croissante. Ces alarmes sont patentes ; elles se sont 
exprimées de bien des manières et publiquement. 
Si l'on était tellement assuré que le Saint-Esprit va 
parler, l'inquiétude se comprendrait difficilement. 
Etre inquiet du Saint-Esprit? y aurait-il rien de 
plus étrange ! Nous ne pouvons donc nous fier ab- 
solument à ce Te Leum dont l'unisson sublime vibre 
' encore sous la voûte ! Ces mamifîques apparences 
pourraient être trompeuses. Que sont, d'ailleurs, les 
apparences dans les choses de l'âme et de l'esprit? 
n y a dix-huit siècles, un temple plus beau encore 
que Saint-Pierre n'entendait retentir au travers des 
formes les plus solennelles que des paroles de mort, 
tandis que les mots divins qui allaient renouveler le 
monde étaient prononcés dans ime misérable cham- 
bre haute, devant les auditeurs les plus pauvres et 
les plus ignorants. Il faut donc regarder de plus près 
cette cérémonie et en dégager la pensée, l'inten- 
tion, la portée, sans sortir de la basihque, et en em- 



— 212 — 

pruntant pour le moment nos renseignements à l'é- 
vénement du 8 décembre. 

Tout est de nature à nous inquiéter ici : le lieu, 
la date, les discours, le programme même de l'as- 
semblée conciliaire. La basilique a beau avoir con- 
servé son caractère degifandeur, elle a pourtant subi 
certaines modifications qui frappent tous les yeux, 
et ne laissent pas que d'être significatives. Tous 
ceux qui ont séjourné à Rome connaissent bien cette 
fameuse statue de saint Pierre, dont Torteil de 
bronze est usé sous les baisers de la dévotion. D'or- 
dinaire, elle conserve Taspect rude et pauvre qui 
convient à im apôtre sorti des classes populaires. Le 
îour de l'ouverture du concile, on lui a fait subir une 
transformation qui lui est peu favorable au point de 
vue artistique. On lui a jeté un manteau royal sur 
les épaules, et on a ceint son front d'une couronne 
qui n'est pas d'épines. Evidemment, la cour romjiine 
a voulu que les pères du concile, dès leurs premiers 
pas dans la basilique, fussent en présence du pon- 
tificat royal dont il s'agit de consacrer les plus au- 
dacieuses prétentions, et l'on a tenté sans hésiter 
cet anachronisme choquant qui frappe tous les 
yeux, et reçoit son châtiment en lui-même; car rieu 
n'était mieux approprié que cette mascarade ponti- 
ficale à faire ressortir le contraste entre le passé de 
l'Eglise et l'apothéose à laquelle on tend. Seule- 



— 213 — 

nent, grâce au ciel, il est plus facile de défigurer 
ine statue que de refaire TEvangile. En entrant 
lans la salle même du concile, les regards sont 
out d'abord attirés par un tableau aux couleurs bril- 
antes : c'est la représentation du cénacle, à Jérusa- 
em. Il y aurait certes une grande utilité à en évo- 
[uer l'image devant l'assemblée du Vatican. Mais 
e peintre a reçu des lumières particulières sur ce 
frand événement. Le siège d'honneur est occupé 
>ar la mère du Christ; c'est elle qui préside, et les 
Lammes de l'Esprit-Saint se concentrent sur sa tête. 
^e récit sacré ne mentionne même pas le nom de 
larie dans le premier concile. Elle était alors ce 
xi'elle fut toujours, la plus humble des femmes et 
tissî la plus bénie ; mais à Rome, on entend qu'elle 
oit la protectrice ou la directrice du concile. 

L'Invito sacro, publié un mois avant le concile 
ar le cardinal-vicaire pour ordonner les prières 
réparatoires, pourrait servir de commentaire ou de 
vret au tableau du cénacle. On en peut juger par 
î fragment suivant : 

€ Dans peu de jours, Rome accueillera dans ses 
.urs les pasteurs venus de toutes les contrées du 
onde, et le jour solennel consacré à la conception 
imaculée de Marie s'approche, jour qui sera en- 
ire plus mémorable à l'avenir, puisqu'il verra 
ouvrir le concile. Voilà pourquoi tous les vrais fils 



— 244 ~ 

de la Mère de Dieu s'adressent avec une plus grande 
affection à celle que saint Cyrille a appelée NofM 
rectsR Jiiei^ la nonne, la règle de la vraie foi, et ib 
s'adressent à elle afin que, de même qu'elle fiit pfl^ 
sonnellement à Jérusalem le docteur des apôtres, et 
leur compagne dans la prière pour appeler du dd 
sur le cénacle l'Esprit sanctificateur, de même eDe 
préside aujourd'hui à la nouvelle assemblée réunie 
sous sa protection maternelle, et que, par sa média- 
tion, elle obtienne toutes les grâces dont Dieu l'a 
faite l'arbitre ^t la dispensatrice. Accourez tous aa 
Triduo de l'église des révérends pères capucins. 
Nous vous exhortons aussi à assister, dans la mêœe 
éghse, au Tnduo de Jésus de Nazareth. Nous avons 
la certitude, ô Romains, que vous seconderez notre 
paternel désir, et que, prosternés devant l'image 
vénérée de Marie immaculée, vous l'invoquerei 
comme votre espérance et comme l'espérance de TB- 
glise catholique, et Marie prouvera une fois de pte 
aux ennemis de la vérité combien justement la li- 
turgie sacrée s'exprime ainsi sur elle : Cunctas fe- 
resis sola interemisti al universo mundo. > 

N'oublions pas que tout ce qui relève actuelle- 
ment l'adoration de la Vierge relève par là mômel» 
papauté ; les deux causes sont solidaires. C'est tou- 
jours la créature mise sur l'autel et l'idolâtrie triom- 
phante. 



V 



i 



— 216 — 

Ceci nous amène à considérer non plus seule- 
ment le lieu du concile, mais sa date. Elle n'est pas 
moins importante à signaler, comme cela ressort 
d^& de YInvito du cardinal-vicaire. Il s'est ouvert 
te 8 décembre 1869. Or, le 8 décembre est ran- 
Hivepsaire de la proclamation de Tlmmaculée Con- 
<?eptioti de la Vierge, toujours célébrée avec grande 
pompe k Kome- Or, qu'est-ce que cette proclama- 
tiôû, si ce n'est, avant toutes choses, le triomphe 
fSclatant de la toute-puissance papale dans Tordre 
dogihatlque î Ce jour-là, le pape a franchi le der- 
nier de^é de l'autel sur lequel il veut élever son 
pouvoir; ce jour-là, il a fait un dogme. Il Ta fait à 
Itd tout seul ; il l'a fait en s'élevant au-dessus des 
traditions les plus anciennes de l'Eglise. Que ce 
dogme fût vrai ou faux, il n'en demeure pas moins 
qtl'il l'a proclamé sans concile. Nous .savons bien 
qti'on objecte qu'il a consulté l'Eglise. Mais qui ose- 
rait assimiler cette consultation sans garantie avec 
tiii concile ? Autant vaudrait dire que le chef de l'E- 
tat est en règle atec son parlement, quand il a fait 
demander l'avis des députés à domicile. Ces défaites 
ne supportent pas l'examen. Il est incontestable que 
la proclamation de l'Immaculée Conception a été la 
plus grande des usurpations de la papauté, et qu'elle 
a tranché en fait la question qu'elle voudrait main- 
tenant faire résoudre en droit par le concile. En pro- 



— 246 — 

clamant un nouveau dogme, elle a prouvé son in- 
faillibilité comme le philosophe grec prouvait le 
mouvement, elle a marché; elle a marché, il est 
"VTai, sur toutes les traditions de l'Eglise primitive, 
mais enfin elle a posé son indiscutable autorité dans 
les matières religieuses les plus graves. Si ron en 
doutait, on n*a qu'à lire les déclarations fort nettes à 
cet égard de la brochure intitulée : Avant le ConcUC) 
qui exprime les plus chères pensées de la curie ro- 
maine, et qui a été partout affichée sur les murs 
de Rome. Qu'on en juge par le fragment suivant: 
« Après cette proclamation d'un dogme non dé- 
fini encore, faite par le pape seul, sans concile, 
quoique aux applaudissements de l'épiscopat, qui 
voudrait, sérieusement et sans offenser sa propre 
conscience, soutenir aujourd'hui les idées, dites gal- 
licanes, sur l'infaillibilité du pape et du concile? Ces 
idées reçurent alors leur coup mortel des mains de 
tout l'épiscopat, mais sous beaucoup de rapports, 
spécialement, par la coopération de l'épiscopat 
français lui-même, lequel n'a rien omis pour attein- 
dre ce but. Il y a eu plus, car il s'y est prêté avec 
une telle sincérité et une telle grandeur d'âme, que 
nous en sommes presque à dire du gallicanisme ce 
que saint Augustin disait du péché originel, en vue 
de la Rédemption : « Félix culpa ! j> Or, qui se sou- 
vient de ce passé si récent encore peut-il admettre 



— 217 — 

qu'il y ait aujourd'hui c des évêques » qui s'amu 
sent à jouer sur la valeur et la signification de Tin 
faillibilité du souverain pontife ? Cette infaillibilité 
n'a-lrelle pas été, en 1854, plus que proclamée, puis 
qu'elle a été pratiquée publiquement et unanime- 
ment? L'inscrira-t-on, au concile, dans le grand- 
livre des droits définis du saint-siége ? Il nous semble 
qu'après l'avoir lue dans le livre des consciences de 
l'épiscopat entier, ce n'est pas ce qui peut émou- 
voir les hommes sérieux. Quoi qu'il en advienne, 
admettre que ces mêmes évêques doutent jamais de 
cette infaillibilité équivjaudrait à les soupçonner de 
ne pas respecter ce devant quoi ils se sont prosternés 
à cette époque tellement rapprochée de nos jours. 
Alors, à quoi se verraient exposés la gravité, la con- 
science, le jugement des évêques? Peût-on même 
s'arrêter davantage sur cette hypothèse sans les in- 
jurier? Certes, npû, > 

Voilà qui est suffisamment clair : le concile a été 
convoqué le jour anniversaire d'une mesure qu'on 
peut appeler le coup d'Etat de la papauté. Il n'a 
donc d'autre but que de le consacrer à jamais. 

Nous serons confirmés dans cette pensée si après 
avoir considéré la date et le lieu du concile nous 
donnons notre attention aux paroles pontificales qui 
y ont retenti. Le saint-père, après avoir exprimé sa 
joie de présider à cette grande assemblée épiscopale 

13 



— 918 ~ 

dans ce grand jour de la Vierge immaculée, con- 
tinue en ces termes s 

« C'est dans ce temps surtout et plus que jamais, 
que véritablement c la terre a été souillée par ses 
< habitants, » et que le zèle de la gloire divine et 
le salut du troupeau du Seigneur demandent de 
nous que nous entourions Sion et que nous Tem- 
brassions, que nous parlions du haut de ses tours 
et que nous mettions nos oœurs au service de sa 
force. 

a: Vous voyez, vénérables frères, de quels assauts 
l'antique ennemi du genre humain a attaqué et 
attaque sans cesse la maison de Dieu, cette maison 
à qui appartient la sainteté. Sous ses inspira- 
tions, la conjuration des impies s*étend au loin ; et 
forte par son union, puissante par se^ richesses, 
redoutable par ses institutions, et prenant pour 
voile le masque de la liberté, cette conjuration 
presse de plus en plus la guerre acharnée qu'elle a 
déclarée à la sainte Eglise du Christ et qu'elle 
poursuit à l'aide de tous les crimes. » 

Le mot sur les institutions libérale» doit être 
Retenu, car il implique, comme nous le verrons, 
toutes les doctrines du Syllàbus. Le pape continue : 

« Ce qu'est cette guerre, quelles sont ses fbrces, 
quelles sont ses armes, quels sont ses progrès, quels 
sont ses desseins, vous ne l'ignorea pas* Vous aves 



^ 219 — 

sans cesse devant les yeux la perturbation et la 
confusion qui atteignent les saintes doctrines sur 
lesquelles reposent les fondements de tout Tordre 
des choses humaines, la perversion lamentable de 
tout droit, les artifices multipliés de la corrup- 
tion et du mensonge par lesquels sont brisés les 
liens salutaires de Tautorité, de la justice et de l'hon- 
neur, ' par lesquels sont enflammées les plus détes- 
tables passions, par lesquels la foi chrétienne est 
profondément ébranlée dans les âmes , de telle 
sorte qu'assurément l'Eglise de Dieu, en ce temps, 
serait menacée de ruine, si jamais elle pouvait être 
détruite par les machinations et par les efforts des 
hommes. 

< Mais il n'y a rien de plus puissant que l'Eglise, 
disait saint Jean Chrysostome; l'Eglise est plus 
forte que le ciel même. « Le ciel et la terre passe- 
c ront^ mais mes paroles ne passeront pas. 2> Et 
quelles sont ces paroles ? « Tu es Pierre et sur cette 
€ pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de 
€ l'enfer ne prévaudront pas contre elle. > 

€ Nous savons le soin ardent que vous apportez 
à remplir votre ministère ; nous savons, notamment, 
cette magnifique et très-étroite union de vous tous 
avec nous et avec ce siège apostolique ; de même 
que déjà dans nos plus douloureuses épreuves, de 
même aujourd'hui rien ne saurait être plus agréable 



— 220 — 

à nous que cette union, rien de plus utile à l'Eglise. 
Aussi, nous nous réjouissons vivement dans le 
Seigneur de ce que vous êtes tellement disposés d'es- 
prit et de cœur que nous avons à concevoir certaine- 
ment le plus solide espoir des fruits les plus abondants 
et les plus heureux de votre réunion en ce concile. 

<c De même que jamais peut-être la guerre 
contre le royaume de Jésus-Christ n'a été plus 
acharnée et plus perfide, de même aussi il n'y 
eut jamais un temps où ait été plus nécessaire, 
entre les prêtres du Seigneur et le,suprême pasteur 
de son troupeau, l'union de laquelle découle une 
force admirable pour l'Eglise; et cette union, par 
une miséricorde. singulière de la divine Providence, 
et grâce à votre éminente vertu, existe et éclate 
tellement, qu'elle est et qu'elle sera de plus en 
plus, nous en avons la confiance, un spectacle 
admirable pour le monde, pour les hommes et les 
anges. » 

Les paroles du saint-père ne peuvent laisser 
aucun doute : le but principal du concile est bien 
de remettre la société et l'Eglise sur leur base, et 
cette base c'est pour l'Etat la théocratie, pour 
l'Eglise l'infaillibihté du saint-père. Ainsi confirmer 
le Syllabm^ proclamer l'infaillibilité du pape, achever 
la glorification de Marie ; voilà le thème, le pro- 
gramme élaboré à Rome et qui ressort avec évi- 



— 221 — 

dencô de la séance d'ouverture] du concile. En ce 
qui concerne la glorification de la Vierge, les murs 
de la ville éternelle offraient des renseignements 
suffisants, on y voyait à chaque pas Tannonce de 
publications sur l'assomption de Marie. Ainsi nous 
apparaissent dès le premier jour le caractère et le but 
de cette grande assemblée, du moins dans l'inten- 
tion et le ferme vouloir de ceux qui l'ont convoquée. 
Il s'agit purement et simplement d'une résurrection 
du passé le plus suranné. Comment s'étonner après 
cela que les chevaliers de Malte aient demandé 
qu'on leur en confiât la garde d'honneur. Il conve- 
nait qu'une ombre fût la sentinelle de ce fantôme. 
Le concile du Vatican est bien plus qu'une crise 
intérieure d'une Eglise spéciale ; il a lieu à une 
époque où les bases mêmes de la morale et de la 
religion sont ébranlées. Nous ne prétendons pas 
que le seizième siècle valût beaucoup mieux que le 
nôtre, mais les .négations absolues étaient rares, et 
à Trente le grand débat était entre deux formes 
du christianisme plutôt qu'entre la religion en soi 
et l'impiété franche et ouverte. Il n'en est plus de 
même aujourd'hui. Si l'on en doutait, on n'a qu'à se 
rappeler les scènes tristes et burlesques qui se pas- 
saient à Naples au moment même où s'ouvrait le 
concile de Rome, On y ouvrait à grand fracas ce 
qu'on appelait un anticoncile, l'anti-concile de la 



— 232 — 

libre ponsée. Des délégués de tous les points de 
l'Italie et de la France devaient y siéger et y pro- 
mulguer le catéchisme de la démagogie sans frein. 
On commença par se disputer avec violence sur le 
progranmie. Tandis que les initiateurs de la réunion 
voulaient se borner à proclamer la liberté de la con- 
science et de la raison avec quelques protestations 
contre le catholicisme, d'autres membres de la 
réunion prétendaient formuler toute une anthropo- 
logie matérialiste. Survint la délégation française 
qui trouva un moyen expéditîf de mettre tout le 
monde d'accord, en faisant dissoudre la réunion par 
une violente irruption sur le domaine politique. Les 
débris de la réunion cherchèrent à se rejoindre et 
se donnèrent la satisfaction de décréter que Tidée de 
Dieu étant la clef de voûte de tous les absolutismes, 
la démocratie moderne devait l'extirper à tout prix. 
Tel a été l'anticoncile de Naples : il n'est pas tant 
anti-concile qu'il le croit, car il a retenu avec 
soin la prétention de dogmatiser par coups d'auto- 
rité et la libre pensée chez lui a son Syllahus trèg- 
nettement articulé. Certes il serait absurde d'exa- 
gérer l'importance de cette Babel autoritaire, mais 
qu'on ne s'y trompe pas, il y a là la forme radi- 
cale d'un mouvement très-général et conune l'écume 
d'une marée formidable qui bat nos rivages. Oui, 
il se tient aujourd'hui dans le monde entier un 



— 2Î3 — 

anticoticilô ; il ée tient dans led cei^les choisis de la 
société polie, il se tient disins les universités , dans 
les académies, dans les ateliei*s, sut les places pu- 
bliques ; chaque anathème qui viendrti de Rome ne 
fem que rendre ses arrêts plus passionnés, qu'on ne 
S*y trompe pas ! Il ne B*agit pas simplement pour 
lui de protester contre les envahissements de la 
théocratie. Tout libre penseur qu'il soit, il ne dis- 
tingue pas eUtre le lôatholiciâtue extrême et le chris- 
tianisme ; que dis-je, il ne distingue pas entre l'idée 
romaine et l'idée divine ; il enveloppe la seconde 
dans l'indignation qUe lui inspire la première ; gar- 
dant cependant de la forme qu'il repousse et maudit 
le procédé autoritaii*e et la haine de la liberté, comme 
cela ressort de plUd en plus dé ses récentes mani- 
festations. Et ces deUx concileë, le concile dfe 
l'athéisme et celui de la théocratie, vont se heurter 
avec une violence croissante et, daUs ce choc fatal^ 
la religion et la Uberté périront si l'efifroyable mal- 
entendu qui ôist le fléau de notre Europe n'est pas 
iissipé. 

C'est cette situation qui fait Témonvant intérêt 
iu concile actuel. Tâchons d'en guivre les péripéties 
3n soulevant le voile de sa trompeuse unité. 

Il faut reconnaître que s'il a été déchiré, ce n'est 
pas qu'il y ait eu manque de précaution de la part de 
ia curie romaine. En effet tout a été meiVeflleùse- 



— 224 -r-. 

ment combiné avant rouverture du concfle, pour, 
étouffer la liberté des discussions. D'abord la dispo 
sition de la salle conciliaire est si mauvaise que la 
plupart des orateurs ne sont pas entendus ; ensuite il 
n'y a pas, à vrai dire, de débat : il n'y a guère qu'tme 
suite de discours qui ne répondent pas les uns aux 
autres et qui vont s'ensevelir dans les archives du 
Vatican. Rien n'est plus gothique que toute cette 
procédure. Le saint-père a remis à chaque évêque 
une bulle réglementaire du concile* Cette bulle, 
qui devait plus tard être aggravée, a soulevé la 
plus vive opposition, et un évêque hongrois s'est 
fait rappeler trois fois à l'ordre en protestant contre 
ces mesures inouïes. Le pape a nommé directement 
une commission des propositions, composée inté- 
gralement des adhérents les plus passionnés de 
Tultramontanisme. Nulle proposition ne peut être 
faite sans en recevoir l'autorisation, qui doit tou- 
jours être confirmée par le saint-père. C'est mçttre' 
un bâillon sur les lèvres des représentants de 
TEglise au moment même où on les invite à déli- 
bérer sur ses plus grands intérêts. La nomination 
de cinq autres commissions a été abandonnée au 
concile. Deux sont insignifiantes : l'une est chargée 
d'examiner les excuses que font valoir les évêques 
pour s'absenter de Rome ; l'autre, dite de concilia- 
tion, doit juger leurs différends. Celle-ci eût été fort 



— 225 — 

nécessaire au concile de Trente, où deux évêques 
se prirent par la barbe dans un débat dogmatique. 
Les autres commissions sont celles de la foi, des 
missions et de la discipline. Les listes étaient faites 
d'avance, et la minorité en a été exclue avec lin 
soin scrupuleux. On s'était arrangé d'ailleurs pour 
que les commissions n'eussent aucune importance. 
En effet, elles ne sont point chargées de préparer 
librement les questions soumises au concile ; c'est 
l'aflEaire des congrégations romaines. Les décrets ou 
schemata sont soumis au concile tout entier, et ce 
n'est qu'en cas de dissentiment grave que les com- 
missions entrent en scène. On comprend combien 
un tel système rend les surprises faciles. Les car- 
dinaux présidant les séances ont un pouvoir dictato- 
rial, et font tout ce qu'ils peuvent pour renfermer 
les discussions dans les plus strictes limites. Ce 
règlement, comme nous le verrons, n'a pas paru 
suffisant et a été remplacé trois mois çiprès l'ouver- 
ture du concile par un autre règlement que nous 
analyserons en son temps. Au reste, toute latitude 
est laissée au parti ultramontain, toute liberté est 
refusée au parti contraire. A peine le concile était-il 
ouvert, que paraissait une décision de la congréga- 
tion de V Index qui frappait le manifeste des oppo- 
sants et interdisait la lecture de Janus^ alors que la ^ 
ville était inondée des produits de l'officine des 

43. 



jésuiteSi II y a plus, Tarchevêque de Malines et 
Mgr Manning peuvent répandre à profusion leurs 
attaques contre Mgr Dupanloup ; la permission d'im- 
primer est refusée à la réplique. Ainsi Ton accepte 
le combat, mais à condition que l'adversaire soit 
désarmé. On a toutes les immunités contre lui; il 
n'a aucun droit. Défense expresse est faite aux 
évêques de se réunir par nation et de se concerter, 
ce qui assure, un avantage immense à ceux qui 
reçoivent leur consigne du Vatican. Le plus grand 
attentat contre la liberté du concile a été la bulle 
affichée sur les murs de Rome peu de jours après 
l'ouverture. Cette bulle frappait d'exconxmunication 
majeure tous ceux qui n'admettaient pas les doc- 
trines du Syllahus^ ou qui contesteraient le moindre 
bref papal. Ainsi le saint-père tranchait d'office et 
d'avance une partie des questions qu'il avait l'air 
de soumettre au concile. 

On se demande à quoi bon cette vaine représen- 
tation. M. Thiers disait un jour avec une haute 
raison qu'il y a quelque chose de pire que l'absence 
de parlement, c'est un parlement fictif, qui n'est 
là que pour faire illusion. Telle est la grande assem- 
blée du Vatican. Elle est certainement moins libre 
que le conseil d'Etat le plus soumis. Qu'on suppose 
un corps délibérant où l'on ne puisse faire une seule 
proposition sans l'agrément du souverain, où le 



— 227 -- 

droit de répKque directe n'existe pas, où les com- 
missions soient annulées, où l'opposition ne puisse 
faire entendre sa voix, où toutes les manifestations 
libérales soient étdUflPé'e^; il serait la risée du 
monde. Il est triste de penser que l'assemblée qui 
devait être libre entre toutes, parce qu'elle traite 
de ce qui toudhe de plus pïêô k la conscience, est 
au-dessous du dernier des parlements. Comment, 
devant une organisation semblable, ne pas se rap- 
peler €e mot d'un apôtre : € Là où e£(t l'esprit de 
Christ-, là est là libetté ? » 



CHAPITRE VI 



les' PRBMIÂRBS D]âOI8IONS DU COKCXLB. 



A vrai dire, il n'y a eu qu'une question grave au 
concile du Vatican : c'est celle de l'infaillibilité pa- 
pale. Elle absorbe toutes les autres, puis qu'une fois 
tranchée elle rend les délibérations ultérieures par- 
feitement inutiles. C'est pour en faciliter et en hâter 
la solution que les mesures destinées à restreindre 
la liberté du concile ont été aggravées, et que l'in- 
fluence personnelle de la papauté s'est exercée sans 
retenue. Aussi résumons-nous au chapitre de rin* 
faiUibiUté toutes les menées du parti ultramontain, 
bien qu'il en ait fait un constant usage dans toutes 
les délibérations, mais toujours en vue de sa ques- 
tion. On sait que le plan des directeurs du concile 
est de formuler toute la doctrine cathoUque en elle- 
même et dans ses appUcations sociales, en lui don- 
nant TinfaillibiUté du pape pour pivot. C'est une 
sorte de Somme ultramontaine que l'on veut faire 
* consacrer par les votes de l'assemblée. 



I 



— 220 — 

Les premiers canons débattus portaient sur la 
i, c'est-à-dire sur les bases'mêmea de la croyance. 
3 n'ont pas été votés tels qu'ils avaient été pré- 
tntés par la congrégation romaine chargée de les 
aborer sous une forme première ; ils respiraient le 
us sombre obscurantisme, et marquaient plus que 
î la défiance pour le savoir humain. Le protestan- 
3me y était très-sévèrement qualifié comme la 
>urce de toute erreur. En outre, ie catholicisme 
ait absolument identifié avec le romanisme. De 
pandes batailles ont été livrées sur ces trois 
Dints; elles ont eu pour principal avantage de 
ettre en lumière deux des évêques les plus émi- 
înts de la minorité, Mgr Haynald, évêque de 
ologne, et Mgr Strossmayer, qui a trouvé le 
oyen de faire de l'ambon du Vatican une retenu 
3sante tribime pour les droits de la pensée et de la 
inscience. Ces prélats hongrois et croates repré- 
ntent vraiment leur peuple et leur EgUse et savent 
l'ils seraient suivis au chemin de la résistance et 
is sacrifices. Tout le monde a entendu parler de la 
meuse séance où Strossmayer s'est vu outragé 
►ur s'être opposé à la flétrissure du protestantisme, 
tout prendre, il n'a gagné sur les points contestés 
le quelques adoucissements de forme. 
Les canons de la foi proclamés dans la séance 
iblique du dimanche 24 avril oflBrent en eux-mêmes 



~ 230 — 

fort peu dlmportance. Nouis ne comprenons pas 
Tadmiration qu'ils inspirent à des esprits distingués 
et libéraux tels que Tauteur de Tarticle du Corres- 
pondant du 10 mai ; à moins que dans la perspec- 
tive des canons déplorables des chapitres suivants, 
il ne se croie obligé d'exalter les seuls articles qui 
ne prêtent pas à l'indignation. Dans une œuvre 
détestable ce qui est moins mauvais parait presque 
bon. Tout d'abord la prétention de régler par voie 
d'autorité et d'anathèmes les questions du genre de 
celles que tranchent les canons de la foi^ est insou- 
tenable» On comprend qu'un concile décide les points 
. en litige entre catholiques, et détermine la croyance 
de ceux qui acceptent son autorité^ mais en face de 
la libre pensée qui ne lui reconnaît aucune compé- 
. tence, il ne s'agit pas de fulminer des excommuni- 
cations dont elle ne se soucie pas, puisqu'elle dé- 
daigne sa communion. Ces foudres ecclésiastiques 
font long feu et ne sont que des manifestations d'im- 
puissance. Elles avaient une réelle importance quand 
l'Eglise était reine et maîtresse dans Tordre tempord 
et possédait seule le droit d'enseigner comme aussi 
celui de réprimer et de châtier les révoltes de l'es- 
prit humain. Elle a beau ne pas avoir abandonné ces 
prétentions, il n'y a plus aujourd'hui un point 
dans le monde ou elle puisse s'en servir. Quand les 
anathèmes n'atteignent plus que la pensée, ils 



— 231 — 

inquiètent fort peu le penseur. Les condamna- 
tions lancées contre la philosophie contemporaine 
n'ont donc aucune espèce de portée; toute cette 
poudre n'est pas pour un combat sérieux, mais pour 
une espèce de feu d'artifice que le concile se donne 
à lui-même. 

Ce n'est pas tout pour rendre des jugements effi- 
caces que de dresser un tribunal ; encore faut-il que 
les deux parties qui i^e font la guerre consentent à 
paraître à la barre. Sinon on juge comme jugeait 
Perrin Dandin, en guise de passe-temps. Des deux 
adversaires entre lesquels le concile prétend décider 
et qui sont la foi soumise et la raison affranchie, un 
seul consent à comparaître ; malheureusement c'est 
celui qui déjà siège sur le tribunal du juge et se dé- 
cerne d'avance le triomphe. La raison et la science 
ne se dérangent même pas pour entendre l'arrêt ; 
aussi n'est-il qu'une vaine formalité. Quand donc 
l'Eglise comprendra-t-elle que dans les luttes de la 
pensée philosophique et religieuse elle ne peut être 
.puissante qu'en opposant argument à argument et 
que le domaine de la discussion commence là où finit 
celui de la foi docile ? Mêler aujourd'hui les ana- 
thèmes à l'apologie c'est renoncer à convaincre sans 
réussir à contraindre, c'est faire preuve d'une vio- 
lence sénile qui n'est que le regret impuissant et 
irrité de la force perdue. Un concile qui condamne 



— 232 ~ 

la libre science fait quelque chose d'aussi pratique 
que le parlement français s'amusant à voter des 
lois pour TAutriche ou l'Angleterre. 

Si nous considérons maintenant les canons de la 
foi en eux-mêmes, eu faisant abstraction des ana- 
thèmes, ils nous paraîtront de la dernière faiblesse ' 
au point de vue du fond. A part les affirmations 
générales sur la raison et la foi qui sont acceptées 
par toutes les communions chrétiennes, le concile 
s'est borné à formuler un supranaturalisme très- 
suranné. La raison et la foi sont pour lui deux 
provinces distinctes qui ont chacune leur juridiction; 
il n'y a pas trace dans ces canons de la grande 
apologie morale des pères d'Alexandrie, de Pascal 
ou de Vinet^ qui ne se contente pas de dire que les 
mystères du christianisme réclament des lumières 
surnaturelles, mais qui établit qu'entre ces mystères 
et les grands côtés de notre nature il y a de secrètes 
et puissantes affinités, que Dieu peut être sensible 
au cœur et que la foi est la vue supérieure de l'âme 
percevant réellement l'invisible. Tout ce grand et 
délicat problème de la certitude religieuse est tran- 
ché par quelques formules sans originalité ni pro- 
fondeur. En vérité, ce n'est pas la peine de pré- 
tendre à une assistance divine extraordinaire pour 
se tenir ainsi en arrière du mouvement apologétique 
le plus large et le plus fécond et se contenter de 



— 233 — 

ce qui traîne dans les rudiments de séminaires. 
Les pères du concile n'ont pas Tair de se douter 
qu'il y a une notion de révélation autrement grande 
et vraie que celle qu'ils nous présentent qui se ré- 
duit à la connaissance surnaturelle de mystères ab- 
solument impénétrables. La révélation considérée 
comme la manifestation effective de l'amour ré- 
dempteur dans une histoire divine ou plutôt dans 
une personne divine qui a pu dire : Je suis la vérité ! 
voilà le point de vue central et l'une des plus 
précieuses conquêtes de la théologie évangéKque 
contemporaine, qui Télève au-dessus de toute la 
scolastique du passé. On ne s'en préoccupe guère 
au Vatican. 

Sur deux points de première importance, le 
concile est tombé dans une lourde et dangereuse 
erreur. Il a proclamé d'abord la canonicité indiscu- 
table de tous les livres de la Vulgate, y compris les 
apocryphes de l'Ancien Testament, montrant ainsi 
que l'immense travail critique du dix-neuvième siècle 
est pour lui comme nul et non avenu, et stipulant 
qu'il n'est pas permis, par exemple, de donner raison 
à telle ou telle opinion d'un père du second ou du 
troisième siècle sur l'origine de l'évangile de Mat- 
thieu ou sur l'auteur de l'épître aux Hébreux. 
L'Eglise cathoUque est ainsi de nouveau empêchée 
de prendre part à l'une des tâch :3 principales de la 



— 234 — 

science chrétienne à notre époque-, qui consiste à 
sauvegarder le vrai canon des saintes Ecritures par 
ses libres et consciencieuses recherclies. Quelle 
confiance peut-on avoir dans la théologie catholique 
sur les points controversés par le rationalisme comme 
l'authenticité du quatrième évangile? L'examen 
même lui a été interdit, puisqu'elle doit tout accep- 
ter en bloc. Que de forces précieuses seront ainâ 
perdues et stérilisées de par le concile? 

Il s*est mis dans une situation bien plus fâcheuse 
encore par son canon sur les rapports de la science 
et de l'Eglise, qui est ainsi conçu : « Si quelqu'un 
dit que les sciences humaines doivent être traitées 
avec une telle liberté que l'on puisse tenir pour 
vraies leurs assertions, quand même elles seraient 
contraires à la doctrine révélée ou que l'Eglise ne 
peut les proscrire, qu'il soit anathème. > Ces mots 
ne signifient rien ou ils impliquent que la science, 
de quelque nom qu'elle 9'appelle, doit se soumettre 
à l'orthodoxie, qu'il y a par conséquent une chimie, 
une physique orthodoxes, et que l'Eglise a le droit 
de leur imposer ses conclusions. Vraiment, le mo- 
ment est bien choisi par les successeurs des juges 
qui ont condamné Galilée pour jeter ce défi à la 
science! C'est vouloir créer à plaisir des conflits 
périlleux en soulevant des questions de foi là où elles 
n'ont que faire. Dieu n'a révélé que ce que l'homme 



— 235 — 

.'D6|)ent pas découvrir; la science appartient sans 

^réserve à Tinvestigation. Rien n'est plus dangereux 

que de mêler deux domaines qui doivent demeurer 

distincts. Ce seul canon suffit pour révéler la funeste 

prépondérance des exagérés dahs le concile, car il 

n'a certainement passé que malgré les plus vives 

•résistances des évêques libéraux. On nous dit bien 

i qu'ils ont obtenu d'heureuses modifications dans la 

.rédaction du chapitre de la foi, que le texte primitif 

était hérissé de bien autres absurdités. Nous n'en 

•doutons pas; mais ce qui reste est bien suffisant. 

Nous retrouvons au début du chapitre de fide pro- 

i fcablement avec quelques adoucissements le fameux 

i morceau, contre la Réformation dont on a fait tant 

de bruit ; elle y est présentée comme la boîte de 

Pandore, d'où ôOilt sorties toutes les impiétés. La 

désignation d'Eglise cathoUque-apùstoUque-romaine 

avait soulevé un orage, parce que la dernière épi- 

. thète semblait englober les autres jusqu'à ce qu'une 

• bienheureuse virgule ait empêché cette absorption, 
. du moins dans la phrase susdite. Mais c'est surtout 

* pour le dernier paragraphe du chapitre que les évê- 
'■■ ques opposants avaient réservé leurs plus vives ré- 
: eistances. Il faut le citer textuellement pour en 
. comprendre la gravité : c Nous avertissons tous les 
^ (Chrétiens qu'ils ont le devoir d'observer les consti- 
tutions et les décrets par lesquels le saint-siége a 



— 236 --. 

proscrit et condamné les opinions perverses de ce 
genre qui ne sont pas énumérées ici tout au long. > 
Cette conclusion du chapitre ôte toute valeur aux 
atténuations bien légères que Ton avait obtenues 
dans le cours de la discussion. En se référant aux 
décisions passées et futures des congrégations ro- 
maines, ce paragraphe livre à leur bigotisme Tap- 
préciation de toutes les questions doctrinales et 
sanctionne d'avance leurs jugements les plus étroits. 
L'index romain ressort triomphant de cette grande 
délibération. Mais ce qui triomphe surtout, c'est le 
pouvoir doctrinal du saint-père. Son infaiUibilité 

• 

est ainsi statuée d'une manière indirecte dans le 

« 

chapitre où Ton pouvait le moins, songer à son 
apparition. 

Nous savons par la Gazette d'Augsbourg que cet 
article a soulevé une vive opposition quand il a été 
lu pour la première fois. Le cardinal-légat, pour 
éviter de compromettre le chapitre tout entier, en a 
fait voter l'ensemble, sauf la conclusion, en pro- 
mettant un débat approfondi. Ce débat n'a pas eu 
lieu, sous prétexte que le temps manquait. Les 
évêques libéraux n'ont pas insisté ; quatre-vingt-trois 
ont marqué leur opposition au vote préliminaire; 
mais la peur du scandale les a ramenés tous, sauf 
Strossmayer absent, à l'unanimité du placet. Us ont 
ajourné le courage au chapitre de JEcclesia^ — 



— 237 — 

c'était un mauvais calcul; comme ils ont pu s'en 
convaincre le soir même du jour de la session 
publique, car ils apprenaient avec stupeur qu'un 
tour de faveur était accordé au schéma de Tinfailli- 
bilité et que la cause de l'inopportunité était irré- 
vocablement perdue* 



CHAPITRE VII 



LA. DISCUSSION DE L*INFAILLIBILITé DU PAPB. AKJ CONOILB 
ET EN DEHORS DU CONCII4E. 



On ne saurait exagérer Timportance du débat 
sur rinfaillibilité. Essayons d'ouvrir sous tous les 
yeux le dossier du grand procès qui s'est plaidé 
sous les voûtes de Saint-Pierre. Nous ne sommes 
pas réduits pour suivre la discussion à nous con- 
tenter des relations incomplètes de la presse eu- 
ropéenne sur ce qui s'est passé dans Tenceinte même 
de la basilique papale. En effet, en dehors et à côté 
du concile à huis clos^ s'en tient un autre, bruyant, 
passionné, qui agite les mêmes questions, et où figu- 
rent les principaux pères siégeant au Vatican, 

Ce grave débat, qui laissera l'Eglise profondément 
déchirée, ne nous révèle pas seulement la situation des 
partis, il nous renseigne encore sur leurs procédés de 
discussion, sur leur méthode d'argumentatioUi Nous 
apprenons de quelle manière les systèmes d'autorité 
poussés à outrance façonnent Tesprit humain, en le 
pétrissant à leur image, et comment Us lui impri- 



- 230 — 

ment une déviation incurable ; ils le traitent à peu 
près comme les gymnastes traitent le corps de l'en- 
fant qu'ils veulent dresser à une voltige monstrueuse. 
N"ous pouvons saisir sur le fait cette grâce d'état qui 
permet aux éminences et aux révérendissimes de 
l'ultramontanisme de déraisonner sans mesure, et 
aussi d'outrager à leur aise avec des formules sacrées 
Les nobles et généreux esprits qui leur résistent. 

Cette littérature dévote qui mêle si artificieuse- 
ment la douceur à l'amertume nous rappelle l'art 
si cultivé au seizième siècle d'empoisonner avec des 
confitures. D est bon que ces vénérables personnes 
qui s'imaginent ijue parce qu'elles sontmitrées elles 
peuvent en prendre à leur aise avec la raison, le bon 
sens et la conscience, sachent qu'elles ont à compter 
avec un autre aréopage que celui des confréries et 
des canonicats. La société laïque qui ne connaît pas 
plus deux logiques que deux morales se constitue 
spontanément juge du débat, et son appréciation 
pour n'être pas enveloppée d'anathèmes n'en est pas 
moins redoutable. On raconte qu'au dernier siècle 
Tambassadeur de Danemark en France disait à un 
dignitaire de l'ordre du Saint-Esprit qui lui en avait 
décrit pompeusement les privilèges : « Notre Saint- 
Esprit à nous est im éléphant. » Cette allusion au pre- 
mier des ordres danois nous revient en mémoire en 
entendant les coryphées de l'ultramontanisme mettre 



— 240 — 

leurs diatribes ou leurs absurdités sous la protection 
de TEsprit-Saint. On leur dirait volontiers : Nous 
ne savons ce qu'est votre Saint-Esprit, mais à coup 
sûr il n'est pas celui qui parlait par les apôtres et 
les prophètes et qui était un esprit de lumière et de 
liberté. 

La France a un intérêt particulier dans les cir- 
constances actuelles à se faire ime juste idée de l'é- 
ducation que l'école ultramontaine donne à Tintelli- 
gence. Nous sommes de ceux qui souhaitent que la 
liberté de renseignement supérieur soit franchement 
proclamée, sous la réserve des examens profession- 
nels exigés à l'entrée des grandes carrières publi- 
ques. Mais notre amour pour la liberté de l'ensei- 
gnement n'implique pas que nous souhaitions de voir 
la jeunesse française formée par les docteurs du 
Syllahus* Nous ne voulons invoquer contre eux au- 
cune défense légale ; c'est à eux que nous deman- 
derons de nous préserver d'eux-mêmes, car il suffit 
de les laisser parler tout haut sur une question qui 
les émeut, pour inspirer au pays de Descartes et de 
Pascal un légitime éloignement pour leurs métho- 
des et pour leur science. Il serait vraiment dommage 
de perdre cette occasion de les juger. Il importe 
d'ailleurs même à ceux qui sont placés à un point de 
vue plus large que les catholiques libérau:: si vio- 
lemment attaqués aujourd'hui, de venger en leur 



— 24! — 

personne la loyauté et le courage, mis au service 
d'une cause qui est bien celle de la liberté dans les 
limites restreintes où ils s'enferment. Si le catholi- 
cisme peut être sauvé, c'est par eux. 



I. 



Nous possédons déjà toute une littérature sur la 
question de l'infaillibilité du pape. Rien ne serait plus 
fastidieux que d'en donner ime analyse complète ; 
car d'im opuscule à l'autre les répétitions sont nom- 
breuses. Nous nous bornerons à marquer les phases 
principales du débat et à caractériser les chefs de 
file, en nous concentrant sur quelques points précis 
qui sont da part et d'autre la clef de la position. Ces 
points dogmatiques et historiques sont dans la grande 
bataille de l'infaillibilité ce qu'était la Haie-Sainte à 
Waterloo. Ils sont l'objet des plus vives attaques 
comme de la résistance la plus acharnée. 

Nous, ne nous arrêterons pas longtemps sur le 

combat d'avant-garde qui a été livré sur la question 

- de l'opportunité d'une définition de l'infaillibilité 

pontificale, parce quel'ultramontanisme a eu promp- 

tement raison de ses adversaires sur cette question 

* 

préliminaire. A vrai dire l'illusion était difficile ; 
dans l'état des choses et des esprits, le concile n'a- 
vait pas d'autre but que d'abordei* ce grave pro- 



— 242 — 

blême. Le convoquer à grand fracas pour Téçarter, 
c'eût été le réduire à néant : supposez les machines 
hydrauliques de Versailles un jour de grandes eaux 
tournant à vide, telle eût été la solennelle repré- 
sentation du Vatican si elle eût renoncé à traiter la 
seule question capitale qui fût posée devant la 
catholicité. Cependant un effort sérieux a été tenté 
dans ce sens par les gallicans. Les évêques allemands 
aussitôt après leur grave manifeste de Fulda en- 
voyèrent au pape une supplique qui n'a pas été livrée 
à la publicité, pour lui demander d'éloigner ce bran- 
don de. discorde des délibérations du concile. L'évê- 
que d'Orléans s'est montré moins prudent dans sa 
première lettre pastorale Mressée à son clergé. Son 
argumentation toujours très-respectueuse dans la 
forme est vive et pressante. Voici les principaux mo- 
tifs qu'il fait valoir en faveur de son opinion (1). C'est 
d'après lui une chose grave et périlleuse que de pro- 
clçimer comme un dogme qu'il faudra adopter sous 
peipe de damnation l'infaillibilité du saint-père sé- 
parément, indépendamment de l'épiscopat. L'Eglise 
s'est passée de ce dogme pendant dix-huit siècles, 
de l'aveu même de ceux qui le réclament, puis(Ju'ils 
le réclament et en attendent des merveilles. Eien 



(1) Lettre de Mgr tévêque d'Orléans au clergé de son diocèse 
relativement à la définition de VlmmaouUe Conception aupro- 
chain concile. 1869. 



— «43 — 

n'est plus délicat que de scruter les origines des 
pouvoirs dans tous les domaines, c Quand le chêne 
est vingt fois séculaire, creuser pour chercher le 
gland originaire, sous ses racines, c'est vouloir 
ébranler l'arbre entier. » Qu'on imite la sage pru- 
dence du concile de Trente qui a reculé devant une 
définition dangereuse ! La définition ne serait pas 
seulement compromettante pour la paix du dedans, 
elle compromettrait la situation de l'Eglise dans le 
monde. Il est certain qu'elle augmenterait singu- 
lièrement les difficultés de la réconciliation avec les 
grandes Eglises schismatiques d'Orient et d'Occi- 
dent, qui s'arrêteraient devant l'infailUbilité ponti- 
ficale comme devant une barrière insurmontable. 
N'est-ce rien que d'empêcher à jamais une réunion 
désirée? La définition inspirerait les plus vives 
alarmes aux gouvernements modernes, qui seraient 
obligés d'accorder une valeur toute nouvelle aux 
antiques prétentions de la papauté de subordonner 
le pouvoir civil à son autorité. Oubhant les belles 
choses qu'il a découvertes dans le Syllahm lors de 
son apparition et qu'il a recommandées à notre ad- 
miration dans sa trop fameuse apologie de ce docu- 
ment, l'évêque d'Orléans cite la fameuse bulle de 
Boniface VIII et celle de Paul III contre Henri VIII, 
qui au fond ne sont pas pires que l'encychque de 
1864. Après ces raisons poKtiques qui font sourire 



— 244 — 

de pitié les docteurs du Oesit comme empruntées aui 
viles considérations humaines, — comme si la pré- 
tention ultramontaine de mettre le pouvoir civil au 
service du pouvoir spirituel n'était pas la plus vile 
des considérations humaines et la plus contraire à la 
foi véritable, — l'éloquent évêque invoque les dif- 
ficultés de la question considérée en elle-même. 
Nous ne le suivrons pas dans ces considérations qui 
abordent le fond du débat, car il a beau déclarer 
qu'il ne veut pas s'occuper de l'infaillibilité, mais 
seulement de l'opportunité, il traite de l'une et de 
l'autre. — Opposer à l'opportunité les difficultés 
historiques et religieuses de l'infaillibilité, c'est 
prendre position d'une façon très-nette ; on Ta bien 
compris ainsi. L'évêque d'Orléans n'a rien gagné 
à ses ménagements sur le fond et on lui a sévère- 
ment appliqué le mot de l'Evangile : Qui n'est pas 
avec nous est contre nous. 

La lettre pastorale de Mgr Manning était une 
réponse anticipée à l'argumentation de l'évêque 
d'Orléans contre l'opportuidté. Que parlez-vous de 
schismatiques à réconcilier ? répond le prélat anglais. 
C'est par une attitude énergique que l'Eglise re- 
trouvera son ascendant. Il est bien plus important 
d'écraser le gallicanisme cent fois pire que l'angli- 
canisme, que de gagner quelques réfractaires ; mieux 
vaut l'ennemi déclaré que le traître dans la place. 



— 245 — 

La mission providentielle du concile est d'en finir 
avec cette hérésie opiniâtre. Il coupera court de la 
sorte à toutes les révoltes plus ou moins latentes. — 
Arrière toute vaine diplomatie ! L'habileté est de 
mise dans la politique terrestre, les hommes du ciel 
n'ont pas à se soucier d'une prudence énervante. 
Qu'importe ce que pensent les gouvernements mo- 
dernes ? Il faut leur apprendre leur devoir qui est 
la soumission à l'Eglise. C'est là im principe absolu 
qu'il n'est pas permis de voiler, même quand on ne 
peut en presser l'appHcation immédiate. Le Sylldbus 
est la charte d'ime société chrétienne. En refusant 
de proclamer l'infaillibihté, le concile lui ôterait sa 
valeur divine, et donnerait à penser qu'il est permis 
de régler d'une façon différente les relations de 
l'Etat et de l'Eglise. Plus la société moderne s'é- 
loigne de ces principes, plus il faut les revêtir d'une 
sanction divine. Mgr Manning passe aussi de la 
question d'opportunité à celle de l'infaillibihté, mais 
ilr nous permettra de ne pas accorder grande im- 
portance à son argumentation tranchante et rapide 
qui ne serre ni im texte ni une objection et marche 
au triomphe avant d'avoir combattu. Cet homme de 
foi a le plus parfait dédain pour la science; in- 
voquer des faits précis, des traditions sûres, c'est 
selon lui rabaisser le débat, le faire traîner dans les 
arguties d'écoles. Il plane au-dessus de ces misères 

14. 



— 246 — 

dans les sérénités de raffirmation tranchante et des 
opinions de parti pria. Qu'il y reste !. Nous ne l'y 
suivrons pas! 

Le prélat anglais redescend sur la terre ferme 
d'une façon assez adroite, suivi dans cette évolution 
par tous les opportunistes, quand il tourne en ar- 
gument l'objection de ses adversaires. Quoi ! vous 
prétendez, leur dit-il, qu'il n'est pas opportun de 
définir l'infaillibilité.- Mais cela est d'autant plus 
opportun que vous résistez à cette définition! Plus 
vous entassez les difficultés historiques ou au- 
tres, plus vous démontrez qu'il ne faut pas laisser 
l'Église languir dans l'incertitude. Vos murmures ' 
lui font un devoir d'élever sa grande voix pour y 
mettre fin. On pourrait prétendre que la définition 
est inutile, si elle n'était pas contestée, mais elle est 
urgente précisément parce qu'elle est combattue. 
C'est ainsi que la minorité, par son existence seule 
doit pousser la majorité à lui imposer silence. 
L'argument est ingénieux ; c'est celui qui jusqu'ici 
a le mieux réussi. 

La discussion de l'opportimité n'a pas été longue. 

Mgr l'évêque d'Orléans a pu s'en convaincre dès 

qu'il a franchi l'enceinte du concile. C'est en vain 

qu'avant de se mettre en route il exprimait sa 

. confiance en des termes presque lyriques : « A peine 

, aurai-je touché la terre sacrée, écrivait-il, à peine 



— 247 — 

auraî-je baisé le tombeau des apôtres, que je mé 
sentirai dans la paix hors de la bataille, au sein 
d'une assemblée présidée par un père et composée de 
frères. » Qu'en pense-t-il aujourd'hui ? Sur un point 
on a essayé de réaliser son vœu en brisant dans ses 
mains l'arme de la publicité, dont il ne voulait user 
que pour répondre à ses adversaires. On a cherché 
à lui procurer ainsi une sérénité qu'il ne demandait 
pas. L'amour fraternel lui réservait à Rome plus 
d'une surprise ; il ne s'attendait certes pas à l'efifti- 
sion si touchante de son frère de Laval, qui déclarait 
dans une lettre publique qu'il aimerait mieux tomber 
Doiort que d'avoir écrit ses lettres. Quant au père 
des fidèles, nous verrons plus tard ce qu'a, été &a 
tendresse pour ses fils gallicans. 

L'échec de Mgr d'Orléans a été complet sur la 
question de l'opportunité, àajoxir oiilepostulatum 
ies infaiUibilistes a été accepté. 

Battu sur ce point, le parti modéré a soulevé 
un nouveau débat préhminaire sur le mode des dé- 
libérations du concile. Il eût voulu, d'une part, ob- 
tenir plus de latitude pour le débat, et, de l'autre, 
faire adopter le principe de l'unanimité morale pour . 
les décisions dogmatiques. Il eût ainsi diminué et 
iésarmé la majorité sur la question de l'infaiUibi- 
lité pontificale. Ni l'un ni l'autre résultat n'ont été 
obtenus. Un nouveau règlement aggravant le pre- 



— 248 — # 

mier, qui avait soulevé déjà tant d'objections, a été 
imposé d'office au concile, c Sa Sainteté, lisons- 
nous dans le bref du 20 février, a résolu, dans sa 
sollicitude apostolique, de donner certaines règles 
particulières pour les discussions des congrégations 
générales, afin que ces règles, tout en laissant en- 
tière une liberté de discussion qui convienne aux 
évêques de l'EgUse catholique, permettent de faire 
plus pleinement et plus promptement l'examen, b 
discussion et la délibération des questions propo- 
sées. 2> Il faut probablement entendre par la liberté 
du concile son afifranchissement des lenteurs d'un 
débat sérieux ; ce qui revient à le libérer de sa propw ^^ 
liberté. On peut être assuré que dans la langue artifr 
cieuse de la curie romaine le mot de liberté signifo 
toujours servitude. En effet, le saint-père, ému de p* 
tié pour la fatigue et les scandales qu'éprouvent les 
bien-pensants en entendant le mâle langage d'iffl 
Strossmayer, d'un Haynald ou de tel évêque fran- 
çais, remplace la discussion orale par la paperasse. 
Les amendements sur les schemata ou canons pro- 
posés doivent être eiivoyés aux commissions spé- 
ciales, qui présenteront un rapport sommaire soi 
leur ensemble. Une part léonine est faite dans la 
discussion aux évêques chargés de défendre l'opi- 
nion de l'une des grandes commissions; ils od^ 
droit à la parole immédiatement après chaque op- 



i 

d 

il 



\ 



— 249 — 

K)sant. Le cardinal-président peut toujours rappe- 
er à la question Torateur. Enfin, il suffit d'une de- 
mande signée par dix pères pour obtenir que la 
îlôture soit mise aux voix. 

Ce monstreux règlement suffirait à lui seul pour 
réduire le concile à n'être plus que Tantichambre du 
Vatican. On sait quelle protestation indignée et 
énergique il a inspirée à Dœllinger (1). Il y voit la 
violation flagrante de toutes les règles auxquelles 
)ii peut reconnaître un concile, qui n'est rien s'il 
l'est pas une vraie représentation de l'Eglise uni- 
verselle. « Tous les théologiens, dit-il, exigent 
omme condition essentielle de l'œcuménicité d'im 
oncile, qu'il y règne une pleine liberté de parole 
omme de vote. Or, le nouveau règlement, prenant 
a contre-pied des parlements politiques, a tout dis- 
posé pour que la majorité soit protégée contre la 
linorité. Il traite celle-ci comme l'esprit malin qu'il 
lut étouffer le plus rapidement et le plus sûrement 
'ossible. Il n'a qu'un but, c'est d'assurer dans le 
lus bref délai le triomphe de la majorité, d C'est 
ur ce point que Dœllinger fait porter tout le nerf 
e son argumentation. Le droit dés majorités est à 
a place dans les assemblées politiques qui n'ont 
oint la prétention de donner des décisions abso- 
les, liant im pays pour toujours. Ce qu'une légis- 

(1) Gazette d'Augsbourg du 12 mars 1870. 



— 250 — . 

ature a décidé peut être modifié parla suivante. H 
n'en est pas de même d'un concile qui formule le 
dog^me, c'est-à-dire ce qui doit être la vérité absolue 
et ne peut être soumis à révision. Aussi les évê- 
ques n'ont-ils pas à le décréter comme s'il devait 
sortir de leurs délibérations, mais seulement à le 
constater, à le dégager de la tradition universelle. 
Or, l'unanimité morale des évêques est le seul 
moyen d'établir cette universalité de la tradition, 
surtout quand elle a été précédée d'une enquête 
consciencieuse et libre. Substituer à cette méthode, 
toujours suivie depuis qu'il y a des conciles, des 
coups d'autorité et de majorité, pour formuler un 
dogme longtemps repoussé dans l'Eglise, et quia 
contre lui un nombre important des témoins de la 
foi, c'est bouleverser toute l'ancienne constitution 
de la foi religieuse, et autoriser par conséquent 
toutes les revendications. L'Eglise qui est, aprW 
tout, juge en dernier ressort, serait en droit de ne 
pas reconnaître un concile dans une assemblée usu^ 
patrice. On comprend la portée pour l'avenir de la 
déclaration de Dœllinger. Il a4)ris ses conclusions, 
qui sont des précautions fort sages, au nom de tout 
le catholicisme libéral (1). 



(1) Une brochure très-bien faite sur V unanimité morale a éti 
d'abord publiée en latin à Naples, puis traduite en français. Elte 
a paru chez Dounioh 



^ 851 — 

Le nouveau règlement n'en a pas moins été ap- 
pKqué sans retard. La minorité est livrée au bon 
plaisir de la majorité, qui lui impose silence à son 
gré, et la théorie de Tunanimité morale est écartée 
avec dédain. C'est ainsi qu'on fait du parlementa- 
risme pour trancher les questions au plus vite, tan- 
dis qu'on repousse audacieusement toutes les règles 
|)rotectrices de la liberté du débat. Le concile est 
un parlement comme un autre, dit le parti ultra- 
montain; quand il s'agit de voter, la majorité suffit. 
Mais il n'en «st pas moins une assemblée céleste 
affranchie de toutes les dispositions ordinaires, 
quand il s'agit de discuter. — Ce qu'il y a de plus 
grave en tout ceci, c'est la tentative de régler la 
foi par des coups de vote. Dans le domaine de l'ab- 
solu, un tel procédé est aussi grossier que stérile, et 
même ridicule. Quand on prétend non pas simplement 
exprimer sa croyance, sous la réserve de l'examen et 
avec le contrôle d'une autorité supérieure auquel 
chacun peut recourir, mais formuler la foi du genre 
humain, en lisant dans la pensée même de Dieu, 
alors il faut se mouvoir en plein surnaturel ; il faut 
sentir planer sur soi les langues de feu de la Pen- 
tecôte, et la résolution conciliaire doit être un una- 
nime entraînement. Tout change si, au lieu de cette 
méthode transcendante et divine de l'illimiination 
finale, nous avons un mécanisme parlementaire et 



' •— 252 — 

un mécanisme des plus médiocres. On aura beau 
se récrier, la fixation, par un scrutin de division, 
d'une doctrine de laquelle dépend le salut étemel, 
paraîtra toujours une fiction pitoyable. Tertullien 
disait, avec son âpre ironie, aux autorités romai- 
nes de son temps : « Qu'est-ce que ce Dieu qui ne 
peut être Dieu que par la permission du sénat? > 
On peut dire aux autorités romaines du jour: 
a: Qu'est-ce qu'une vérité qui ne peut être vérité 
que par la permission d'un sénat qui délibère comme 
tous les sénats du monde, avec la liberté et la di- 
gnité que l'on connaît à ce genre d'assemblées? > 
Nous avons insisté sur cette question des décisions 
dogmatiques à coups de majorité, parce qu'elle est 
la plus grave de celles qui se sont posées devant le 
concile, et qu'elle est grosse pour l'avenir des plus 
redoutables orages. Au reste, les pères delà majorité 
ont un moyen commode de couper court aux réclama- 
tions et aux inquiétudes de leurs adversaires : « De 
quoi vous plaignez-vous? s'écrient-ils. Que redoutez- 
vous? Ne savez-vous pas que tous ensemble nous 
avons le Saint-Esprit. » C'est ainsi qu'on renvoie les 
opposants éperdus et infaillibles. Ils pensent sans 
doute qu'un grain de raison et de justice chez leurs 
adversaires ferait mieux leur affaire. Il en est plus 
d'un qui pourrait répondre : « Ma part d'inspira- 
tion me pèse. » N'est-ce pas au nom de cette di- 



— 253 — 

gnîté divine et surnaturelle du concile qu'on y foule 
aux pieds tous les droits et toutes les libertés? Il 
vaudrait mieux dépendre d'une assemblée primaii^e 
des plus timiultueuses que d'une réunion des pères 
de la foi. Dieu nous préserve des cénacles ! 
Mgr Strossmayer en sait quelque chose! 



II. 



Le parti modéré a donc été vaincu, aussi bien sur 
la question des votes que sur celle de Topportunité 
de proclamer Tinfaillibilité du saint-père. Reste la 
question de fond qui a été suffisamment traitée en 
dehors du concile pour que le débat intérieur, mené 
comme il Test, n'ait rien à nous apprendre/La dis- 
cussion a été infiniment plus libre par écrit qu'à 
huis clos. S'il suffisait de dix évêques pour l'arrê- 
ter, elle serait terminée depuis longtemps ; heureu- 
sement, les bons pères ne font que ce qu'ils peuvent, 
et ils n'ont pas encore réussi à bâillonner tout à fait 
la presse. Ce n'est, que dans la Rome du concile 
qu'ils pouvaient ce qu'ils voulaient. Profitons de 
leur impuissance hors de la ville sainte pour suivre 
dans ses péripéties diverses ce débat si important ef 
si passionné. Rien ne nous fera mieux apprécier 
toute' la gravité de l'acte insensé que les jésuiteg 
ont obtenu. J'entendais dire à Rome même que 

J5 



si la papauté les. a supprimés dans un jour de sa- 
gesse, ils travaillaient consciencieusement à lui ren- 
dre plus que la pareille, en la poussant h sa perte. 
Jamais ces religieux implacables né se sont mieux 
Vengés du saint-siége que le jour où ils ont obtenu 
la fameuse définition. 

Exposons d'abord le débat dans ce qu'il a de plus 
général, puis nous signalerons les points particu- 
liers qui ont soulevé les contestations les plus vi- 
ves. Du côté des opposants h l'infaillibilité, nous 
citerons eii première ligne le livre si grave et si so- 
lide de Tabbé Marel, qui, sauf «^ la question de la 
périodicité des conciles, me semble exprimer parfid- 
tement ropînion des grands et savàntô évêque» de 
la minorité. L*abbé Maret évite avec soin toute vi- 
vante dé polémique ; il se reïuse iaême plus d'un 
ïtvantage sur ses adversaires en n'effleurant pas ^i^ 
ritaûte discussion des felsiÔcations Humaines. Il 
abonde en paroles respectueuses sur la primauté 
du pape ; il admet l'indéfectibilité du siège de Rome, 
«ans Vouloir qu'on la rattache à la personne de ce- 
lui qui l'occupe; un pape pistrticulier peut faillir, 
mais son erreur d'un jour est promptem^nt répu- 
diée par la papauté elle-même, et ainsi l'institution 
n'est pas <H)mpromise, à la condition cependant 
qu'elle ne s'isole pas de l'épiscopat. L'infaillibilité 
implique l'union de la tête et des membres dans le 



— «5S — 

corps mystique de l'Eglise ; dès qu'Us se séparent, 
la garantie n'existe plus. C*est dans ce mélange d'a- 
ristocratie et de monarchie que l'abbé Marét trouve 
la perfection de là société religieuse. La partie la 
plus faible de son livre est celle qui est consacrée au 
développement théologîque et exégétîque de sa 
thèse. Ses ménagements infinis pour la papauté 
l'empêchent de formuler assez nettement sa pensée. 
Xà où il excelle, c'est dans la démonstration histo- 
rique; il établit de la façon la plus claire, pièces en 
ïnain, à quel point l'idée de Tinfeillibilité séparée 
du pape a été étrangère à tous les grands conciles 
œcuméniques ; il n'est pas possible de répondre sé- 
rieusement aux textes qu'il produit. Evitant lapo- 
liémique passionnée de Janus^ il arrive au même 
réstdtat et montre comment, dans toutes les discus- 
Bions dogmatiques, le dernier mot, le mot décisif a 
toujours appartenu au concile; comment les évo- 
ques, bien que de plus en plus déférents pour le 
BÎége de Bome, ne se sont pas fait faute d'exercer, 
même à son égard, leur rôle de juges de la doc- 
trine, témoin le sixième concile de Constantinople 
qui a condamné Honorius, et le septième, qui dit 
de la lettre du pape Adrien : « Nous avons ap- 
prouvé sa doctrine après l'avoir examinée nous- 
ïnêmes avec le plus grand soin, et en approfondis- 
sant les Ecritures. Nous sommes d'accord avec sa 



— 256 — 

lettre, et nous la confirmons. > L'abbé Maret ne se 
contente pas d'un résumé rapide; il s'arrête aux 
points délicats tels que l'çiffaire d'Hônorius, le con- 
cile de Constance et celui de Florence. Sa discus- 
sion est aussi modérée que loyale. — Mais sa con- 
clusion n'en est pas moins très-nette : la doctrine 
de l'infaillibilité séparée du saint-père est pour lui 
non-seulement un attentat au droit des évêques, 
absorbé désormais dans un absolutisme irresponsa- 
ble ; elle est encore un démenti donné à l'histoire et 
à la tradition, une innovation qui bouleverse toutes 
les règles de la foi catholique, sans compter qu'elle 
entraîne nécessairement l'absurdité d'ime infaillibi- 
lité toute personnelle chez un homme que Textraïa- 
gance elle-même n'oserait proclamer impeccable. 
Ce livre considérable restera comme une barrière 
difficile à franchir pour les évêques opposants 
qui veulent se soumettre après coup au nouveau 
dogme. Fruit d'une longile réflexion et de vastes 
études, il est l'écho d'une tradition respectable en- 
tre toutes dans l'Eglise catholique. Qu'il y ait ou 
non des protestations après le vote, l'abbé Maret a 
pris une position inexpugnable; à moins qu'on n'a- 
néantisse son livre, il restera debout comme ces té- 
moins incommodes de la vérité qui disent le mot di 
prophète aux puissances usurpatrices : Il ne tesl 
pas permis de faire ceci. 



— 257 — 

C'est encore Dœllinger qui a prononcé le mot dé- 
cisif dans le débat, au nom de la partie libérale du 
catholicisme allemand et hongrois. Les Considéra- 
tions proposées aux évêques du concile sur la qîces- 
tion de V infaillibilité du pape présentent, sous une 
forme vive et pressante, toutes les objections de la 
raison chrétienne contre le nouveau dogme. Il vaut 
la peine d'en donner un résumé succinct. 

L'Eghse, dans les siècles passés, a toujours re- 
poussé les nouveautés ; elle s'est considérée comme 
la gardienne de la doctrine, et elle a pensé qu'ilne 
lui est pas plus possible de l'enrichir que de la di- 
minuer. Toute doctrine qui ne fait pas partie de ce 
dépôt sacré, ou qui ne découle pas logiquement et 
naturellement des doctrines vraiment primitives, 
€ porte au front la flétrissure de l'illégitimité ! » 
Qu'on juge l'infaillibilité papale d'après cette règle 
indubitable ! L'Eglise d'Orient, qui a convoqué tous 
les grands conciles et créé la httérature ecclésias- 
tique, l'a ignorée; jamais une voix ne s'est fait en- 
tendre dans son sein qui attribuât au pape l'infailli- 
bilité dogmatique . Qu' on produise un seul témoignage 
authentique, irrécusable, remontant aux douze pre- 
miers siècles de l'Eglise d'Occident, on ne le trou- 
vera pas ; tandis que les textes en faveur de l'opi- 
nion contraire sont nombreux et péremptoires. On 
cite, en le tronquant, un passage d'Irénée qui ren- 



— 258 — 

voie à l'Eglise de Rome comme à la source princi- 
pale d'informations, et on oublie de dire qu'il ne la 
cite qu'à titre d'Eglise fondée par deux apôtres, et 
parce qu'elle est l'Eglise apostolique la plus voisine 
des Gaules ; on oublie surtout de rappeler que ce 
même Irénée a résisté ouvertement à Tévêque de 
Rome, quand celui-ci a voulu imposer son opinion 
sur la célébration de la Pâque aux évêques d'Asie 
Mineure. Où était l'infaillibilité papale, quand Cy- 
prien opposait ses synodes d'Afrique aux synodes 
romains sur la question du baptême des hérétiques? 
Où était-elle, quand le concile de Nicée prenait les 
plus graves résolutions doctrinales sans les soumet 
tre aux confirmations papales, ou bien quand le 
pape et ses légats brillaient par leur absence au se- 
cond concile de Constantinople, en 381 ? Où était-eUe, 
quand le concile de Chalcédoine soumettait à un 
libre examen la lettre de saint Léon à Flavien, ou 
quand le sixième concile condamnait la lettre d'Ho- 
norius? Où était-elle, quand le pape Siricius s'excu- • 
sait de formuler une décision sur une question dog- 
matique contestée? D'ailleurs, il y a ici plus que 
des textes particuliers ; il y a lé mouvement général 
de la pensée religieuse à cette époque. Jamais la 
lutte contre l'hérésie n'a été aussi ardente et aussi 
périlleuse que dans les premiers siècles du christia- 
nisme. N'est-il pas évident que si Ton eût possédé 



— Î89 — 

d»ns rinftallibilité p^ipale uu moyen rapide et com- 
mode d'écraser Terreur d'un coup ou d'un mot, on y 
eût eu recours, ou du moins ou T^ùtinvoquée comme 
juge suprême du débat? Or, rieu de pareil ne s'est 
jamais produit. Dans les trois premiers siècles, on 
n'a usé que de la libre discussion, et les synodes 
n'étaient convoqués par les évêques que pour s'en*- 
tendre entre eux» — Dans l'âge suivant, ou a porté 
toutes les grandes afiaires de la religion devant les 
conciles cecuméniques. Permis au cardinal Qrsi d'ap* 
peler leur convocation \jax/raca& inutiU. Ce fracas 
était, en effet, très-inutile au point de vue de Tin* 
faillibilité pontificale, — et il suffit & prouver que 
personne n'y songeait. Il s'ensuit que pour trouver 
l'infaillibilité papale, il faut remonter à ces docu-^ 
ments apocryphes qui lui impriment la barre delà 
bâtardise dans la sphère de la pensée, ou bienii ces 
conciles d'antichambre qui ont été tenus à Latran, 
La vraie doctrine, celle qui était le legs d'im passé 
sacré, a été formulée à Constance, et l'histoire tout 
entière se lève pour protester contre une nouveauté 
sans tradition. 

Que si l'on invoque la plus haute des traditionô^ 
celle qui est fixée dans l'Ecriture sainte, on n'est 
pas plus heureux : les textes que Ton produit 
sont détournés de leur vrai sens tel qu'il a été 
reconnu par les Pères, et ils ne peuvent servir 



— 2GQ — 

qu'après avoir été dénaturés. Les if^faUliMUstes 
invoquent en première ligne la prière du Christ en 
faveur de Pierre : « J'ai prié pour toi, que ta foi 
ne défaille point. Toi donc, quand tu seras converti, 
affermis tes frères.» (Luc XXII, 32.) Toute Tanti- 
quité chrétienne, sauf le pape Agathon, s'accorde à 
reconnaître qu'il ne s'agit ici que de la vertu morale 
de la foi et non de l'enseignement dogmatique. Il 
est évident que la prière ne s'appliqua qu'à la per- 
sonne de Kerre, car il serait absurde d'admettre 
que tout évêque de Rome doit tomber comme lui 
pour être relevé ensuite de son apostasie. L'exhor- 
tation faite à l'apôtre d'affermir ses frères est un 
commandement qui implique sa libre obéissance, 
et sa chute à Antioche montre qu'elle ne le préser- 
vait pas de la possibilité de s'égarer. L'histoire de 
la papauté nous contraint à la même conclusion, 
car, si ses chutes ont été partielles et momenta- 
nées, elles n'en ont pas moins été réelles. On sait 
à quelles déclarations elle s'est laissé entnuner 
dans le domaine politique, quelles mesures elle a 
sanctionnées et encouragées pour la répression de 
l'erreur. On connaît les trop fameuses bulles qui ont 
fait im devoir à chaque prince de supprimer les 
hérétiques. Plus de cinquante papes n'ont-ils pas 
appelé l'inquisition un saint office ? Ne l'ont-ils pas 
instituée et rétablie partout où ils l'ont pu ? N'ont- 



— 2G1 — 

« 

ils pad dédaïé que quiconque s'écartait d'un seul 
article de la foi de l'Eglise était passible de la 
peine capitale? Supposez que l'infaillibilité du 
saint-père soit proclamée, c'est un dogme qui porte 
aussi bien sur le passé que sur le présent et 
l'avenir. Tout ce code de la persécution qu'il est 
encore loisible de rejeter aujourd'hui devient une 
lettre sainte, un article de foi qu'on ne saurait re- 
pousser sans encourir l'étemelle damnation. S'est- 
ôn représenté les douloureux conflits qui surgi- 
raient entre l'Eglise et la conscience? Il faudrait 
donc croire et enseigner désormais que, conformé- 
inent à la doctrine de Grégoire VII, les monarques 
et les royaumes sont soumis au pouvoir du siège 
de Eome, et déclarer avec la bulle Unam sanctam 
de Boniface VIII que les papes ont un pouvoir 
absolu sur tous les Etats et toutes les républiques. 
Si la nouvelle doctrine a gagné du terrain, c'est 
grâce au système de contrainte Cmi ont usé ses 
défenseurs. L'inquisition a interdit en Espagne 
toute discussion à son sujet ; partout où les jésuites 
ont dominé, ils l'ont imposée, et l'index a frappé 
sans exception les livres qui la contestaient. Elle a 
contre elle les théologiens les plus éminents, ceux 
qui sont grands par le savoir et le mérite; ses 
coryphées ont été des cardinaux romains, des 
inquisiteurs et des jésuites qui l'ont défendue tour 



— 262 — 

à tour avec des pièces falsifiées et des mesures 
persécutrices. Voilà son blason! Si elle vient à 
triompher, elle absorbera en elle toute la doctrine 
catholique; elle n'apparaîtra sur le premier plan 
du symbole que pour inspirer un mortel élôigne- 
ment à tous les esprits élevés et fournir aux en- 
nemis de TEglise tout un arsenal d'armes dange- 
reuses. « Qu'auront à répondre les défenseurs de 
l'Eglise, dit en terminant Dœllinger, quand on 
leur dira que pendant plus de dix-huit cents ans 
cette doctrine a été d'abord inconnue, et puis 
rejetée et réfutée par la partie considérable de 
l'Eglise et justement par la partie la mieux in- 
struite ?» Il faudrait en ce cas donner une autre 
forme à l'enseignement catholique, spécialement en 
ce qui concerne les conditions et les caractères dis- 
tinctifs d'un dogme ou d'un article de la foi de l'Eglise. 

Tel est le manifeste du catholicisme allemand le 
plus avancé. Nous le retrouverons en substance et 
avec quelques adoucissements dans les écrits adressés 
in extremis au concile par quelques-uns des mem- 
bres les plus éminents de l'épiscopat germanique. Ces 
considérations suffisent pour nous faire connaître le 
fond des objections présentées ces jours-ci à la com- 
mission de l'Eglise. Jamais le débat n'avait acquis sur 
ce point ni sur aucim autre un tel degré de précision. 

Ecoutons maintenant la réplique. Elle est dis- 



persée dans dlnnombrables écrits qui ne font que 
se répéter les uns les autres, mais tous, du moins 
pour la France, s'en réfèrent à un savant religieux 
qu'on peut appeler le théologien ordinaire de Tultra- 
montanismei c'est dom Guéranger, abbé de 
Solesmes. Son livre sur la monarchie pmtificah 
est le grand cheval de bataille du parti ; le pape 
dans un bref auquel nous reviendrons lui a donné 
une approbation sans réserve, et les travaux de 
Mgr Deschamps ont pâli devant ce chef-d'œuvre. 
Avant d'en donner un court aperçu il ne seja pas 
inutile de faire plus ample connaissance avec êgn 
auteur, car il nous ofifre un parfait modèle d*in- 
faillibiliste convaincu qui a non-seulement la foi 
mais encore les œuvres, et qui dans l'intérieur de 
son couvent applique scrupuleusement les belles 
maximes de gouvernement ecclésiastique ou plutôt 
de despotisme religieux dont il s'est fait le fou- 
gueux apologiste dans ses écrits. Un livre fort 
curieux a paru sur l'abbaye de Solesmes, il nous 
initie à la vie religieuse et monastique telle qu*elle . 
est pratiquée et dirigée aujourd'hui dans les foyer» 
de l'ultramontanisme (1). Nous laissons entièrement 
de côté les diflFérends qui ont pu surgir entre l'abbé 

(1) Les Bénédictins de la congrégation de France. Mémoire 
du révérend père dom Pierre des Piiliers, moine profès de ]*ab» 
baye de Solesmes* Bruxelles* 1868i 



— 264 — 

et ses subordonnés, évitant avec soin tout ce qui a 
trait à ces querelles intérieures de couvent qui 
deviennent facilement diffamatoires. Mais le livre 
de dom Pilliers contient des renseignements précis, 
appuyés de lettres qui n'ont pas été démenties, sur 
la manière dont les chefs du parti romaniste inocu- 
lent leur tendance poussée jusqu'au fanatisme dans 
ces établissements religieux où le catholicisme 
contemporain trouve "encore plus son péril que sa 
gloire. C'est là que l'on prêche à de pauvres 
cerveaux exaltés par une dévotion maladive et 
admirablement calculée pour briser le ressort et 
la mâle énergie, une sorte de guerre sainte non- 
seulement contre la société moderne mais encore et 
surtout contre la partie raisonnable et hbérale de 
l'Eglise catholique. Donnons un échantillon de 
l'enseignement par lequel le savant abbé dom Gué- 
ranger forme ses novices à la bonne doctrine. 

€ Tout, nous répétait sa paternité, doit sortir du 
saint-siége, dogme, morale et culte. En consé- 
quence, les simples erreurs ou simples opinions 
réprouvées par Rome sous une dénomination quel- 
conque, doivent être répudiées au même titre par 
les religieux et novices de Solesmes. Nous devons 
déclarer unci guerre d'extermination au gaUica- 
nisme. Le postulant ou novice qui refuserait d'en- 
trer dans cet esprit serait renvoyé sur-le-champ, 



— 2C5 — 

de peur que cette brebis galeuse ne vînt à cor- 
rompre tout le troupeau. > 

Dans ses explications sur la liturgie romaine 
dont il est Tapôtre, dom Gi^éranger trouvait le 
moyen de faire découler de chaque strophe des 
saints cantiques tout autre chose que ces paroles 
plus douces que le miel dont parlent les psaumes 
hébreux. Voici comment est commenté ce mot 
bien simple de la Uturgie : 

Conserva tuos famulos. 

€ Christ, conserve tes serviteurs. > c Vous enten- 
dez, mes- très-chers frères! Dans cette hymne 
sacrée TEghse prie son divin Epoux de veiller au 
salut de ses serviteurs, c'est-à-diré de ceux qui 
pratiquent son culte, qui viennent aux offices. Ah! 
si la France de nos jours était cathoUque comme 
au moyen âge, quiconque aurait vécu sans être vrai 
serviteur du Christ, c'est-à-dire sans lui avoir rendu 
le même culte que lui rendla sainteEglise son épouse, 
serait au moment de la mort traité comme il le mé- 
rite ; son cadavre serait privé de sépulture tandis que 
son âme réprouvée serait précipitée dans Tenfer. » 

La leçon sur Tinquisition est ce qu'on peut 
penser; on a pu du reste la lire plus d'une fois 
dans r Univers. Mais reprenons nos cantiques : 

Oentem aiiferte perfidam 
Credentium de finibus. 



— 266 — 

« Refoulez une nation perfide loin de la terre des 
croyants. » « Les paroles de la sainte liturgie, mes 
frères, ont comme celles deTEcriture sainte plusieurs 
sens également justes^ savoir le sensoivie ou naturel, 
le sens allégorique et le sens anagogîque ou spirituel. 
Le sens naturel s'applique à la perfide Albion encore 
plus hérétique que perfide. Mais le sens anago- 
gique est tout autre. Il s'agit surtout dans cette 
strophe des partisans des liturgies gallicanes, de ces 
prélats français qui proscrivent la liturgie romaine de 
leur diocèse. Bénissons Dieu de ce qu'il daigne exau- 
cer les prières de sa sainte épouse, car en réalité 
les évêques gallicans disparaissent de plus en plus 
de la terre des croyants pour faire place à des 
évêques animés de l'esprit romain, n'ayant d'autre 
aspiration que de faire triompher les doctrines et 
la sacrée liturgie du saint-siége apostolique. Encore 
quelques années et l'épiscopat français sera renou- 
velé dans cet esprit et l'histoire flétrira comme ils 
le méritent, ceux qui se dressent fièrement contre 
Rome leur mère, et qui, semblables à Lucifer et les 
anges rebelles, ont prétendu s'égaler à celui dont 
ils devaient recevoir et exécuter respectueusement 
les ordres. » 

Qui aurait connu avant dom Guéranger toutes 
les ressources d'un cantique? Personne ne sait mieux 
que lui manier le fer sacré. Que l'on se représente 



— 267 — 

rimpression produite par ua tel enseignement 
donné par un homme de savoir et d'éloquence, 
habile jusque dans l'exaltation, à de jeunes esprits 
qui sont enfermés entre les quatre murs d'un cloître 
et entre les cloisons plus étroites encore d'une 
culture artificielle mêlée de dévotions énervantes î 
Il faut voir comment ce sanglant mépris de Vépis- 
copat gallican est non-seulement professé mais pra- 
tiqué à SolesmeS^ avec quelle sympathid est reçu 
le novice qui pour entrer dans l'ordre des Bénédic- 
tins a désobéi à son supérieur, de quelles épithètes 
sont gratifiés les évêques qui ont gardé quelque 
souvenir de l'ancien clergé de France, quitte à 
frapper à leur porte, quand il s'tfgit de quêter ou 
de placer des messes. Il est évident que l'esprit qui 
règne à Solesmes domine dans la plupart de nos 
séminaires; c'est ainsi que se forlné cet immense 
clergé ultramontain et que l'on dresse ces ligueurs 
du romanisme aussi soumis à Bome qu'animés 
d'un esprit de rébellion dans leurs diocèses , 
esclaves, non pas frémissante domme ceux dont 
parle Alfieri, mais passionnés el baisant leurs 
chaînes. Le livre de dom Pilliers nous apprend 
comment on les forme au fanatisme, enlevant d'a- 
vance tout appui aux évoques qui ne sont pas 
gagnés à l'école de servitude. Le principe d'autorité 
ainsi compris devient un dissolvant moral des plus 



— 208 — 

pernicieux; qu'on en juge par ces mots empruntés 
à une lettre de dom Guéranger à Txm de ses reli- 
gieux qui résistait à un ordre qu'il ne pouvait ap- 
prouver: * 

« Mon cher enfant, un supérieur n'est pas infail- 
lible ; il ne doit même pas l'être, autrement où serait 
le mérite de l'esprit et du cœur. Notre vie est un 
sacrifice continuel ; c'est ce qui la rend sainte. Si je 
régis mal j'en rendrai compte à Dieu; mais quand 
une chose vous est intimée, vous n'avez qu'à le 
reconnaître et Dieu ne vous punira pas certaine- 
ment d'avoir obéi, d'avoir respecté. Votre situation 
est bien plus sûre que la mienne ; vous ne répondez 
de rien et je réponds de tout. » 

Nous n'ajouterons rien à ces paroles; si une 
soumission aussi abjecte est demandée vis-à-vis du 
supérieur faillible, que sera-t-elle en face du doc- 
teur infaillible î 

Tel est l'homme qui a pris en main avec un 
éclat incomparable la cause du romanisme dans les 
derniers débats. Il était bon de connaître l'officine 
d'où est parti le grand manifeste ultramontain ho- 
noré de si haute recommandation. Au reste dom 
Guéranger s'était préparé à sa mission par ses 
travaux antérieurs sur la liturgie romaine et l'im- 
maculée conception, comme par ses articles dans 
V Univers. Ancien disciple de Lamennais, il a fait la 



— 269 — 

même évolution que Tabbé Gerbet et expié quelques 
jours de libéralisme par toute une vie consacrée à 
l'absolutisme religieux. Seulement il lui plaît que 
TEglise de France tout entière fasse pénitence avec 
lui et il prétend lui imposer ses opinions extrêmes 
avec une morgue insupportable. Il ne manque ni 
de savoir ni d'éloquence, mais il est passé maître 
dans cette logique artificielle et trompeuse qui se 
fabrique à Eome. Nous ne nous attarderons pas 
longtemps à son livre tant prôné sur la monarchie 
pontificale (1). Il est facile d'en saisir la pensée 
fondamentale et aussi de démasquer les procédés 
équivoques de son argumentation. Ce qu'il veut il 
le dit sans détour. Le pape ne recevant rien de 
l'Eglise de même que Pierre ne recevait rien des 
apôtres, et tenant vraiment la place de Jésus-Christ, 
voilà sa thèse (p. 79). C'est la monarchie a])Solue 
dans Pordre religieux, évitant, comme il le dit en 
propres termes, tout ce qui ressemble aux principes 
de 1789 ; c'est pour tout dire la théocratie univer- 
selle aux mains du saint-père. Le papisme est la 
grâce de notre temps^ selon son expression. C'est 
net et sans ambages. — Malheureusement la ma- 
nière de discuter est moins franche. Il débute par 



(1) Be^ la monarchie pontificale à propos du livre de Mgr do 
Sura. Paris. 1870. 



- 270 — 

ce qu'il appelle les préjugés contre le livre de Mgr. de 
Sur a , il entend par là toutes les considérations 
secondaires qui peuvent ébranler 1^ confiance dans 
les opinions de son adversaire ; il commence par 
déconsidérer ses idées afin qu'il soit affaibli d'avance 
dans l'opinion des juges ou des spectateurs du com- 
bat au moment où il le prendra corps à corps. Les 
raisons fondamentales qu'il compte exposer seront 
ainsi fortifiées par ce qu'il appelle avec une naïveté 
qui ne lui est pas ordinaire des préjugés ou des 
préventions. Ce procédé peut paraître excellent 
dans les séminaires, l'esprit laïque se permet de le 
trouver détestable. Parmi ces préjugés opposés au 
livre de Mgr, Maret il en est un pour le moins sin- 
gulier : on lui reproche d'avoir troublé la paix pro- 
fonde dont jouissait l'Eglise universelle à la veille 
d'assister au couronnement de son édifice! «Aujou^ 
d'bui, dit-il, les saints anges peuvent dire en par- 
lant de l'Eglise, conune autrefois dans le prophète : 
«Nous venons de parcourir la terre, et voici, toute 
« la terre est habitée et est en repos. » Les anges 
dont parle le père Guéranger n'ont guère de clair- 
voyance, ils ne^ voyaient pas plus loin que leurs 
ailes, si à la veille du concile ils croyaient h, cette 
unanimité morale dont la seule invocation suffit à 
mettre en fureur les pères de la majorité. Dom Gué- 
ranger dresse cinq grandes batteries en faveur de 



— 271 — 

Tinfaillibilité du saint-père. Il mvoque tour à tour 
l'Ecriture, la tradition, l'école, le peuple chrétien 
et le sentiment des saints. Passons sur son exégèse 
qui est une simple répétition de Tinterprétation ro- 
maine des textes sur saint Pierre ; [nous y trouvons 
cependant un commentaire original qu'il n'a pas du 
reste inventé. Quand le Christ a dit à Pierre ; Pais 
mes agneaux et mes brebis^ il lui a confié la direc- 
tion du peuple chrétien et de ses conducteurs^ |car 
tout le monde sait que brebis veut dire pasteur 
dans la langue ecclésiastique; ce qui ferait sup- 
poser que cette langue a été inventée pour dissi- 
muler les pensées, car pour ceux qui manquent de 
lumières surnaturelles les brebis ne sauraient être 
prises pour les bergers. Mais c'est surtout dansi 
l'emploi qu'il fait de la tradition que dom Guéranger 
révèle un art supérieur d'altérer les textes. Eu 
lisant ses développements h ce sujet, nous nous 
rappelions ce mot qui fait fortune à Rome pendant 
le concile d'après la Gazette d'Augsiourg : Jl faut 
que le dogme triomphe de V histoire. Dom Guéranger 
traite celle-ci comme il traite ses novices à Solesmes, 
en lui faisant la leçon et surtout en lui dictant les 
réponses qui lui conviennent. Rencontrant sur 
son passage bon nombre de déclarations des plus 
illustres docteurs des premiers siècles qui sont em- 
barrassantes pour sa doctrine favorite, il se tire 



— 272 — 

d'affaire en disant que c jusqu'à ce que l'Eglise ait 
senti le besoin de fixer le dogme sur tel ou tel point 
le langage a pu être plus ou moins flottant, soit 
que les docteurs aient négligé de préciser une ques- 
tion sur laquelle personne ne discutait, soit qu'ik 
aient soutenu innocemment un sentiment qui par 
suite d'une décision postérieure est devenu hétéro- 
doxe. ]^ 

Admirable procédé pour jeter par-dessus le 
bord tous les textes qui ne sont décidément pas mal- 
léables ! Il s'agit au point de vue catholique d'éta- 
blir que la doctrine de l'infaillibilité papale a été 
l'objet de la foi universelle ; cette prétention se 
heurte à des déclarations contraires des Pères. En 
bonne logique, cela sujBït pour écarter le caractère 
de l'universalité. Dom Guéranger a changé tout cela; 
c'est au dix-neuvième siècle qu'il appartient d'im- 
poser sa pensée aux trois premiers siècles de l'Eglise 
et de repousser comme hétérodoxe ce qui ne cadre 
pas avec ses inventions dogmatiques ; c'est le présent 
qui forge à son gré les anneaux de la chaîne tra- 
ditionnelle, si bien que la tradition n'est plus la 
tradition mais un complaisant écho de l'opinion ac- 
tuellement en faveur. Il est vrai que l'on consent à 
rc:')nnaître l'innocence de ces bons Pères qui ont 
parlé de l'évêque de Eome sans se soucier de sa 
future infaillibilité. S'ils sont innocents, les procé- 



— 273 — 

dés qu'on emploie pour réduire à néant leur témoi- 
gnage le sont fort peu, et il suffit de les avoir indi- 
qués pour ôter toute valeur à une longue et 
fastidieuse argumentation qui ruse constamment 
avec les faits les mieux établis, tronque habilement 
les citations, invente des fables pour les besoins de 
la cause, comme par exemple la prétendue soumis- 
sion de Cyprien à Tévêque de Eome. La critique 
historique de dom Guéranger vaut son exégèse. Il 
aurait dû se contenter d'invoquer saint Thomas d' A- 
quîn et Suarès, ces grands représentants de ce qu'il 
appelle Vécole^ qui ont incontestablement proclamé 
l'infaillibilité papale; mais l'école n'est après tout 
qu'une tradition de seconde main qui ne saurait 
prévaloir sur le christianisme primitif, surtout quand 
on s'est convaincu qu'elle a travaillé sur des textes 
faux dont elle ignorait l'origine. Dom Guéranger, 
après l'Ecriture, les Pères et l'école, invoque les 
actes de la papauté depuis le moyen âge. Les papes 
ont agi comme s'ils étaient infaillibles, donc ils le 
sont ; le fait emporte le droit, La belle preuve en 
vérité ! Louis XIV est entré cravache en main dans 
son parlement pour lui imposer silence ; donc la re- 
présentation nationale est faite pour être foulée aux 
pieds. Ce raisonnement ne vaut pas mieux dans la 
sphère religieuse que dans la sphère pohtique. 
Dom Guéranger croit fermer la bouche à ses con- 



1 



tradicteurs en leur opposant le décret du concile de 
Florence qu'il porte aux nues, tandis qu'il abaisse 
jusqu'en enfer celui de Constance sans discuter sé- 
rieusement aucune objection. Il en appelle enfin au 
sentiment chrétien soit dans le peuple, soit chez 
les saints, et il rédige une sorte de calendrier ultra- 
montaîn où brillent les gloires du jésuitisme. Ses ad- 
versaires lui laisseront ses saints et leurs vertus, et 
ne rougiront pas des leurs qui s'appellent Saint- 
Cyran, Pascal, et ils ne lui sacrifieront pas même 
Tillustre Gerson, bien, qu'il ait dit cette chose mons- 
trueuse que TEglise imiverselle peut trouver son 
salut dans la dernière des vieilles femmes. Mot su- 
blime qui rappelle que l'iesprît souffle où il veut et 
laisse souvent le» sanctuaires grandioses pour les 
chambres hautes. 

On le voit, le grand théologien de Tultramonta- 
msme ne serait pas bien redoutable s'il ne devait 
compter pour le triomphe de sa doctrine que sur 
Texcellence de sa dialectique. Paroles violentes, rai- 
sonnement faible, c'est tout son livre, même quand 
il aborde des points aussi difficiles que la constatation 
des signes du jugement e(û cathedra. L'abbé Maret 
avait montré qu'à supposer que l'infeîllibilité papale 
fût proclamée, il faudrait encore établir nettement 
dans quelles circonstances on re<î(nm€uttra que le 
pape parle e:t cathtdra^ pontificalement; car les opi- 



— 275 — 

nions les plus diverses ont été émises sur cette ques- 
tion qui est capitale. Les uns tirent ce caractère 
pontifical de Tobjet du jugement, de la grandeur de 
la question résolue ; les autres Tattribuent à toute 
décision adressée à TEglise entière. Parfois on de- 
mande une forme solennelle de langage ou bien le 
conseil préalable des cardinaux, accompagné d'étude 
et de prière. Rien n'est moins fixé en définitive que 
le jugement èx cathedra. Dom Guéranger écarte 
toutes ces conditions ; pour lui, dès que le pape dé- 
clare qu'il parle ex cathedra il est infaillible : la 
simple promulgation suffit. Il y manque cependant 
\iûe signature, tant que l'anathème n'a pas été ftû- 
miné contre l'opinion contraire ; cela revient à dire : 
< Vous reconnaîtrez le pape infaillible à ceci qu'il 
maudira! » 

Ce que nous reprochons surtout à dom Guéranger 
et à son école, y compris Mgr Deschamps qui avait 
ouvert la campagne théologique, c'est de ne pas 
mettre la loyauté dans les choses dfe la peusée, c*est 
de ne pas respecter la vérité avant tout Ventends la 
vérité des faits. Comment s'en étonner quand on lit 
le passage suivant de sa dernière réplique à Mgr Du- 
panloup? Il s'agit de la réponse faite en 1829 par 
les évêques catholiques d'Angleterre et d'Irlande au 
gouvernement de leur pays qui leur demandait, 
avant de leur reconnaître des droits nouveaux^ s'il 



— 276 — 

n*était pas exigé d'eux de croire au pape infaillible : 
« Pénétrant jusque dans nos croyances intimes, ce 
gouvernement, dit le savant abbé, se permet de 
s'enquérir de leurs principes sur l'autorité toute spi- 
rituelle du pontite romain. Les évêques, dans l'inté- 
rêt de leurs troupeaux, crurent devoir se soumettre 
à ces exigences et donnèrent^ avec la liberté que l'on 
peut avoir en semblables occasions^ les réponses qu'ils 
jugèrent propres à satisfaire ceux dont Vémancipor 
tion des catholiques dépendait. Au reste le point de 
doctrine n'étant pas encore défini, déclarer c qu'il 
n'était pas exigé de croire le pape infaillible n'était 
pas du tout déclarer que le pape n'est pas infaUlïbk 
ex catliedra. > 

Cette restriction qui contient une réserve mentale 
n'atténue que bien faiblement l'assertion qui pré- 
cède. Il est donc permis, d'après le révérendissime 
père, de calculer sa réponse dans un interrogatoi» 
non pas sur la vérité en soi mais sur l'intérêt de 
l'Eglise. Nous nous en doutions bien, mais l'aveu 
est significatif et illumine toute cette discussion 
d'une clarté sujBïsante. 

Après l'œuvre capitale de dom Guéranger il est 
inutile de caractériser les opuscules dans le même 
sens qui se sont multipliés sans mesure depuis 
le commencement du concile. Nous connaissons 
le général, que nous importent les soldats, à moins 



— 277 — 

qu'ils ne soient mitres, car alors ils n'ont que trop 
de moyens de compenser la faiblesse de leurs rai- 
sonnements ! Nous ne dirons donc rien de toutes les 
élucubrations portées aux nues par la Civiltà catlo- 
lica^ — pas même de cette brochure si bien intention- 
née qui porte ce beau titre : Paroles calmantes. 
Nous savons que les jésuites fustigent au besoin 
avec des branches d'olivier, et leurs émoUients nous 
sont suspects. — Je ne mentionne que pour mémoire 
le fameux argument de Joseph de Maistre et de son 
école qui consiste à dire que toute société doit avoir 
un tribunal qui juge en dernier ressort, et que l'in- 
faillibilité est indispensable au gouvernement de 
r Eglise. On peut l'admettre avec restriction dans 
les choses terrestres et contingentes, parce qu'il est 
entendu qu'on ne décide rien définitivement dans 
ce domaine. Apphqué à la sphère religieuse, il est 
monstrueux; les nécessités de gouvernement et de 
politique n'ont rien à voir avec la vérité en soi. En 
tout cas, les apologistes du nouveau dogme ne par- 
viendront pas à dissimuler la contradiction qui est 
au fond de leur polémique. D'une part ils sont una- 
nimes à dire que l'infaillibilité papale est la vraie 
foi de l'Eglise telle qu'elle a été formulée au con- 
cile de Florence, écho de l'universelle tradition. 
D'une autre part ils demandent avec passion une 
définition du dogme. Il s'ensuit que le texte de 

16 



— 278 — 

Florence n*est pas si clair qu'ils le prétendent. De 
deux choses l'une : ou le dogme a été fixé dans un 
concile général, et alors on n'y peut rien ajouter; 
ou, s'il faut le définir, le concile de Florence n'a rien 
tranché et le principal argument historique croule 
par la base. Je ne sais trop ce qu'on peut répHquer à 
cet argument, mais je sais bien comment on l'étouf- 
fera ainsi que tous les autres. 



m. 



La discussion sur les principes paraissait épuisée, 
du moins dans la presse religieuse en dehors du 
concile, quand elle s'est ranimée avec une véhé- 
mence extraordinaire sur la question de la condam- 
nation d'Honorius. Nous ne pouvons négliger cet 
épisode, parce qu'il a contribué à précipiter la crise. 
De tout temps les adversaires de rultramontanisme 
avaient lire un grand parti de l'anathèine lancé par 
un concile œcuménique contre un pape. Il est évi- 
dent que si le fait était prouvé sans atténuation, la 
question de Tinfàillibilité papale serait tranchée du 
coup et le concile demeurerait le juge souverain de 
la doctrine. L'archevêque de Malines dans sa pre- 
mière lettre à Tévêque d'Orléans avait exprimé une 
vive indignation de ce qu'un pareil argument osait 
encore se produire. C'est alors que le père Gratiy 



— 279 — 

est intervenu avec autant de courage que de loyauté \ 
il a cttitamé la lutte comme un chevalier sans peur 
et sans reproche^ visière baissée. Il est impossible 
de lire ses quatre lettres sans admirer son accent de 
candeur, sa franchise, sa brûlante indignation. C'est 
une âme noble et pure qui se dégage des filets cap- 
tieux de la dialectique des séminaires et qui s'élance 
impétueusement vers le grand jour en poussant un 
cri de délivrance, en maudissant et en dénonçant le 
piège où elle a été prise trop longtemps. L'amour 
le plus ardent du christianisme et de l'Eglise respire 
dans ces pages émues ; pour le méconnaître et crier 
à l'impiété, il faut cet endurcissement sectaire qui 
étouffe le sens moral, cette fureur pharîsaîque qui 
attribue au démon les plus saintes manifestations de 
la conscience chrétienne. L'abbé Gratry déclare n'a- 
voir ouvert la bouche qu'au nom d'une divine im- 
pulsion ; ceux-là s'en moquent qui ne reconnaissent 
l'esprit de Dieu que dans les consignes autoritaires 
et n'admettent l'apostolat que sur brevet. Recon- 
naissons du reste que l'argumentation du père Gra- 
try était bien dangereuse pour l'école ultramontaine. 
Il établissait non-seulement le bien fondé de la 
condamnation d'un pape comme hérétique, mais 
encore les fraudes scandaleuses par lesquelles la 
curie romaine a essayé de parer le coup en falsi- 
fiant les documents confiés à sa garde et par consé- 



. —280 — 

quent à son honneur. Elle était dénoncée arec une 
impétuosité toute française comme ime école d'er- 
reur et de mensonge qui déshonorait la cause qu'elle 
prétendait servir et compromettait une cause bien 
autrement grande, celle du Christ et de TEglise. 
Voilà ce qui était démontré avec une verve géné- 
reuse, une éloquence entraînante. Là où Ton croyait 
trouver un simple homme d'Eglise, on trouvait un 
homme, c'est-à-dire une conscience. L'effet fut con- 
sidérable; — il fallait parer le coup, on s'y est pris de 
deux manières dans le camp ultramontain ; on a 
répondu et on a condamné. La seconde réplique 
pouvait dispenser de la première, mais puisqu'on a 
eu recours à la discussion avant d'en appeler au 
haillon, nous pouvons nous constituer en juges du 
débat. Nous comprendrons pourquoi les anathèmes 
ont sitôt remplacé les arguments. 

Eappelons succinctement les faits qui ont donné 
lieii à la condamnation d'Honorius. Nous sommes 
au septième siècle, au beau milieu des inextricables 
discussions sur la personne du Christ dans lesquelles 
la subtilité grecque se joue avec passion. Le dogme 
des deux natures avait été décrété au concile de 
Chalcédoine (415). La nature humaine et la nature 
divine ont été reconnues distinctes dans l'unité de 
la personne du Eédeiûpteur. Mais comme toujours 
les tendances condamnées et non réfutées essavent 



~ 281 — 

de puser avec le déci^et qui les a frappées et recou- 
rent à la chicane théologique dont les ressources 
sont infinies, surtout pour des esprits byzantins. A 
Alexandrie, en Afrique et dans tout l'Orient les par- 
tisans d'une seule nature en Jésus-Christ cherchent 
des faux-fuyants pour ne pas se rendre aux canons 
de Chalcédoîne. Il ne faut pas oublier cette situation 
délicate dans l'appréciation de la conduite d'Hono- 
rius. L'empereur Héraclius, au retour d'une cam- 
pagne victorieuse en Perse, voulut couronner son 
triomphe par la pacification de l'Eglise, et selon la 
coutume des théologiens couronnés, il s'imagina 
que la formule qui avait son assentiment et qui lui 
avait été fournie par quelque docteur de sa cour 
ferait merveille et réconcilierait les partis, à la plus 
grande gloire du nouveau Constantin. Les évêques 
monophysites se déclarèrent prêts à signer une dé- 
claration qui, tout en reconnaissant que Jésus-Christ 
a deux natures, admettait qu'il n'a eu qu'une seule 
énergie et une seule volonté. Ils n'avaient pas tort 
à leur point de vue, car concéder l'unité de volonté, 
c'est revenir sur la dualité des natures. Qu'est-ce 
qu'une nature morale dépourvue de volonté ? Il ne 
s'agit pas d'apprécier au point de vue philosophique 
ces arguties byzantines qui ont malheureusement 
prévalu sur les grandes aflârmations chrétiennes des 
premiers âges.' Nous n'en tenons compte .qu'au 

4g/ 



— 282 — 

point de vue de la jurisprudence de TEglise. L'em- 
pereur trouva naturellement des évêques pour ad- 
mirer sa formule et en faire Tapologie, et tout d'a- 
bord Sergius, patriarche de sa capitale, qui leva les 
scrupules de Cyrus, évêque de Phasée, en multi- 
pliant les distinguo. Des miniers d'évêques en 
Egypte et en Orient se rangèrent à son avis. Ce 
beau concert fut troublé par le nouvel évêque de 
Jérusalem, le moine Sophronius, homme énergique, 
indomptable, de la race des Athanase, qui perçant à 
lour la formule équivoque montrait qu'elle était en 
contradiction avec les canons de Chalcédoine, en se 
fondant sur ce que la double nature n'était rien, si 
elle n'impliquait la double volonté. Il suffit de sa 
protestation indignée pour troubler la paix factice 
qui était si chère à l'empereur. On en voulait d'au- 
tant plus à Sophronius qu'avant son élévation au 
siège de Jérusalem il avait semblé se laisser per- 
suader jjar Sergius. Celui-ci, qui avait prévu l'atti- 
tude du nouvel évêque, s'était adressé à l'évêque de 
Rome, Honorius, pour se fortifier de son assenti- 
ment. La réponse d'Honorius fut de nature à combler 
ses vœux; car il lui donna entièrement raison. Le 
bon pape n'y vit que du feu. Il s'imagina que quand 
on parle de deux volontés, on entend deux volontés 
contraires, opposées l'une à l'autre comme celle de 
la chair et celle de l'esprit, et au nom de la sainteté 



— 283 — 

parfaite du Clirîst il écarta la dualité des volontés, 
tout en maintenant les deux natures qui depuis Chal- 
cédoine ne pouvaient plus être niées^ < Voyant, 
écrivait Sergius au pape, que cette dispute conunen- 
çait à s'échauffer, et sachant que tels sont ordinai- 
rement les commencements des hérésies, nous avons 
cru nécessaire d'appliquer tous nos soins pour faire 
cesser ces combats inutiles de parole. Nous avons 
donc écrit au patriarche d'Alexandrie que, la réunion 
des schismatiques étant exécutée, il ne permît plus 
à personne de parler d'une ou deux opérations en 
Jésus-Christ , mais qu'il ordonnât de dire plutôt , 
comme les conciles œcuméniques, qu'un seul et 
même Jésus-Christ opère les choses divines et les 
choses humaines, i^ Sergius se fondait sur l'impos- 
sibihté d'admettre deux volontés contrakes en Jésus- 
Christ. Honorius n'hésite pas à lui donner raison sur 
tous les points : 

c Nous vous louons, dit-il à Sergius en faisant 
allusion à la doctrine des deux volontés, d'avoir 
ôté cette nouveauté de paroles* Nous confessons 
une volonté en notre Seigneur Jésus-Christ, parce 
que la Divinité a certes pris non pas notre péché, 
mais notre nature, telle qu'elle a été créée avant le 
jéché. Que si quelques-uns ont tâché de s'accom- 
moder dans leur enseignement & la faiblesse de 
leurs auditeurs, il ne faut pas faire de leurs exprès- 



^ 284 — 

sions un dogme pour TEglise, ni. enseigner une ou 
deux énergies en Christ. De savoir si, à cause des 
œuvres de la divinité et de Thumanité, on doit, 
par voie de déduction, dire ou entendre une opé- 
ration ou deux, cela ne doit pas nous importer, et 
nous le laissons aux grammairiens qui ont coutume 
de vendre aux enfants les mots recherchés qu'ils ont 
inventés. » 

Il résulte évidemment du rapprochement de ces 
deux textes qu'Honorius abonde dans ropinion de 
Sergius; d'une part, il croit à une seule volonté 
dans le Christ, et de l'autre, il interdit formellement 
que Ton agite dans l'Eglise la question des deux 
énergies ou deux opérations. Il n'en est pas moins 
certain qu'au point de vue de l'orthodoxie catho- 
lique, il s'est trompé aussi bien quand il a soutenu 
l'unité de la volonté que quand il a interdit la défi- 
nition des deux énergies. Nous ne disons pas qu'en 
elle-même son erreur soit grave ; nous disons sim- 
plement qu'il professe ime opinion ouvertement 
condamnée par l'Eglise, car le sixième concile oecu- 
ménique a complété le dogme des deux natures par 
celui des deux opérations ou énergies, et formelle- 
ment condamné, de l'avis de tout le monde, le mo- 
nophysisme à tous ses degrés. L'abbé Gratry est 
donc fondé à battre en brèche la doctrine de l'in- 
faillibilité, en citant le cas d'Honorius, qui a été 



— 285 — 

convaincu d'hérésie par un des grands conciles des 
premiers siècles. Ses adversaires n'ont trouvé à lui 
répondre que de pitoyables arguties. L'archevêque 
de Malines, le père Ramière, M. de Margerie et dom 
Guéranger, rentré dans la lice pour cette question 
spéciale, lui opposent les mêmes sophismes ; la palme 
appartient encore ici au bénédictin. Ils n'osent guère 
contester l'authenticité des documents comme on 
l'avait fait avant eux ; ils se contentent à cet égard 
d'une légère insinuation qui peut toujours faire bon 
eflfet. Ils ont à leur service des raisonnements à 
toute fin; ^i^no avulso non déficit alter. C'est une 
méthode favorite dans leur école, que de présenter 
à la fois plusieurs systèmes de défense qui s'ex- 
cluent l'un l'autre. Rien n'est plus facile à com- 
prendre, une fois qu'il s'agit d'arriver à tout prix 
à une conclusion déterminée d'avance; la dialec- 
tique n'est plus un moyen d'aboutir aux vraies con- 
séquences, mais de conduire, coûte que coûte, au 
.résultat prévu et voulu. Aussi doit-elle faire preuve 
bien plutôt de souplesse que de vigueur, et montrer 
que tv.as les chemins conduisent à Rome. On com- 
mence par soutenir qu'Honorius n'est pas tombé 
dans l'hérésie. On tord son langage pour en tirer la 
pure doctrine ; on prétend qu'il a voulu simplement 
exprimer l'impossibilité d'un conflit moral dans 
l'âme de Jésus-Christ, qui n'a jamais eu à combattre 



— 286 — 

les maurais penchants de notre nature viciée. Mais 
Honorius va plus loin ; il ne reconnîdt pas que Jé- 
sus-Christ ait eu deux volontés pures, celle de la 
nature humaine et celle de la nature divine; il af- 
firme résolument Tunité des opérations ou des 
énergies. De ce qu'il a eu raison d'écarter l'idée 
d'une lutte entre la chair et l'esprit dans l'âme sainte 
de Christ, il ne s'ensuit pas qu'il ait eu raison, au 
point de vue de l'orthodoxie catholique, de nier la 
dualité des volontés et d'interdire que la questioa 
posée fût même débattue, ce qui était s'opposer à m 
vraie solution. Avec de tels procédés, on blanchirait 
l'arianisme si fertile en subtilités. C'est en valu que 
dom Guéranger invoque les bons témoignages rendus 
à Honorius par quelques-uns de sescontemporainsou 
successeurs. Nous avons ses lettres ; Jiaiemus amjh 
tentem reum. Les contradicteurs du père Gratry se 
rejettent ensuite sur ime pure question de forme. 
A les croire, si l'évêque de Rome s'est trompé, cela 
ne tire pas à conséquence, car sa lettre était toute 
privée; elle ne faisait pas partie de l'enseignement 
ex catAedra.Comment ose-t-on soutenir qu'une lettre 
répondant à une consultation théologique du pa- 
triarche de Constantinople, et traitant de la ques- 
tion la plus grave du temps avec la prétention de 
donner des directions péremptoires sur la manière 
d'assurer la paix de l'Eghse, n'est qu'un document 



— 287 — 

privé? Que faut-il donc, pour qu'un pape s'exprime 
pantifiealement, à moins qu'on ne prétende qu'il ne 
parie ex cathedra que quand il parle du balcon de 
Saint-Pierre ! L'ai^ument invoqué ne peut être con- 
«Idéré que comme ces demîers moyens dilatoires que 
rpn emploie pour retarder l'effet d'un procès perdu. 
Dom Guéranger et sa suite théologique se rejettent 
tsar les canons du sixième concile pour en atténuer 
la portée; ils s'efforcent d'établir, par im des plus 
beaox tours de force que nous connaissions, que la 
déclaration solennelle d'hérésie change de signifî- 
Tfttion, dès qu'elle s'applique à un pape. Citons le 
texte de la condamnation conciliaire : Anathema 
Sêrgio heretico , anathema Honono heretico , ana- 
thma Pyrrho heretico. Est-ce clair? Si cela ne l'est 
pas suffisamment, que dire du commentaire donné à 
ee« mots par le même concile : « Nous avons, en 
oubre, rejeté de la sainte Eglise, et nous avons ana- 
ftématisé Honorius, qui fut pape de la vieille Rome, 
^ ^pBfoe que nous avons reconnu dans ses lettres à 
flergïuâ qv,'il a suivi en toutes choses la même doc- 
trine^ et qu'il confirme tous ses dogmes impies. » 
Le septième et le huitième concile confirment ex- 
pressément cette condamnation, et la fondent éga- 
lement sur la mauvaise doctrine d'Honorius. Le 
pape Adrien II déclare que le pape Honorius a été 
mis en jugement pour hérésie. « Nous condamnons 



— 288 — 

aussi Honorius, écrit le pape Léon II, qui s'^est ef- 
forcé ou qui a permis, par une trahison sacrilège, 
de renverser la foi immaculée. » Comment se tire-t- 
on de ces textes à la fois conciliaires et pontificaux? 
On se rejette sur un mot emprunté à la lettre de 
Léon II aux évêques d'Espagne : « Tous ceux qui 
pour leur crime contre la pureté de la tradition 
apostolique ont été frappés d'une étemelle con- 
damnation , savoir, Théodore, de Pharan , Cyrus, 
Sergius, aussi bien qu'Honorius, qui, manquant a% 
devoir de son autorité apostolique^ au lieu d^éteindrt 
la Jlamme de VMrésie, la fomenta^ en la négli- 
geant. 3> Vous voyez bien, s'écrie dom Guéranger, 
le pape Léon II distingue entre Honorius et les hé- 
rétiques; il ne l'accuse que de négligence. Mais 
cette négligence, qui entraîne l'altération de la do^ 
trine, a été qualifiée d'hérésie par trois conciles, et 
le même Léon II écrit aux chrétiens d'Espagne 
« qu'Honorius a été rejeté de l'unité catholique pour 
avoir laissé anéantir la foi immaculée. » Si de tefles 
paroles peuvent se concilier avec l'infaillibilité do^ 
trinale, nous ne savons plus ce que parler veut dire. 
En tout cas, hérétique signifie hérétique, et c'est la 
désignation canonique d'Honorius. Hœfele, l'un des 
plus savants évêques de l'Allemagne, l'historien des 
conciles, dans une publication récente, parvenue à 
Rome par la voie de Naples, n'a pas craint de don- 



— 289 — 

ner entièrement raison au père Gratry sur la con- 
danmation d*Honorius. 

Ce qui a surtout exaspéré le parti ultra^ontain, 
c'est la véhémente indignation ave: laquelle l'élo- 
quent poléHiiste a flétri les falsifications romaines 
qui n'ont jamais été aussi audacieuses que dans 
l'afiFaire d'Honorius. Le bréviaire romain a porté 
longtemps la trace et comme la marque brûlante de 
sa condamnation dans la leçon de saint Léon au 
28juin. Elle renfermait ces mots significatifs : « En 
<5B synode furent condamnés Cyrus, Sergius, Hono- 
rius, Pyrrhus, lesquels ont dit ou enseigné qu'il n'y 
a qu'une seule opération ou volonté en Notre-Sei- 
gneur Jésus-Christ. » Le nom d'Honorius a disparu 
du bréviaire d'aujourd'hui. Le père Gratry accusait 
de cette fraude un scribe inconnu. Grande indigna- 
tion de dom Guérangçr, qui montre que le scribe 
inconnu n'est autre que le grand pape Pie V, lequel 
a fait reviser le bréviaire à sa fantaisie, et s'est 
permis de faire effacer, de son autorité, la preuve 
convaincante de la faillibiUté papale. Qu'aurait-on 
dit d'un roi d'Angleterre qui, sous prétexte de don- 
ner une édition définitive de la grande Charte,aurait 
retranché les clauses restrictives de son pouvoir et 
prétendu que le texte ainsi épuré était seul authen- 
tique? Il est permis, selon le père Ramière, de 
corriger à son aise une histoire de famille pour en 



- 990-^ 

effftoer les taches. Cette théorie mènerait loin, car 
elle permettrait de reviser après coup les actes nota- 
riés qui établissent les droits respectifs, et ce genre 
de piété, filiale conduirait droit aux tribunaux, £n 
mettant He V è la place du soribe inconnu, dom 
Guéranger a fait coup double ; seuleo^f^nt oe^ n*est 
pas dan^ son sens. Il n'a pas lavé lionorius de l'aç^ 
cusatipu d'hérésie et il a incriminé Pie V, C'est à 
lui à nous apprendre oe que la eau^ d^ VinfaiUi- 
bilité du pape gagne à ce beau résultat Le pèie 
Gratyy n'a d'ailleurs i^m accepté les rectificatiws 
de dom Guéranger. Jl établit, da^s sa quc^trième 
lettre, qu 'il est faw^ que les bréviaires romains ftij^ 
sent abandonnés au; rem^niesoient^ arbitraires avant 
He Y, Il cite deuij; bréviaire ï^mmfti de l'an 1&4SI 
et 1&36, qui sont muais d'un bref de Paul III, Le 
second bref défend h tout imprimeur, autre que lea 
privilégiés, d'imprimer ce bréviaire. Pom Guéraa- 
ger répond par une indigne défpute, çn décidant 
que Vimprimatur du saint-père ne tirait pai$ ^ oon^ 
séquence et n'avait aucune valeur officielle. Le père 
Gratry prend ses adversaires eu flagrant délit d'é- 
quivoque et presque de s\ip^berie, à l'occasion de 
la légende de saint Agatlxon, dans laquelle le nom 
d'Honorius était audacieusement supprimé de b 
liste des hérétiques monothélites, « Le père Gratiy, 
disait dpm Guéranger, met aur le compte du W- 



— 49! ~ 

• 

viaire romain la légende de saint Agathon. Or il 
est aisé de s'assurer que saint Agathon n'a ni offices 
ni commémoration dans le bréviaire. > Le trop 
habile bénédictin profite de ce que la légende d'A- 
gatbon est insérée dans le supplément du bréviaire 
romain. Or ce supplément est 1$ propre du clergé 
romain, c C'est la partie deux fois romaine, la partie 
rômano-romaine du bréviaire. > Comment s'étonner 
après eela que le père Gratry réponde, aux étonne^ 
menta de ses adversaires, que le scribe inconnu qui 
a Êdsifié l'histoire au profit de la papauté était après 
tout le dom Guéranger de l'époque, un m^tre plissé 
dans l'art du mensonge historique f 

JSFous ne suivrons pas le père Gratry dans son 
accablante démonstration des autres fraudes ro^ 
mainas. La curie ne se relèvera pas, pour les con* 
sciences droites, de la flétrissure qu'il lui a infligée, 
quand il a montré en elle une éoole d'erreur et de 
mensonge. 

c Qette apologétique sans franchise , S' écrie4*«il , 
Ml Tune des causes de notre décadence religieuse 
depuis des siècles. Dès que le genre humain aperçoit 
dans Tapôtre la moindre trace de ruse ou de dupli* 
cité, il se détourne et il s'enfuit } les iiieilleurs fuient 
plus Ipin que les autres. Lésâmes n'écoutent pas la 
voix des menteurs. Que sommes^nous donc, nous, 
plâtras catholiques, ministres de Jésus4Jhr|st et de 



— 292 — 

son EvangUe et serviteurs de son Eglise ? Sommes- 
nous les prédicateurs de mensonge ou les apôtres de 
la vérité? Est-ce donc que toute vérité, toute donnée 
vraie et tout fait historique pt réel n'est pas pour 
nous, comme tout mensonge est contre nous? Le 
temps n'est-il donc pas venu de rejeter avec dégoût 
les fraudes, les interpolations et les mutilations que 
les menteurs et les faussaires, nos plus cruels enne- 
mis, ont pu introduire parmi nous? J'ai été long- 
temps moi-même sans oser croire à cette apologé- 
tique d'ignorance, d'aveuglement et de demi-bonne 
foi, ou même de mauvaise foi, qui veut la fiix, qui 
croit à la bonté du but et à sa vérité, mais qui, 
pour atteindre ce but, a recours à la ruse, au mys- 
tère, à la force, au mensonge, à la confection de 
pièces fausses ? Encore une fois. Dieu a-t-il besoin 
de ces fraudes? » 

Cette page prendra place à côté des Provinciales 
pour toutes les âmes honnêtes ; c'est l'air pur et 
libre qui remplace cette atmosphère viciée d'encens 
et de fourberie que l'on respire dans les sanctuaires 
du jésuitisme. 

L'espace nous manque pour résimier la discussion 
du père Gratry sur la bulle de Paul HI, formulant 
les odieuses prétentions de la tyrannie religieuse, 
espèce de code résumé de la persécution.^ Nous au- 
rions aimé surtout à mettre en lumière la réponse 



— 293 — 

insidieuse du pèï'e Ramîère et de M. Chantrel, ré- 
dacteur de V Univers. Ils acceptent comme excel- 
lent le principe de la bulle et ne transigent sur Tap- 
plication qu'à cause du désordre moral de notre 
temps, qui ne permet plus Tentière subordination 
de la puissance civile au pouvoir religieux. Au 
reste, nous aurons Toccasion de revenir à ces maxi- 
mes des libertés ultramontaines quand le concile 
de nouveau réuni aura voté le Syllahus. 

Les mauvais procédés sont pires que les mauvais 
arguments. Les adversaires du père Gratry le lui 
ont bien montré. J'avoue que c'est avec un parfait 
dégoût que je parcours les pages mielleuses et per- 
fides où Ton se prépare à Toutrage direct par Tin- 
sinuation. Rien n*est moins viril que ce patelinage 
dévot qui proportionne la douceur de la forme à 
l'amertume du fond. On commence par : Mon révé- 
rend père, mon cher père^ pour glisser dans cette 
appellation moins aimable : Mon pauvre p^re^ puis 
de père en père on en arrive à des désignations de 
plus en plus acerbes. On donne à entendre que le 
courageux polémiste sert une intrigue qui est déjà 
éventée, car c il n'y a rien de caché qui ne doive 
être découvert. » On ne manque pas de lui faire 
entendre combien son cas est grave, en lui disant 
que l'on assiège les autels à son sujet. On a ré- 
pandu sa douleur et son indignation devant le saint- 



— 294 — 

sacrement, bon moyen d'en fêvélôr Fét^idue. Ce 
n*est pas assez des prières, les latiôôd ont eoulé, à 
la pensée de la chute d'Un dèoond Lamenulas. < Âyeis 
pitié de moi, > dit Tarahevâque de Malines au père 
Gratry. Ce pauvre prélat, il va mourir du chagrin 
que lui .causent les abominâtiûns de son cher et 
précieux ami. C'est ainsi que la discussion «st agré- 
mentée de tirades sentimentales qui font lever les 
bras au ciel à tous les pieux ignorants* Nous con- 
naissons ces procédés ; ils sôht de toutes les dévo- 
tions aveugles. Dotn Quéranger y Va plus ronde- 
ment. Il parle de son étonnement doulouretix de- 
vaut une effervescence insensée qui trouvera des 
douches salutaires dans les lettres de Mgr de. Mâ- 
lines. Le père Ramière, en digne adhérent de^la 
Compagnie de Jésus, et M. Ohantrel, en digne apo- 
logiste de Tordre, poussent au monstre et incri- 
minent la bonne foi de leur contradicteur; ils nous 
rappellent involontairement certaine parabole sur 
la poutre et la paille. Nous n'avons pas parlé de la 
polémique des journaux; celle de VUhiven tBk été 
tout ce qu'on en attendait, et s'est même surpassée 
dans son persiflage Impitoyable, qui du reste edt 
considéré comme en honneur par ceux qu'il oroit 
ses victimes et qu'il recommande à la sympathie des 
honnêtes gens. 11 n'a. pas hésité devant la plue 
grossière calomnie en accusant le père Gratry de 



«plrîtlafflô, Ce qui lui d valu un de céô démentis & la 
Rsiseftl qui revieûUéût à ees ttOts indignés : Menti- 
¥iê impudeUfièHmèi La discussion sUï Honorius de- 
meurera un modèle du genre pour le châtiment de 
la théologie ultramontaine. 

Les brochures du père Gratry nous amènent à 
une nouTelle série de manifestations dans la ques- 
tion dé llnfaillibilité, je Veux parler des mande* 
ments ëpiscopaux et des brefs du saint-père. — * 
L'intervention de l'autorité ecclésiastique par des 
mesures de rigueur dans un débat engagé au con* 
cile est un des plus étranges abus de pouvoir qui 
puissent être imaginés. De deux choses l'une ! ou le 
débat conciliaire est une pure fiction, ou là question 
débattue doit être considérée comme libre et ou* 
verte, tant qu'elle n*a pas été tranchée par im vote. 
Si l'un des partis s'eflEbrce d'empêcher par des coups 
d'autorité la discussion des points soumis â l'exa- 
men de la haute assemblée, celle-ci n'a plus aucun 
prétexte à prétendre représenter l'Eglise — et ses 
décisions dogmatiques, destinées d'après la foi Câ-^ 
thoiique à influer sur le salut étemel de Tâme, ne 
seront prises que dans les ténèbres comme se pré- 
parent les coups d'Etat. Puis, qu'on ne l'oublie pas, 
ce ne sont pas seulement des personnes qui sont 
frappées dans tel ou tel écrit par un mandement 
épiscopal, ce sont des idées, des principes. Or ces 



— 296 — 

idées sont représentées au concile par des évêques. 
Ceux-ci peuvent à leur tour lancer des condamna- 
tions sommaires. Ce ne sont désormais que carreaux 
et que foudres s'entre-croisant, pour parler la vieille 
lan^e classique, et le concile aura bientôt autant 
d'importance que l'Olympe de Jupiter. Eeconnais- 
sons à rhonneur de la minorité qu'elle n'a rien fait 
de semblable; lesi évêques de la majorité seuls ont 
fait feu de toutes leurs pièces canoniques. L'évêqtie 
de Strasbourg, se souvenant que Tabbé Gratry 
avait appartenu quelques années à son diocèse, a le 
premier fulminé un mandement aussi violent de ton 
que faible ou plutôt nul de raisons. L'honorable 
prélat exprime la plus vive indignation de ce que le 
bréviaire roçiain a été accusé de falsification, de ce 
que Ton a osé parler d'une école d'erreur et de 
mensonge qui aurait favorisé les prétentions du 
saint-père, et enfin de ce qu'un simple prêtre ait 
osé contester le droit de l'autorité pontificale au 
nom de l'histoire et d'une prétendue inspiration in- 
dividuelle qui n'a pas passé par la filière hiérar- 
chique. Pour tous ces motifs, exposés dans cette 
langue fade et injurieuse que l'on connaît trop, les 
deux premières lettres sont condamnées et la lec- 
ture en est interdite dans tout le diocèse de Stras- 
bourg. Les mandements épiscopaux dans le même 
sens se sont succédé sans interruption. Aucun 



— 207 — 4 

d'eux n'avance un seul argument emprunté à TEcri- 
ture ou à Tliistoire. Tous répètent à Tenvî que c'est 
une chose abominable que d'attaquer le bréviaire 
l'omain, mais quant à établir que les leçons n'en 
sont pas fautives, ils s'en gardent bien. Ceux qui 
ne se contentent pas de condamner invoquent dom 
Guéranger et donnent leur parole d'évèque qu'il a 
seul raison; je ne connais pas d'abus plus absurde 
et plus ridicule que cet emploi de l'autorité dans 
une question d'histoire. Au reste, quand on défend 
de lire l'attaque on peut se dispenser de la réplique. 
Frappe, mais écoute, disait Thémistocle à Eury- 
biade, qui levait le bâton sur lui. Vous frappez, 
disons-nous aux évêques, nous n'écoutons plus ; bâ- 
ton ou houlette, qu'importe ! 

L'abbé Gratry n'a pas seulement eu à essuyer le 
feu des mandements : tandis que l'évêque de Ratis- 
bonne mettait à l'interdit l'enseignement théolo- 
gîque de l'illustre Dœllinger, le père Pètetot, supé- 
rieur de l'Oratoire, retirait formellement à l'au- 
teur des trois lettres le droit de se rattacher d'une 
manière quelconque à l'ordre qu'il avait rétabli 
en France et dont il était la meilleure gloire. Le 
père Pètetot ne sait pas peut-être à quel point 
il a excité la commisération en accomplissant cet 
acte inqualifiable par lequel il s'est cru obligé 
de sacrifier non-seulement l'amitié, mais la di- 

17. 



— 298 — 

^ité. C'est lui après tout qui a été la vraie victime 
dans Taffaire du père Gratry comme' da&s celle 
du père Charles Perrauldi auquel il a dû ordonner 
de rompre publiquement avec la ligue de la paix 
sur les injonctions de VUnivêfs transformées en 
consignes papales. L'évâque de Saint-Dié a expié 
une marque de sympathie donnée au père Gratry 
par une sorte de rétractation qui a donné la mesure 
de TabaiRHement auquel on veut réduiro Tépiscopat. 



CHAPITBE VIII 



hA jmJUABJ^ 9M\f9fi P9 CONQILS ET |^ Pl^pCqyOlATIOK 

SU HQuysAy doome. 



Plus le concile du Vatican approchait du dénoft- 
ment^ plus l'action du pape sur lui se montrait directe 
et presque impérative. Déjà nous l'avions vu tout pré- 
parer pour assurer son influence par les règlements 
imposés par lui à la haute assemblée et par la for- 
mation des grandes commissions. Depuis lors il n*a 
perdu aucune occasion de peser sur les délibérations 
de tout le poids de son influence et de sa dignité. 
C'est à ses yeux un devoir, car sa sincérité, sa 
pleine conviction de son infaillibilité ne font pas 
plus doute que son ardeur, c Moi, Jean-Marie Mas- 
taï, disait-il au cardinal Schwarzenberg, je crois à 
l'infaillibilité. Pape, je n'ai rien à demander au 
concile. Le Saint-^Esprit l'éclairera. :» Le saint-père 
n'a été fidèle qu'à la première parole; il a agi 
comme im des plus fougueux adhérents du non- 



^ 300 — 

veau dogme, mais il a agi en pape, usant de tous 
les moyens qui sont en son pouvoir pour amener le 
concile à ses vues. Cette intervention pres|[ue pas- 
sionnée du chef de PEglise dans une question où il 
est le premier intéressé est pour lui Tàccomplisse- 
ment même de sa charge apostolique, car croyant 
à son infaillibilité, il en use avant même qu'eDe 
soit proclamée et pour la Taire proclamer. C'est un 
bouleversement de toutes les règles anciennes des 
conciles qui n'eût pas été accepté Xm seul jour au 
seizième et au dix-septième siècle. L'intervention ! 
constante de la papauté est aggravée par l'immense 
publicité qu'elle reçoit immédiatement. Chaque pa- 
role du saint-père retentit d'un bout du monde à 
l'autre, grâce à la télégraphie. C'est ainsi que les 
vieilles institutions, toujours prêtes à maudire 
notre civilisation, profitent des plus admirables dé- 
couvertes de la science. Elles sont malgré elles 
entraînées dans le courant de la vie moderne ; seu- 
lement ce qu'elles confient à ses flots puissants est 
si usé et décrépit qu'il court g^and risque de s'y 
briser. Toujours est-il que le saint-père n'a pas 
cessé de parler au monde en parlant à la ville de- 
puis l'ouverture du concile. Infaillible et inspiré à 
son sens, il ne se croit point obJigé de peser ses ! 
mots aux balances de la prudence politique; il 
parle comme il pense et comm^ il sent, toujours 



— 301 — ^ ^ 4- 

impétueusement. Les textes sacrés dont il émaîlle 
son discours n'en atténuent pas la vivacité. Toutes ' 
^es faveurs et ses sourires sont pour les évêques 
înfaillibilistes, tandis qu'il manifeste ouvertement 
son mécontentement aux évêques de l'opposition 
qui n'ont cessé de lui témoigner le plus affectueux 
respect. Il ne recule pas devant l'intimidation, 
quand il rencontre la résistance, comme dans l'af- 
faire du malheureux évêque de Babylone, auquel il 
a arraché l'abandon des antiques libertés de son 
Eglise. A en croire la chronique romaine, deux 
évêques orientaux, eflErayés de l'aventure de leur 
collègue, s'étaient promis de garder un silence ab- 
solu devant le pape. « Si nous ouvrons la bouche, 
s'étaient-ils dit l'un à l'autre, nous sommes perdus, 
nous ne pourrons résister au saint-père. » Ils tinrent 
leur engagement, et dans l'audience qui leur fut 
plutôt imposée que donnée, ils ne répondirent à 
toutes les paroles du pape que par des signes res- 
pectueux et ne laissèrent pas échapper un traître 
mot. Rappelés au Vatican quelques jours après, ils 
pensèrent bien que leui^ stratagème ne réussirait 
pas une seconde fois. Ils prétextèrent une maladie 
qui par un heureux hasard les avait atteints l'un 
et l'autre en même temps pour un jour et se mirent 
au lit. On ne put les en faire relever que quand le 
danger de l'audience fut passé. ïl ne faut pas ou- 



— 308 — 

blier que les moyens dlntimidatiou à Borne pour 
les membres du clergé ne sont pas simplement mo- 
raux ; un prêtre peut être consigné dans un oouveat 
et soumis à un régime de dévotion propre à, rame- 
ner asséx promptement à la perfection. On raconte 
encore que, dans une grande réception au VaticaD) 
le saint-père fit comprendre par un geste à un prê- 
tre dont révoque est gallican que son supérieur n'ft- 
vait pas la tête bien saine. L'afi^aii^ du service re- 
ligieux pour M. de Montalembert est dam tout^ 
le» mémoires. Non content de l'appeler en propres 
termes un monstre d'orgueil, Pie IX a interdit le 
service solennel de l'église d'Ara-Oœli pour eu 
faire célébrer un en cachette dans une petite église 
de Transtevère en faveur d'un certo Garlo. O'eat 
ainsi que le saint-père se prépare à ses nouvelles 
attributions. Décidément le fardeau d'un pouvoir 
divin est trop lourd pour une âme d'homme, 
elle ne peut même l'entrevoir sans perdre l'ôqui- 
hbre. 

Nous avons eu deux genres de manifestations 
papales depuis Touveirture du concile, les discours et 
les brefs ; ils ont été l'un et l'autre animés du même 
esprit. Le saint-père s'est montré invariablement l'o- 
rateur le plus passionné de la majorité et a combattu 
ouvertement les opposants avec l'ardeur d'un homme 
de parti et l'autorité du souverain qui ne permet 



— 303 — 

pas qu^on le discutô. Bien de plus anonnal que ce 
mélange de tribun sacré et de pontife ; nous ne trou- 
vons pas d'autre mot pour caractériser l'attitude de 
Fie IX pendant les derniers mois du concile. Qu'on 
en juge. lies brefs ont été pour lui un moyen très- 
commode d'exalter ses partisans et de frapper ceux 
qui résistent à son apothéose. Ils dispensent de 
tout argimient sérieux et décrètent magistralement 
ce qui convient au saint-siége. Il est vrai qu'ils 
n'ont pas plus dô valeur que les décorations prodi- 
guées BOUS l'Empire à nos journaux officiels, mais 
ils ont le grand tort de découvrir la papauté et de 
la faire intervenir dans les discussions pendantes de 
la façon la plus imprudente et la plus hâtive. Les 
évêques siégeant au concile sont considérés comme 
juges de la foi, ils ont le droit d'exprimer leur opi- 
nion sur une question tant qu'elle est pendante. 
C'est ce qu'ont fait Mgr d'Orléans dans ses lettres 
pastorales et Mgr Maret dans son savant ouvrage. 
Est-il convenable que le président du concile con- 
damne d'avance l'un et l'autre dans des brefs adres- 
sés aux plus pitoyables auteurs qui les ont réfutés ? 
Un bref du 22 janvier portait aux nues la brochure 
dirigée par le père Ramière contre Mgr de Sura et 
le louait < d'avoir si bien nûs son adversaire aux 
prises avec lui-même qu'il a dispensé ses contradic^ 
teurs du soin de renverser l'édifice. > Dans un bret 



— 304 - 

du 12 février les lettres de Villmtrhsime et rivi- 
o'e7idissme évêque S Orléans sont qualifiées c de 
vains sophismes ennemis, seule et unique cause du 
trouble qui s'est élevé dans les consciences. » Nous 
avons toute une série de brefs dans le même sens, 
traitant péremptoirement de Tinfaillibilité pontifi- 
cale, toujours d'une manière ofiPensante pour les op- 
posants. Celui du 5 janvier 1870 adressé au révérend 
père Jules Jacques, rédemptoriste, qui avait repro- 
duit les opinions infaillibilistes d'Alphonse de li- 
guori, le loue « d'opposer à des raisonnements ar- 
tificieux la saine théorie enseignée par l'Ecriture, 
la tradition et les conciles. » Le bref du 22 janvier 
exalte un opuscule de Mgr de Ségur qui n'est 
qu'une violente diatribe contre les adversaires de 
l'absolutisme pontifical et qui se résumé dans ce 
mot : Le pape est tout. « Si les puissances de l'en- 
fer déploient leur force contre le concile assemblé, 
si elles dressent des pièges aux esprits honnêtes en 
les divisant de sentiment, afin du moins de tirer 
parti des maux qu'enfante la discussion, de twuner 
les choses en longueur, elles n'échapperont point 
au coup fatal qu'elles voudraient reculer le plus 
possible. » Nous nous bornons à mentionner les 
brefs adressés aux clergés de Nîmes, d'Avignon, de 
Grenoble et de Montpellier, et à trois prêtres d'Of- 
léans ; ils passent par-dessus les pouvoirs réguliers 



— 305 — 

de TEgKse pour s'appuyer sur le clergé inférieur 
en encourageant son opposition à Tépiscopat toutes 
les fois que celui-ci ne se livre pas sans réserve au 
courant romain. De même que le saint-père en- 
voyait il y a quelques années la rose d'or à la reine 
d'Espagne, il adressait à dom Guéranger un bref 
d'honneur ; on dirait la plaque de diamants qui fut 
remise un jour au plus éloquent défenseur du pou- 
voir personnel. Le savant abbé de Solesmes a bien 
mérité ce prix du sophisme clérical. Il a eu lieu 
d'être pleinement satisfait, car non-seulement il a été 
beaucoup loué mais encore ses adversaires ont été 
abreuvés d^mertume. Le bref à dom Guéranger 
rappelle ce mot de l'Evangile que de l'abondance 
du cœur la bouche parle. Les catholiques hbéraux y 
ont été ouvertement désignés « comme des hommes 
qui, tout en se faisant gloire de ce nom, se mon- 
trent complètement imbus de principes corrompus 
et ne savent plus se soumettre au jugement du 
saint-siége. Leur fohe est montée à Texcès de- 
puis qu'ils ont entrepris d'adapter la divine consti- 
tution de l'Eglise aux formes modernes, afin d'a- 
baisser plus aisément l'autorité du chef suprême. 
Ils mettent en avant avec audace certaines doctrines 
maintes fois réprouvées, ressassent des chicanes 
historiques, des calomnies, des sophismes de tout 
genre. Ils nous réduisent à déplorer dans leur con- 



— ao6~ 

duite une déraison égale à leur audace, i Le 6idiit» 
père n'hésitait pas à dénoncer les menées de la mi^ 
norité au concile. L'ironie était cruelle pour des 
évêques qui avaient les mains liées au point de ne 
pouvoir se réunir et concerter leur résistance aux ba* 
taillons compactes de la propagande. Dom Guéran* 
ger est félicité d'avl;»r mis à découvert l'esprit de 
haine^ la violence et l'artiflce qui règne dans le parti 
opposanti et le pape lui prédit que le fruit de leê 
veilles ne seira pas vain. Il n*est pas nécessaire d'être 
infaillible ni prophète pour annoncer le résultat que 
l'on tient dans la Znain. De tels documents font près* 
sentir ce que sera désormais le césarisme papal* On 
n'a pas moins remarqué le bref adressé à ce Père 
de TEglise qui a nom Louis Veuillot. O^es, Torga^ 
nisateur de la fameuse souscription infaillibiliste 
qui se chiffre par insultes encore plus exactement 
que par sous et deniers^ méritait bien les plus chau* 
des félicitations du Vatican. Le plus grave de ces 
brefs a été celui transmis par le nonce du pape à 
tous les Français qui sont infailUbilistes, pour les 
remercier en bloc de leur dévouement et de leur 
opinion. On ne peut s'empêcher de sourire en voyant 
le ministère d'alors s'opposer solennellement à la pu** 
blicatiob de ce bref, après que toute la France l'a 
lu, et le nonce exprimer son regret quand le coup a 
porté. Telle est la situation ridicule où nous met le 



— SOT — 

Concordat en face d'un concile qui ne ïôntfait paa 
dans ses prévisions. 

Après les brefs viônnent tes discotM. He IX a tou- 
jours produit un© très-Yive impressioti dans le» ré- 
ceptions du Vatican paf un mélange de familiarité et 
de grandeur. Après quelques déclarations solennelleë 
reçues à genoux^ il s'informait avec bouté et d^ 
tail de là santé de ses interloeuteui^^ Un pontife, 
v^ demi-Dieu qui vous tfttd le pouls I Quoi de plui 
touchant après lés émotions subli|âes7 Aujourd'hui 
tout est changé. Lé pape ne traite plus qu'un seul sur- 
jet— son infaillibilité. Le9 jftnvief 1870^ s'ûdressant 
à un grand nombre de pfélats et d'ecdésiastiqueë 

4 

étrangers, il prononce ces paroles : « Je suis le p&pd, 
le vicaire de Jésus-Christ, le chef de TÊglise catho- 
lique^ et j*ai téuni ce concile qui fera son œuvre. 
De prétendus sages voudraient qu'on ménageât cer- 
taines questions et qu'où ne marchât pas contre les 
idées du temps, mais ce sont des capitaines d'a*^ 
veugles. Je veux être libre ainsi que lèvent. Deâ 
affaires de ce monde, je ne m'en occupe pas. Pries 
donc, forcez le 8aint^B$pTit par vos supplications 
à éclairer les pères. » C'est l'application du campellê 
inttare à l'Esprit-Saint. Le 10 février, ouvrant l'Ex- 
position des arts rdigieux, Pie IX s'est écrié : «Au 
dire de plusieurs notre religion aurait besoin d'un 
89. C'est un blasphème, emprunté au grand déma- 



— 308 -r 

gogue italien. » Il croyait s'adresser à M. de Fal- 
loux qui s'est déclaré innocent de ce mauvais 
propos. Il n'en a pas moins été atteint en pleine 
poitrine avec tout son parti, le 13 mars, alors que 
le pape, à l'occasion de la lettre de M. de Monta- 
lembert s'est écrié : LeB catholiques libéraux sont 
des semi-catholiques. S'épanchant, le 24 mars, dans 
le cœur de ses fidèles de la propagande qui sont 
pour lui ce qu'était la garde impériale pour Napo- 
léon P% le saint-père compare les catholiques tièdes 
qui veulent borner son pouvoir au lâche proconsul 
romain qui n'ose soutenir Jésus-Christ, c Us ont 
peur de la révolution, s'ést-il écrié. Il vous faut sou- 
tenir les droits de la vérité, de là justice. C'est le 
combat des évêquea : défendre la vérité avec le vi- 
caire de Jésus-Christ et n'avoir pas peur. Mes en- 
fants, ne m'abandonnez pas ! !► [Cris : Non ! non ! ) 
Ces mots seraient admirables si les évêques de la 
propagande se voyaient à Rome obligés de sou- 
tenir une lutte héroïque avec une poignée de braves. 
Ils sont moins touchants adressés aux gros batail- 
lons qu'il s'agit de lancer contre une minorité 
désarmée. Le discours de Léonidas prononcé par 
Xerxès perdrait tout son prix. Recevant solennel- 
lement le collège des cardinaux, le mardi 21 juin, 
en l'honneur du vingt-quatrième anniversaire de 
son avènement, le pape a agréé les vœux des Emi- 



— 309 — 

nences en faveur dé la prodamation de son infail- 
libilité, juste récompense, d'après le cardinal Pa- 
trizzi qui portait la parole, de Thonneur rendu par 
lui à la vierge immaculée. Non content de lancer 
une épigramme « aux longs discoureurs du con- 
cile, » qui ne s'adressait bien entendu ^qu'aux évo- 
ques opposants, le saint-père a ouvertement accusé 
ceux-ci de transiger et de pactiser avec le monde, 
c Est-ce donc le mtonde, a-t-il dit, qui les a élevés 
à leur haute dignité et leur a donné Tesprit de sa- 
gesse, d'intelligence et de conseil. » Jamais il n'a- 
vait déclaré plus clairement que le monde pour lui 
est la société moderne avec ses droits et ses liber- 
tés, jamais il n'a fait une profession plus triste- 
ment rétrograde. 

Il importait de mettre en pleine lumière cette 
attitude de Pie IX au concile du Vatican. Elle est 
.après tout le plus fort des arguments qu'aient à 
faire valoir les infaillibilistes, mais c'est un argu- 
ment dangereux comme tous ceux qui dans les 
questions doctrinales sont empruntés à la con- 
trainte. Il permettra et autorisera des revendica- 
tions redoutables. On peut voir du reste, par la cor- 
respondance publiée i^ax V Univers du 23 juin, entre 
l'évêque de Marseille et son clergé, sur les accu- 
sations portées contre lui par trois prêtres de son 
diocèse, combien la désorganisation ecclésiastique 



est fevoriaée par les enûouragements donnés par le 
pape à tous ceux qui abjurant le gallicanisme. 
Mgr Place a fait entendre le langage d'une sincère 
et douloureuse indignation. 



IL 



Les évâques opposants n*ont pas plié jusqu'au 
dernier moment. Ils ont fermement maintenu leur 
position. Les lettres publiées par Tévèque d'Orléans, 
depuis son arrivée à Rome, ont été aussi fermes 
que oelles datées de France ; les dangers de la défi- 
nition lui ont paru aussi grands que jamais. On peut 
s'en convaincre par sa réponse à Mgr Deschampa. 
Sa dernière lettre, datée du 25 avril - 1870, est 
adressée à Tarohevôque de Baltimore, qui a trouvé 
bon de revenir sur ses opinions modérées ; il les 
avait exprimées dans un postulatum spécial qui^ 
tout en concluant à l'infaillibilité au point de vue 
doctrinal, énumérait les difficultés de la définition 
et semblait réclamer l'unanimité morale. 

L'admission de Mgr Spâlding dans deux grandes 
commissions conciliaires lui a donné des lumifties 
nouvelles, à ce qu'ont prétendu quelques-ruus de ses 
collègues américains qui ont refusé de le suivra dans 
son évolution nouvelle en déclarant qu'ils Tont bien 
souvent entendu parler contre les zelanti du concile 



— 3H — 

avant qu'il fàt introduit dans l'élite dirigeaute. 
« Sans doute, ajoutaient-ils, Thonorable prélat ne 
s'est laissé prendre qu'à des raisons profondes. > 
Les bons évêques se plaignent de n'avoir pas été 
consultés par leur collègue qui a prétendu parler 
en leur nom ; ils auraient voulu un libre meeting, 
selon la coutume de leur patrie. Un meeting à 
Bomel Ils*n*y pensent pasi Ce serait la fin du 
monde. L'épiscopat anglais, toujours très-papist<| 
en majorité, a eu la désagréable surprise d'âtra 
nettement désavoué par le plus illustra théologien 
du catholicisme de la 6rande»Bretagne. c Grâce aux 
organes accrédités de la cour de Bome, a écrit le 
père Newman dans une lettre mémorable, le nom 
seul de concile oecuménique ne provoque plus que 
la crainte et l'effroi. Jusqu'à ce jour, les conciles 
étaient convoqués pour détourne? de l'Sglise quel^ 
que grave danger, et voilà que celui qui siège au 
Vatican a ftut naître un sérieux péril. > L'Eglise 
allemande a paru vouloir résister jusqu'à la.fin. Ia 
popularité de Ûoellinger ne faisait que croître. Le 
docteur Michaelis, son digne émule, accusait le 
postulatum de l'infaillibilité c d'être une œuvre de 
subtilité, de passion et de mensonge, dont le succès 
serait une déplorable réaction de l'esprit du parti 
jésuite sur le véritable esprit de l'Eçlise, une 
calamito pour la religion et l'hun^anité. é Trois 



> _ 312 — 

évêques allemands, dont deux cardinaux, ont for 
mule leur opinion dans des écrits pleins de fran- 
chise. Nous avons déjà mentionné la lettre de 
Mgr Hœfele sur Honorius. Le cardinal de Schwar- 
zenberg terminait ainsi sa brochure De summ^ 
pontifids infaillihilitate personale : « A côté de 
saint Pierre, le prince des apôtres, nous plaçons 
saint Paul, Tapôtre des païens ; leur charge ensei- 
gnante se retrouve inséparable dans la primauté de 
Pierre et dans Tépiscopat répandu sur la terre en- 
tière. — Celui qui s'élève sera abaissé, dit le Sei- 
gneur. Quand Boniface eut proclamé solennelle- 
ment la puissance du saint-siége sur les gouverne- 
ments temporels, TEglise fut pour longtemps 
misérable dans sa condition extérieure. N'est-on 
pas en droit de craindre que si la puissance spiri- 
tuelle du saint-siége est élevée maintenant au delà 
de la juste mesure, il pourrait entrer dans les im- 
pénétrables desseins de Dieu qu'elle iûit abaissée 
dans sa condition spirituelle et vît s'éloigner d'elle 
un grand nombre d'esprits ?» Le cardinal Rauscher, 
le père du trop fameux concordat autrichien, a 
poussé \m vrai cri d'alarme : « L'acceptation de la 
formule, dit-il, serait en opposition flagrante avec 
l'essence de l'ancienne Eglise ; elle ne pourrait plus 
se réclamer de ce qui fut sa sauvegarde dans les 
temps troublés ; le saint-siége n'aurait plus l'appui 



— 313 — 

d'une assemblée d'évêques. » On sait par les évêques 
Strossmayer et Haynald quelles étaient les disposi- 
tions de la Hongrie. Le gouvernement royal avait 
songé un moment à faire revenir les évêques, mais 
ils ont au contraire demandé qu'on leur envoyât 
tous ceux qui restaient dans leurs Eglises. Le tiers 
parti avec ses formules vagues, élastiques, qui ne 
tranchent rien et établiraient l'absolutisme papal par 
une équivoque , avait perdu toute raison d'être à 
la fin du concile. D'un autre côté étaient les 140 
évêques du contre-postulatum^ ils avaient pour eux 
le savoir, l'éloquence, la raison et aussi le nombre, 
car ils représentent les premières Eglises de la ca- 
tholicité. La majorité des infaillibilistes se compo- 
sait de 580 voix qui se décomposaient ainsi : 50 car- 
dinaux, 100 vicaires apostoliques révocables, 50 gé- 
néraux d'ordres et abbés mitres, plus de 100 évê- 
ques de la propagande, 270 Italiens dont 143 appar- 
tiennent aux Etats pontificaux. Cette majorité mar- 
chait comme un seul homme parce qu'elle apparte- 
nait à un seul homme, au pape, qui lui avait donné 
raison d'avance en acceptant le postulatuM et sur- 
tout en accordant un tour de faveur à la question de 
rinfaillibilité. 

Nous pouvons parfaitement nous représenter ce 
qu'a été la discussion au sein du concile, puisque la 
plupart des orateurs entendus avaient publié d'avance 

18 



— 314 — 

leu? o^on àmn Tw ou Vmix^ d@d éonta que ooui^ 
a^oni mentionnéa. Il résulta d^ tout ce qu'Q» le^ pu 
apprendre da eetta âiscuosîou qu'aU^ a été bien plus 
approfondie qu'on aurait pu h eroira d'abord* 1*0» plus 
èminants orateurs de ropposition Ont ffiiteiteildi^ uu 
.langage énergique. Le cardinal Sehw^paeub^ig n> 
pas craint d'évoquqr la mémoire de Jean ilus» oomme 
lameuaM d*un schisme an Hongn^e. On ^t qu'^prèi 
un discours de Mgr Maret violemment intwpompu 
la majorité a voté la clôture de la âifaiç^U9sim g^né* 
raie. La minorité s'est trouvée p^H^ée, Plusieurs 
évoques français voulaient qu'on quittât le concile sa 
protestant ; les Allemands ont insisté pour qu'on com- 
battît jusqu'au bout, et le débat i^ recommencé sur 
les articles avec une nouvelle ardeur. On ^ entendu 
Mgr Dupanloup vengeant Bossuet et VSgrlise de 
France contre les indigne» attaques de Mgr V^* 
giO) patriarche de Jérusalem» et Avee lui la plupw^ 
des évéques français opposants. Lft grindo voix de 
Mgr gtrossmayer a retenti encore une fois dwa est 
êMbm d'où on l'avait fait descendre H^ ^ quel- 
ques mois. On a eu l'agréablâ surprise de v^ un 
cardinal romain, le cardinal Ghiidi, évêquQ de Bo- 
logne, un rallié au royaume d'Italiç^ preudre en 
main la cause des non^în£aillibilistesav^ Une rcMfe vi- 
gueur . La minorité du concile savait par&itomoAt que 
la discussion n'était qu'une parade et que lo dogiue 



— 3t5 — 

était Voté d'tttance par uUe majorité côiôpâctB, Là 
àernlèttô tîotigfrégatiôti gétiérâlô etrt lieu le IB juillet. 
Le Èh^èiha de rinfttillibilité fut lu UUe defnièi*e fois. 
Nous ïepwduisond le texte tel qu'il fttt eomuAi- 
nîqué au concile ce joUivlâ î 

t Eu sorte que noUâ, suîvautfidèletnent lati*adîtlc«tt 
suivie dès les commenceûients de là foi chrétieunef 
à la gloîi^ de DieU notre Sauveur, pouif l'exaltation 
de Ih foi catholique et le salut des peuples chrétiens, 
aveô approbation du saint concile, nous enseî^ons 
et définissonâ pour do^e révélé par Dieu que le 
pontiffe romain, quand il parle eâ? cathedra^ c'est-à- 
dii*e quand accomplissant Toffice de pasteur et doc- 
teur de tous les chrétiens, définit, en vertu de sa 
ôupïème autorité apostolique, une doctrine sur la 
foi et les moeurs, qui doit être observée par TEglise 
tôUt êntièfe, jouit , moyennant l'assistance divine 
qui lui est promise par le bienheureux Pierre, de 
ôette infaillibilité dont le divin Rédempteur a doté 
son Eglise en définissant la doctrine sur la foi ou 
ôur les mœurs, et, par conséquent, les définitions du 
pôntifè romain sont irrèfbfmables... Si quelqu'un 
présume, — • ce que Dieu ne veuille pas, "^ contre- 
dire notre définition, qu'il soit anathématisé.! » 

Il n'y eut pas de nouvelle discussion jusqu'au 
18 juillet, jour de la proclamation solennelle. Quel ne 
fut pas l'étônnement des pères de la minorité quand 



■> ' *»^'.' 



— 316 — 

on présenta nu^ vote final une formule nouvelle et 
singulièrement aggravée dans le sensultramontain? 
En effet, le texte primitif lu le' 13 juillet portait: 
€ Les définitions du pontife romain sont irréformables 
de par elles-mêmes. » La formule définitive était 
ainsi modifiée : c Les définitions du pontive romaine 
par elles-mêmes et non par le consentement de V Eglise 
(ex sese^ non autem consensu Ecclesise), » Nous n'au- 
rions jamais pu croire à un pareil subterfuge qui se- 
rait considéré comme monstrueux dans tout parle- 
ment honnête, si le fait n'était attesté par le docteur 
Friedrich dans sa lettre justificative à l'archevêque 
de Munich. Voici ce qu'il déclare : « Dans le décret 
sur TinfaiUibilité se trouve l'interpolation non dis- 
cutée par le concile : non autem ex consensu Eccle- 
sise que la majorité intercalait entre la dernière con- 
grégation générale du 13 juillet et la séance pu- 
blique du 18 du même mois. Vous pourtant. Mon- 
seigneur, vous êtes revenu à Munich sans connaître 
cette circonstance, et vous avez prié l'homme si vé- 
néré de tout le monde que vous avez chargé en 
même temps que moi de l'excommunication majeure, 
le chanoine Dœllinger, de vous donner des explica- 
tions à ce sujet. j> 

La cérémonie même de la promulgation du nou- 
veau dogme a manqué de grandeur. Le nombre des 
pères était bien réduit ; on n'en comptait plu& que 






— 317 — ' 

534. Les principaux chefs de la minorité étaient 
partis. Le jour était pluvieux comme au 8 décembre; 
il n'y avait pas à attendre au grand moment de . 
rayons lumineux faisant auréole sur le front de lin 
faillible. Quand on en vint à la votation, on constata 
Tabsence de vingt-deux évêques français dont trois 
archevêques, entre autres l'archevêque de Paris, de 
dix Hongrois , parmi lesquels, Strossmayer, de neuf 
Allemands, y coippris le cardinal Schwarzenberg et 
beaucoup d'autres. Un Italien, l'évêque de Cajazzo, 
eut le courage de faire résonner les voûtes de Saint- 
Pierre d'un formidable : Non placet. Il n'eut qu'un 
seul imitateur, Mgr Fitzgerald, de Little Rock. L'ob- 
scurité était telle dans la basilique qu'il fallut appro- 
cher un cierge du pape pour qu'il pût lire sa propre 
apothéose. La place de Saint-Pierre était à peu près 
vide. Quelques moines crièrent : Bvmvaf Lesnormes 
se prosternèrent en s'écriant : Padre meo. C'est ainsi 
que sous un ciel obscur, mais moins sombre que 
rhorizon politique où déjà grondait la guerre, on 
vit s'accomplir ce que Lacordaire appelait dans ses 
bons jours la plus grande insolence envers Jésus- 
Christ. 



FIN 



l\. . 



7-t 






TABLE DES MATIÈRES 



Pages* 

Avant-propos v 

Chapitre I. Les anciens conciles et la papauté • • • • 1 

— II. De Tétat du catholicisme en France à la 

veille du concile 23 

— m. La préparation du concile 114 

^ IV. La ville du concile 152 

— V. L*ouTerture et la constitution du concile. . 203 

— VI. Les premières décisions du concile • • . 228 

— VII. La discussion de Tinfaillibilité du pape 

an concile et au dehors du concile .... 238 

— Vin. La dernière heure du concile et la pro- 

clamation du nouveau dogme 299 



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